Alors que le changement climatique pose de nouveaux défis aux agriculteurs des pays ACP, les bailleurs de fonds, les banques de développement et les prêteurs privés développent des solutions innovantes de financements mixtes et de partage des risques.
Bien que le changement climatique fasse peser de nouvelles menaces sur les moyens d’existence déjà précaires des petits agriculteurs, très peu des financements adaptés au changement climatique sont directement axés sur l’agriculture. Il va pourtant devenir de plus en plus difficile de nourrir la planète sans des investissements plus importants, estime Margarita Astralaga, directrice de la Division environnement et climat du Fonds international de développement agricole (FIDA).
Parmi les régions du monde nécessitant des solutions intelligentes figure le Sahel africain, où des sécheresses plus longues et fréquentes perturbent le calendrier de plantation. “Les agriculteurs ne savent plus quand planter le maïs ou le manioc, parce qu’ils ne peuvent prévoir ce qui va arriver”, explique Margarita Astralaga. Les agriculteurs des petites îles du Pacifique – déjà souvent isolées des marchés externes ou des chaînes d’approvisionnement – sont confrontés à une diminution de leurs ressources en eau douce alors que l’élévation du niveau des océans menace de réduire les superficies cultivables.
Les financements mixtes
“Le financement lié au climat peut, en mélangeant subventions et instruments de financements commerciaux et quasi commerciaux, déverrouiller des ressources issues du secteur privé pour soutenir une agriculture intelligente face au climat (AIC) à l’échelle appropriée”, souligne Oluyede Ajayi, coordinateur senior du programme du CTA pour l’agriculture et le changement climatique.
Les financements mixtes – combinant desfonds publics et privés – se sont révélés particulièrement efficaces pour financer l’AIC. Nombre de ces plans comportent une composante de subvention assurée par un organisme public ou une organisation philanthropique ou de développement qui, associée aux fonds d’un prêteur commercial, diminue les intérêts exigés des emprunteurs. Certains plans mixtes incluent une garantie que les prêteurs récupéreront une partie des fonds prêtés en cas de défaut de remboursement de l’emprunteur. Cela diminue le risque pris par les institutions financières et les encourage à proposer des prêts plus nombreux ou importants aux emprunteurs ou secteurs à haut risque, ou à leur offrir des conditions plus avantageuses comme des périodes sans intérêt ou des calendriers de remboursement favorables.
La composante de subvention de nombreux plans de financement mixte peut persuader les gouvernements, organisations ou entreprises des pays qui ne sont pas directement responsables du changement climatique qu’emprunter pour en atténuer les effets peut tout de même servir leurs intérêts. Selon Margarita Astralaga, une fois qu’ils ont constaté les avantages d’investissements judicieux sur le plan climatique, en agriculture ou dans d’autres secteurs, ils ont tendance à emprunter plus facilement, par le biais de plans de financement mixte ou même de prêts purement commerciaux. D’autres sont persuadés de devoir faire ce type d’investissements, mais ne peuvent tout simplement pas se permettre d’emprunter sans réduction des taux d’intérêt. “De nombreux pays ne peuvent emprunter qu’avec une composante de subvention”, précise-t-elle.
En 2012, le FIDA a lancé son programme phare d’adaptation de l’agriculture paysanne (ASAP), qui canalise des financements pour les petits agriculteurs prenant des initiatives dans le domaine du climat et de l’environnement. Ce programme a contribué à persuader des ministres de l’agriculture réticents que les pertes potentielles dues à un manque d’investissement dans l’adaptation au changement climatique seraient plus importantes que les coûts d’emprunt. Les investissements financés jusqu’à présent dans le cadre de l’ASAP vont de l’amélioration des données météorologiques et des systèmes d’alerte précoce à l’énergie solaire, au biogaz et à la construction de routes en zones rurales. Six ans plus tard, de nombreux gouvernements cherchent à obtenir de seconds emprunts. Le premier projet ASAP du FIDA au Nicaragua, par exemple, comportait une importante subvention, mais le pays contracte maintenant un second emprunt intégral pour financer des activités d’adaptation au climat, indique Margarita Astralaga. En Bolivie, plusieurs communautés autochtones demandent des prêts après avoir constaté les bénéfices obtenus par d’autres communautés qui ont mis en œuvre des projets de résilience au climat soutenus par le FIDA.
Les banques de développement réduisent les risques
L’utilisation de structures mixtes pour assurer une première tranche de perte, ou tranche subordonnée, qui “atténue la douleur initiale” des financements climatiquement ingénieux, peut être “très efficace”, affirme Hans Bogaard, directeur à la Banque néerlandaise de développement (FMO). Une fois ce dispositif mis en place, les banques commerciales ou les prêteurs comme la FMO sont souvent disposés à fournir en plus des financements ordinaires. Par exemple, la MASSIF et le Fonds de développement des infrastructures permettent à la FMO “de prendre un peu plus de risques”, assure Hans Bogaard.
De son côté, la FMO soutient aussi un partenariat dirigé par la banque commerciale de prêts Rabobank et le Programme des Nations unies pour l’environnement, qui vise à développer à plus grande échelle une agriculture durable respectueuse de la forêt en utilisant des financements mixtes. Selon Hans Bogaard, la FMO a accepté de partager ses connaissances en matière d’agriculture et de sylviculture durables avec le partenariat – qui, en octobre 2017, a créé une structure de 867 millions d’euros – et de mobiliser ses propres ressources de financements mixtes. Cette structure vise à proposer des subventions, instruments de réduction des risques et crédits à des clients impliqués dans une agriculture durable, la transformation ou le commerce des matières premières agricoles, et s’engageant à protéger et réhabiliter la forêt et à faire participer les petits agriculteurs. Elle n’a toutefois pas encore distribué de fonds.
La Banque de développement de la Jamaïque (DBJ) soutient des projets climatiques dans le cadre du Programme pilote pour la résilience climatique de la Jamaïque, développé par le gouvernement en collaboration avec la Banque interaméricaine de développement et la Banque mondiale pour investir dans l’adaptation au climat dans divers secteurs prioritaires, dont l’agriculture. Le programme favorise l’AIC par des subventions et des garanties partielles de prêts pour les prêteurs, à partir de ses propres fonds et par le biais d’une ligne caribéenne de crédit bancaire pour le développement, explique la directrice générale Edison Galbraith. Par exemple, pour de petits prêts de moins de 38 750 €, la DBJ peut garantir jusqu’à 80 % du montant sur la base d’une clause pari passu– ou partage des pertes.
L’une des initiatives que la DBJ prévoit de soutenir par des garanties est un programme mené par l’organisation humanitaire internationale INMED Partnerships for Children, qui aide les petits agriculteurs à créer des entreprises de production aquaponique intelligentes sur le plan climatique en Jamaïque. INMED s’emploie actuellement à mettre en place, avec des banques commerciales et des coopératives de crédit jamaïcaines, des montages financiers dans le cadre desquels des prêteurs pourront offrir des taux d’intérêt plus bas et de meilleures conditions, comme des garanties réduites et une période initiale sans remboursements plus longue, pour aider les entrepreneurs à acheter des systèmes aquaponiques modulaires. Le montant des prêts variera selon le système envisagé, dont le coût peut atteindre 17 340 € pour un équipement commercial assez important, mais qui peut simplement comprendre un module, deux bacs de culture et un bassin à poissons. INMED prévoit d’attribuer les premiers prêts avant la fin 2018 et vise à soutenir 150 agriculteurs dans les prochaines années.
La DBJ octroie aussi des fonds par l’intermédiaire du bailleur de fonds local Jamaica National, qui propose des prêts subventionnés pour soutenir des activités comme la récupération des eaux de pluie. Le programme de prêts axé sur le changement climatique de Jamaica National propose aux entrepreneurs des prêts de 1 295 € à 32 360 € pour financer des activités d’adaptation au changement climatique et des projets éco-énergétiques dans l’agriculture et le tourisme. Ces prêts offrent des taux d’intérêt annuels de 4 % et des calendriers de remboursement pouvant atteindre 48 mois, avec une période de moratoire maximale de six mois.
Un subtil équilibrage
D’après Hans Bogaard, répondre à la fois aux besoins des petits agriculteurs et des prêteurs dans le cadre d’investissements intelligents sur le plan climatique est très délicat. Il peut être difficile pour les banques de développement d’investir dans des projets d’AIFC axés sur l’adaptation, comme l’amélioration de la résistance au changement climatique d’une ferme. Toutefois, explique le directeur de la FMO, si les interventions sont évolutives, elles deviennent davantage finançables. De plus, la capacité à mobiliser des investissements intelligents sur le plan climatique autour de grands projets bénéficiant aussi aux petits agriculteurs des environs est la solution miracle visée par toutes les banques de développement.
Dans un projet auquel a participé la FMO – un producteur rwandais d’aliments complémentaires nutritifs destinés à lutter contre la malnutrition (voir l’article de Spore Rwanda : Moins de pertes grâce à des céréales nutritives)– Africa Improved Foods (AIF) a mis en place en 2017 des centres de collecte du maïs. Ce projet vise à répondre au problème croissant du rejet des récoltes par les acheteurs en raison de leur teneur possible en champignons producteurs d’aflatoxines. Ce taux de rejet a diminué de 52 % pour la deuxième récolte de 2017 – après la création de points de collecte – par rapport à la première, et était nul à la troisième récolte.
Les banques de développement peuvent aussi contribuer à l’adaptation au changement climatique en émettant des obligations ou des prêts verts, en passant par la clientèle des institutions financières, ajoute Hans Bogaard. En général, les banques s’intéressent surtout aux investissements axés sur l’atténuation du changement climatique, comme les projets de sylviculture qui piègent le carbone. Pour les projets à long terme, pour lesquels il faut plusieurs années avant d’obtenir une production et des revenus, les banques doivent être prêtes à renoncer au paiement d’intérêts dans les premiers temps, peut-être en échange d’un partage ultérieur des profits.
Des solutions innovantes
Afin de trouver des solutions de financement plus innovantes pour l’AIC, le FIDA explore les possibilités de production participative, ainsi que des méthodes permettant de faciliter l’accès aux instruments de couverture des marchandises et des risques climatiques et d’aider les institutions de microfinance à mesurer et évaluer les risques climatiques.
Le risque reste une préoccupation majeure pour les gouvernements et institutions financières. Lorsqu’ils prêtent aux petits agriculteurs, les organismes de microfinance ont souvent des doutes concernant les taux d’intérêt exigibles pour refléter les risques liés au changement climatique et la mesure dans laquelle ces risques sont diminués par les initiatives d’adaptation ou d’atténuation. Il faut “renvoyer des informations aux prêteurs pour qu’ils puissent mettre au point leurs propres produits à partir des renseignements que nous leur donnons sur les risques climatiques”, affirme Margarita Astralaga. Le FIDA espère pouvoir lancer un produit ou service de ce type début 2019.
Le risque est aussi une préoccupation importante pour la DBJ, qui veut soutenir le développement d’une assurance-récolte liée au climat en Jamaïque. Pour l’instant, les tentatives de la Jamaica International Insurance Co (JIIC) d’offrir une assurance intempéries se sont heurtées à la difficulté de proposer des cotisations abordables. En 2013, la JIIC s’est associée à la Caribbean Catastrophe Risk Insurance Facility, qui vend des couvertures contre les tempêtes et tremblements de terre aux gouvernements, pour tester des contrats de protection des moyens d’existence visant à protéger les revenus des individus après de graves épisodes venteux ou pluvieux (voir l’article de Spore Des assurances innovantes pour minimiser les risques climatiques).
Pour Edison Galbraith, c’est en innovant ainsi que les institutions financières seront encouragées à proposer davantage de financements axés sur l’agriculture durable.