En 34 ans de publication, Spore s’est installé dans le paysage agricole comme une référence au service d’une transformation durable. Cette aventure prend fin avec ce dernier article Tendances, dans lequel nous revenons sur l’héritage légué par le magazine phare du CTA et son évolution d’un simple bulletin technique à une publication exhaustive en ligne et sur papier.
À son apogée, la version papier de Spore était distribuée à plus de 60 000 abonnés (organisations et individus) des pays ACP et touchait un lectorat encore plus vaste. En 2015, une évaluation indépendante affirmait que “le magazine Spore a amélioré les connaissances et compétences de ses lecteurs du monde entier. Les nouvelles connaissances acquises ont augmenté à long terme leurs compétences et leur effet s’est propagé bien au-delà des bénéficiaires directs puisque la plupart partagent le magazine, souvent avec plus de cinq personnes”.
D’abord publié sous la forme d’un bulletin à partir de 1986, Spore a été lancé en anglais et français trois ans après la création du CTA. Pour son premier numéro, l’objectif affiché du bimensuel était le suivant : “Plutôt que de promouvoir le CTA, Spore vise à favoriser une diffusion aussi large que possible d’informations pertinentes pour le monde agricole, afin de fertiliser les idées et de les faire germer. C’est de cette manière terre-à-terre que Spore espère participer au processus du développement rural.”
En trois décennies, la vision mondiale du développement agricole a évolué. Le magazine aussi, passant d’un bulletin fournissant des conseils de production agricole à une publication offrant une couverture approfondie des sujets et enjeux qui concernent l’agrobusiness et l’agriculture durable et sont cruciaux pour la transformation de l’agriculture. “Le contenu de Spore est riche et varié. J’aime en particulier le Dossier qui traite d’un problème de manière rigoureuse et détaillée et donne ainsi beaucoup d’informations, ce qui favorise chez le lecteur une réflexion plus générale sur les enjeux agricoles”, expliquait ainsi Souleymane Nacro, chercheur à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles du Burkina Faso, lors d’un atelier de lecteurs de Spore en 2015. L’étude menée à l’époque a montré que Spore servait à de multiples usages : pour diffuser connaissances et améliorations pratiques des méthodes agricoles, comme activateur de nouvelles entreprises d’agrobusiness.
“Je vous écris pour vous indiquer à quel point votre publication m’a inspiré et guidé dans mes recherches”, déclarait dans un message au CTA John Gushit, chargé de cours à la Faculté des sciences naturelles de l’Université de Jos, au Nigeria, en citant un article spécifique sur un projet au Kenya, présenté dans le numéro de juin/juillet 2012 (n° 159). L’information l’a aidé à concevoir son projet de recherche visant à permettre aux petits agriculteurs d’utiliser plus efficacement et sûrement les pesticides. “Ce projet en cours aura un impact positif sur les utilisateurs de ces substances chimiques, car il encouragera les bonnes pratiques agricoles et améliorera la santé des agriculteurs”, soulignait le chercheur.
En 2010, le numéro de juin/juillet 2010 de Spore (n° 147) comprenait un court article sur un élevage de cailles en plein essor au Cameroun. L’information a attiré l’attention de Thomas Munyoro, un policier kényan à la retraite et leader de l’ONG 2010 Strategic Self-Help Group. Le retraité a fait circuler l’article au sein de la fédération nationale des producteurs agricoles du Kenya. “Mes collègues et moi-même élevions des lapins, mais, comme ils attrapaient toutes sortes de maladies, nous explorions d’autres activités”, se rappelle-t-il. L’article de Spore les a conduits à trouver à Nairobi un producteur de cailles pour les approvisionner en poussins et leur permettre de créer une entreprise de vente d’œufs de caille, très demandés pour leurs propriétés médicinales. Thomas Munyoro est vite devenu propriétaire de plus de 100 cailles pondeuses et son entreprise a prospéré.
Élargir la portée de Spore
En tant qu’institution modeste mais dotée d’un large mandat, le CTA a noué des partenariats intelligents avec des organisations d’agriculteurs, des organismes gouvernementaux, des réseaux de recherche, des groupes de jeunes et de femmes et des représentants du secteur privé. Des partenariats stratégiques ont aussi participé à la diffusion de Spore, en particulier pour élargir la portée de sa version imprimée. Le magazine peut s’enorgueillir d’avoir touché des endroits où d’autres ont eu du mal à conquérir un lectorat, tel le Sud-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), une région fortement affectée par les conflits armés pendant la période 1998-2003 et où les communications sont restées difficiles même des années plus tard.
Malgré les connexions Internet faibles ou mauvaises au Sud-Kivu, le CTA a conclu un accord de distribution de Spore avec Proximédias Libres, une entreprise locale disposant d’un bon réseau de partenaires. Avant le lancement du partenariat en 2010, Spore ne comptait que 100 abonnés au Sud-Kivu. En 2014, ils étaient 1 500, des individus , mais aussi des ONG, des églises, des clubs de radio, des écoles et des services gouvernementaux. Les magazines étaient envoyés à la capitale régionale, Bukavu, et distribués par autobus, motocyclette et pirogue, certains exemplaires étant aussi diffusés par des stations de radio et des églises. “Je suis un lecteur assidu de votre magazine, il nous apporte beaucoup, à moi et à ma petite communauté d’étudiants”, a fait part Arsène Birindwa, un lecteur de la région. “Je suis convaincu que la sensibilisation à l’utilisation des TIC en agriculture et à la valeur ajoutée aux produits agricoles rend le secteur agricole congolais de plus en plus attractif pour les jeunes et stimule leur intérêt pour l’agriculture.”
Suite à ce succès, le CTA a développé un partenariat au Cameroun avec le journal mensuel La Voix du Paysan/The Farmers’ Voice, qui distribuait Spore gratuitement. C’est ainsi qu’entre 2010 et 2013 le nombre d’abonnés recevant Spore est passé de 3 000 à plus de 7 500. Les enquêtes de lectorat au Cameroun ont montré que le magazine fournissait à plus de 50 % des personnes interrogées des informations utiles sur le développement agricole et rural dans le monde entier et dans les pays voisins. Par ailleurs, environ 16 % ont bénéficié des renseignements techniques proposés et 10 % des références et adresses utiles. En Ouganda, une enquête de lectorat semblable a fourni de nombreux exemples d’activités spécifiques inspirées par Spore, en particulier sur les pratiques après récolte, le biogaz, la culture fruitière, la pisciculture et la production légumière.
Évoluer avec son temps
Spore a toujours privilégié l’interaction avec ses lecteurs et l’échange d’idées. Dans le numéro de décembre 2012/janvier 2013 (n° 161), un lecteur écrivait ainsi : “Votre magazine a été et est toujours un allié précieux dans mon travail de conseiller du gouvernement… et me permet de me tenir au courant des derniers développements en matière d’agriculture.”
En 2006, pour les 20 ans du magazine, l’équipe de rédaction a retrouvé certains des lecteurs qui avaient manifesté leur intérêt pour Spore en 2001, à l’occasion d’une enquête de lectorat. Tibi Guissou, microbiologiste à l’institut d’agriculture INERA, a indiqué qu’il citait fréquemment Spore dans ses articles pour des magazines spécialisés. “Contrairement à d’autres publications trop axées sur un sujet unique, l’approche de Spore est plus multidisciplinaire”, expliquait le chercheur. Pour le Dr Frank E. Lawrence, un écologiste de Jamaïque, “Spore est l’une des sources les plus utiles pour trouver des informations sur les moyens d’aider et de motiver les petits producteurs”.
Ces dernières années, pour répondre aux demandes d’un public plus axé sur le numérique et attirer un lectorat plus jeune, les articlesétaient publiés en ligne, en plus de la version papier trimestrielle. Le contenu numérique augmenté propose un plus grand nombre d’articles publiés sur le site web de Spore, un bulletin bimensuel et une présence active sur les réseaux sociaux. Depuis 2017, Spore est aussi disponible sous forme d’ePub sur les principales plateformes d’e-lecture (Amazon, Apple et Google).
Une approche transformatrice
La mise en lumière de l’impact et de l’innovation en agriculture est un axe essentiel des articles de Spore, qui s’articule autour detrois domaines thématiques cruciaux pour la transformation agricole : l’entrepreneuriat, la numérisation pour l’agriculture et l’agriculture intelligente face au climat (AIC). Pour compléter les analyses approfondies, de courts articles thématiques, reportages et interviews sont rédigés par un réseau de correspondants ACP. Plusieurs de cescorrespondants (voir l’encadré) ont reçu le soutien du CTA tout au long de leur parcours journalistique et dans les médias, y compris par des formations à la diffusion radio et à la presse écrite.
Si les lettres sur papier ont disparu, les réseaux sociaux de Spore sont très utiles pour interagir avec lecteurs et collaborateurs. Par exemple, le tweet sur la présentation de Talash Huijbers, une jeune entrepreneuse, a été très repris : “Avez-vous mangé des insectes aujourd’hui au déjeuner de l’#AGRF2019 ? Excellente présentation sur l’#économie circulaire de @HuijbersTalash et sur l’utilisation d’#insectes pour l’#alimentation du bétail.”
En tant qu’équipe de rédacteurs et d’éditeurs, nous nous sommes fait l’écho du dynamisme de jeunes entrepreneurs comme ceux-ci. L’interview d’Isaac Sesi, dans la section Leader de l’agribusiness de ce numéro, reflète bien l’énergie et l’enthousiasme des jeunes pour transformer l’agriculture. En partageant cette interview sur LinkedIn, Isaac Sesi a reçu plus de 250 réactions en une semaine. Lui et Ngabaghila Chatata,de Thanthwe Farmers. En favorisant les approches d’AIC, Ngabaghila Chatata a transformé sa ferme horticole en centre d’agroentreprises qui sert annuellement d’incubateur pour plus de 3 000 jeunes et petits agriculteurs et produit toute l’année plus de 100 tonnes de fruits et légumes de grande qualité pour approvisionner les hôtels et supermarchés du Malawi. Ce numéro présente aussi le parcours de Rodgers Kirwa, un Kényan de 28 ans, qui utilise les profits de ses récoltes pour proposer, au sein de sa ferme-école iAgribiz Africa Model Farm, des formations à plus de 2 000 agriculteurs locaux, grâce auxquelles les rendements ont augmenté jusqu’à 100 % (voir Au Kenya, une ferme-école en lien avec les marchés).
Des adieux chaleureux à nos lecteurs
C’est avec beaucoup de tristesse que l’équipe de Spore prend acte de la fin de l’aventure du magazine. Les articles archivés continueront à être accessibles en ligne. L’actuelle équipe de rédaction et ses correspondants ACP sont fiers d’avoir contribué à écrire l’histoire de Spore, publié des articles sur un aussi vaste éventail de sujets et travaillé en réseau avec de nombreux partenaires et organisations. Nous vous remercions, vous, nos lecteurs : sans votre soutien et intérêt pour les informations proposées par Spore, le magazine n’aurait pas existé aussi longtemps. Spore s’arrête mais lègue à tous un héritage durable.
Susanna Cartmell-Thorp
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Soutenir la passion journalistique
Correspondant de longue date de Spore, je peux dire que le soutien du CTA m’a permis de devenir journaliste agricole. Il y a plus de 20 ans, j’ai suivi une première formation en radio pour être correspondant sur les dossiers de ressources des radios rurales (RRRP). Cela m’a permis de faire des reportages sur l’agriculture en Afrique et le rôle des petits agriculteurs dans la culture, la transformation et la commercialisation des produits alimentaires. C’est ainsi que j’ai développé des programmes radio qui ont été diffusés gratuitement dans toute l’Afrique. Ces programmes étaient souvent partagés sur cassettes et CD-Rom au sein des clubs d’agriculteurs. Certains d’entre eux m’ont dit que ces informations leur avaient permis de diagnostiquer les maladies de leurs cultures et animaux et de chercher des traitements. Il s’agissait d’une aide de poids lorsque leur accès à des conseillers en vulgarisation était limité.
Lorsque les RRRP ont cessé d’être produits, ma longue association avec le CTA m’a donné l’occasion de devenir correspondant pour Spore. Cette expérience a été très instructive et m’a permis de combiner des recherches scientifiques en agriculture, des récits d’agriculteurs, la vérification et l’analyse des faits et une certaine créativité. La couverture de conférences majeures parrainées par le CTA et la rédaction d’articles sur le travail du CTA dans les pays ACP ont également affûté mes compétences en écriture et permis aux agriculteurs de partager leurs expériences avec un vaste public. Ce travail – qui a été publié en ligne et sur papier, dont des organes de presse internationaux comme Inter Press Service– a amélioré mon profil professionnel. J’ai ainsi été invité à arbitrer les grands prix 2018 et 2019 de la Fédération internationale du journalisme agricole (FIJA), et en juillet 2019 j’ai reçu une bourse de la FIJA conçue pour offrir un perfectionnement professionnel, une formation au leadership et des opportunités de réseautage à des journalistes agricoles des pays en développement.
Busani Bafana
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Spore : un adieu chaleureux
Robert Delleré a dirigé la division technique du CTA pendant 10 ans. Il a aussi été le premier rédacteur en chef de Spore. Alors que la publication du magazine est sur le point de s’achever, il évoque avec nous l’héritage de Spore.
“Spore a eu, à différents niveaux, un impact sur bien des gens, pour la simple raison que ce magazine est tout à fait unique en son genre. Il répondait à un besoin et a donc été adopté par la communauté en charge du développement rural et agricole dans les pays ACP. Aucun autre support n’a permis à ce point la transmission et l’échange d’informations dans ce domaine.
Spore n’a cessé de s’améliorer au fil des ans : passage à la couleur et photos, publication dans de nombreuses langues et, finalement, production d’une édition numérique. Il a aussi bénéficié d’une contribution toujours plus importante des groupes cibles – producteurs, chercheurs, agents de vulgarisation agricole et responsables publics. Je ne pouvais pas rêver de meilleurs résultats.
Spore a joué un rôle majeur pour le CTA. Il a aidé le centre à se faire connaître, lui permettant ainsi d’une certaine façon de mener à bien sa mission : aider les pays ACP à parvenir à l’autosuffisance alimentaire et à protéger leur environnement. J’ai énormément de mal à me faire à l’idée que Spore disparaîtra très bientôt.”