Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.
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L’agriculture, clé de voûte des Objectifs de développement durable

Tendances

As the world’s leading employer, agriculture is key to achieving the Sustainable Development Goals

Pour atteindre les Objectifs de développement durable en 2030, les petits producteurs des pays en développement doivent être impliqués dans la transformation des systèmes agroalimentaires.

Principal employeur au monde et gagne-pain de 40 % de la population mondiale actuelle, le secteur agricole est reconnu depuis l’adoption des Objectifs de développement durable (ODD) par les Nations unies, en 2015, comme un élément central de progrès social et économique.

L’agriculture est évidemment concernée par l’objectif 2, qui vise la “Faim zéro”. Mais le secteur agricole l’est aussi par les objectifs 12 (consommation et production durables), 13 (lutte contre les changements climatiques), 14 et 15 (relatifs à la vie aquatique et la vie terrestre), de même que par l’objectif 5, qui comprend la promotion du droit à la propriété foncière des femmes. D’après le réseau Farming First, le secteur agricole est “le facteur commun qui lie les 17 ODD”.

Pourtant, l’agriculture est en échec : d’après un rapport de l’organisation internationale The Sustainable Development Goals Center for Africa, "près 
de 70 % des pays” d’Afrique régressent ainsi dans les domaines de la sécurité alimentaire et l’agriculture durable (ODD 2), de l’accès à l’énergie (ODD 7) et des écosystèmes marins (ODD 14) en 2018. “C’est la troisième année consécutive que les progrès en matière de lutte contre la faim sont bloqués et ont même régressé”, alertait le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, lors d’une conférence sur la faim et la malnutrition coorganisée avec l’IFPRI à Bangkok, fin novembre 2018.

Nourrir 10 millions d’individus

Dans ce contexte, comment transformer les systèmes agroalimentaires mondiaux et s’assurer que les producteurs des pays ACP bénéficient des changements ? La FAO a listé les facteurs influant sur l’avenir de l’agriculture et des systèmes agroalimentaires : croissance démographique, urbanisation, changement climatique, progrès technologiques, choix alimentaires, partage des richesses, état des ressources naturelles, conflits et paix… Autant de facteurs dont il est difficile de prédire l’évolution. Seule certitude : les agriculteurs devront produire plus avec moins de ressources disponibles, tout en préservant l’environnement, afin de satisfaire les besoins d’une population mondiale qui devrait atteindre 10 milliards d’individus en 2050.

D’après World Resources Institute, nourrir la population mondiale de façon durable à cet horizon, par rapport à 2010, requerra de combler trois “fossés” : il faudra produire 56 % de calories de plus ; consacrer 593 millions d’hectares supplémentaires à l’agriculture (soit deux fois la taille de l’Inde) ; éviter l’émission de 11 gigatonnes de gaz à effet de serre pour maintenir l’élévation de la température globale sous les 2 °C. Impossible, prévient l’institut, sans agir collectivement avec les 700 millions de petits producteurs mondiaux afin de transformer durablement les systèmes agroalimentaires et les chaînes de valeur.

En effet, d’après le dernier rapport onusien sur La sécurité alimentaire et la nutrition dans le monde, si rien ne change, on comptera encore 653 millions de personnes mal nourries en 2030.

Une approche plus holistique

Les progrès à accomplir sont énormes, mais pas impossibles. Premier changement remarquable : en plaçant l’agriculture au centre des ODD, la communauté internationale a fait évoluer l’approche du secteur. “Il y a une tendance vers une approche holistique des systèmes agroalimentaires, plaçant l’agriculture au centre de multiples résultats de développement, interconnectée avec des problèmes majeurs comme la pauvreté, le changement climatique et la santé”, explique à Spore le directeur général de l’IFPRI, Shenggen Fan. “Alors qu’auparavant les politiques et programmes se concentraient principalement sur l’urbanisation rapide et les zones urbaines, il est désormais davantage question de revitaliser les zones rurales en même temps.”

Cette nouvelle approche vise surtout à contrebalancer le poids que l’urbanisation et la croissance des classes moyennes font porter sur les systèmes agroalimentaires. Elle permettrait aussi de stimuler la demande nationale et de réduire la dépendance aux exportations vers d’autres pays, souligne le représentant de l’IFPRI.

Au Kenya, par exemple, l’entreprise Bio Food Products Ltd, soutenue par l’USAID, a aidé les producteurs à accéder à des financements, des équipements et des formations pour produire du lait de qualité. Résultat : les éleveurs ont de bien meilleurs revenus, les citadins ont accès à des produits laitiers de qualité et l’entreprise fait des bénéfices (lire notre article Agri-investissement : les produits laitiers kényans ont la cote).

Les propositions d’action pour parvenir à la transformation de l’agriculture ne manquent pas. La FAO a par exemple établi une liste de “20 actions”, “intégrées et interdépendantes”, censées “mettre en relation les nombreuses facettes de l’agriculture et du développement rural avec le programme de développement global d’un pays donné, jetant ainsi les bases de sociétés résilientes et durables”. Cela va de la facilitation de l’accès au financement et aux marchés jusqu’à la lutte contre le changement climatique et la réforme du cadre institutionnel.

Dans une note récente, le programme de recherche du CGIAR sur le changement climatique, l'agriculture et la sécurité (CCAFS) propose un plan en six étapes pour transformer les systèmes alimentaires dans un contexte de changement climatique. Ces étapes consistent à renforcer les organisations d’agriculteurs et de consommateurs, qui doivent jouer un rôle central dans la transformation agricole ; faire entrer les systèmes alimentaires dans l’ère digitale ; changer l’échelle des pratiques et des technologies résilientes face au climat ; favoriser le financement innovant pour mobiliser les investissements publics et privés ; repenser les chaînes de valeur, la distribution alimentaire et l’approvisionnement ; enfin, soutenir l’égalité des sexes, les compétences et les politiques. De son côté, l’IFPRI classe les “accélérateurs” de changement pour éradiquer la faim et la malnutrition en trois catégories : les stratégies nationales ; les politiques, programmes et institutions ; les technologies. En pratique, cela peut se faire via des réformes axées sur les marchés et l’investissement public, des programmes de protection sociale en faveur de la nutrition ou l’utilisation des technologies de big data et de communication dans les chaînes de valeur.

La clé est l’innovation

Dans tous les cas, la clé est l’innovation. L’accent est chaque fois mis sur le besoin de définir de nouveaux modèles commerciaux et agricoles. De manière générale, Shenggen Fan souligne que “l’adoption de stratégies climato-intelligentes avec des bénéfices multiples peut aider les petits producteurs à renforcer leur résilience climatique et améliorer la productivité d’une manière durable et respectueuse de l’environnement”. Le CTA, par exemple, concentre ses interventions sur l’accès à des solutions intelligentes face au climat, les politiques pour la lutte contre le changement climatique, l’assurance météorologique indexée, les semences et cultures résilientes à la sécheresse, enfin l’adoption de solutions intelligentes face au climat.

Comme la plupart des experts, le directeur général de l’IFPRI insiste sur l’importance des “technologies agricoles innovantes”. Parmi ces innovations, les technologies digitales ont le vent en poupe et ont montré leur utilité pour offrir des services de financement – surtout pour les femmes –, un accès aux informations météorologiques ou des conseils agricoles, un accès aux intrants, ou encore en promouvant l’agriculture de précision.

“Nous avons fait l’expérience que les technologies mobiles aident les agriculteurs en Ouganda et au Kenya à accéder aux marchés de manière juste et transparente, ce qui aurait été impossible sans l’utilisation de technologies”, témoigne Ray Jordan, PDG de Self Help Africa et porte-parole du réseau Farming First. Il cite ainsi l’exemple de TruTrade, une entreprise sociale qui connecte les producteurs aux marchés. “Cette plateforme commerciale met en évidence la chaîne de valeur et offre aux agriculteurs une visibilité de tous les coûts associés à l’accès de leurs produits aux marchés.”.

Lors de la conférence du Forum global pour l’alimentation et l’agriculture, à Berlin, en janvier 2019, les ministres de l’agricultures de 74 États ont ainsi appelé à “utiliser le potentiel de la digitalisation pour augmenter la production et productivité agricole, tout en améliorant la durabilité, l’usage efficace des ressources, l’emploi et les opportunités entrepreneuriales et les conditions de vie, surtout dans les zones rurales”.

Les décideurs politiques, des acteurs indispensables

Pour que les technologies jouent leur rôle de disruption ou de transformation, deux autres ingrédients sont nécessaires : un cadre politique adéquat et des investissements publics et privés suffisants. “Pour une véritable transformation au sein des systèmes alimentaires – qui permet une sécurité alimentaire et nutritive pour tous, aujourd’hui et demain – la politique doit créer des incitations, permettre l’égalité des chances, assurer le soutien aux laissés-pour-compte, et catalyser les investissements et l’action au sein des systèmes alimentaires qui atteignent les ODD et les objectifs de l’Accord de Paris”, analyse le CCAFS.

L’Éthiopie, par exemple, fait preuve depuis deux décennies d’une politique volontariste en la matière. Les ODD sont partie intégrante des plans nationaux de développement – Plan de croissance et de transformation (GTP) – qui déterminent, secteur par secteur, les objectifs à atteindre. À ce titre, l’Agence de transformation de l’agriculture (ATA) chapeaute 25 projets d’envergure nationale autour des axes “production et productivité” et “agribusiness et marchés”. Ces projets concernent la mise au point et la distribution de semences améliorées, la cartographie de la qualité des sols, la formation de coopératives d’agriculteurs, l’aide à l’accès aux marchés, le développement de services agricoles ruraux… D’après le PNUD, la production agricole éthiopienne est en forte croissance depuis plus d’une décennie, les producteurs reçoivent des formations et davantage d’intrants, et la sécurité alimentaire s’améliore malgré des sécheresses récurrentes.

Le secteur privé à la rescousse

Autre facteur de transformation important : le financement. Le directeur général de la FAO Graziano da Silva relevait, lors de la conférence de Bangkok, que quelques 265 milliards de dollars (231 millions d’euros) par an seront nécessaires pour éradiquer la faim et la pauvreté dans le monde d’ici 2030. Le secteur privé est appelé à la rescousse, dans un contexte où le secteur public se retire : les aides à l’agriculture dans les pays en développement ont atteint 12,5 milliards de dollars (11 milliards d’euros) en 2016, soit 6 % des sommes débloquées par les donateurs, contre 20 % dans les années 1980.

Au-delà de la seule question financière, des partenariats avec le secteur privé – entrepreneurs, organisations d’agriculteurs, coopératives, PME et multinationales – permettent de mettre au service du développement des savoir-faire, des technologies, des transferts de connaissances, mais aussi de stimuler les innovations, de créer des emplois et des sources de revenus diversifiées.

“Les entreprises doivent jouer un rôle”, plaide aussi Paolo Barilla, vice-président du Centre Barilla pour l’alimentation et la nutrition. Cela consiste, pour l’entreprise, à s’associer “avec les producteurs autour de notre matière première la plus pertinente : le blé dur nécessaire à nos pâtes. Ensemble, nous combinons la sagesse de nos ancêtres, en alternant les cultures, avec des outils modernes tels que des technologies avancées de prévision météo. Les agriculteurs diminuent ainsi leur usage de fertilisants et leurs terres restent fertiles. C’est une situation triplement gagnante : les agriculteurs diminuent leurs dépenses, Barilla obtient une meilleure matière première et les sols sont en meilleure santé”.

De nouveaux régimes alimentaires

Enfin, les changements doivent aussi se faire dans l’assiette. La FAO estime qu’“environ un tiers des aliments produits dans le monde pour la consommation humaine chaque année – soit 1,3 milliard de tonnes – est perdu ou gaspillé”. Mi-janvier, une commission d’experts proposait, dans The Lancet, une “grande transformation alimentaire”. Estimant que l’apport nutritionnel journalier adéquat est de 2 500 calories – les pays riches affichent une moyenne de 3 700 calories, contre 2 200 calories pour les pays en développement – les experts recommandent de “doubler la consommation mondiale de fruits, de légumes, de noix et de légumineuses” et de “réduire de plus de 50 % celle de viande rouge et de sucres”. De quoi ouvrir de nombreuses opportunités de développement pour les petits producteurs du monde entier.

Le défi des données

Sans données fiables et mises à jour, comment définir les politiques permettant d’atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) ? “Il existe des inégalités considérables et croissantes d’accès aux données et aux informations ainsi que de capacité à les utiliser”, notait, en 2014, le Groupe consultatif d'experts indépendants du Secrétaire général (des Nations unies) sur la révolution des données pour le développement durable (IEAG). Leur rapport A world that counts appelait à une “révolution de l’information”. Ils pointent deux défis : l’invisibilité (ce que nous ne savons pas, faute de données) et les inégalités (entre ceux qui possèdent des informations et ceux qui en sont privés, ainsi que ce à quoi servent ces informations). Pour y répondre à ces défis – c’est l’objectif des Briefings de Bruxelles organisés par le CTA, fin février 2019 – les initiatives sont nombreuses. Parmi celles-ci, l’organisation GODAN (Global Open Data for Agriculture and Nutrition) propose la mise en place d’un portail accessible par les gouvernements, les Nations unies, la société civile et le secteur privé afin de créer une responsabilisation et une transparence des progrès réalisés et du chemin à parcourir pour atteindre les ODD (lire Les données sont très précieuses pour la chaîne de valeur). Pour l’heure, note GODAN, “le manque criant de données ouvertes sur les contributions dans les domaines de l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition ne permet pas à la communauté mondiale de savoir si l’ODD 2 sera atteint en 2030”.

Spore : retour sur 30 ans de transformation agricole

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En 34 ans de publication, Spore s’est installé dans le paysage agricole comme une référence au service d’une transformation durable. Cette aventure prend fin avec ce dernier article Tendances, dans lequel nous revenons sur l’héritage légué par le magazine phare du CTA et son évolution d’un simple bulletin technique à une publication exhaustive en ligne et sur papier.

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Des fonds de financement pour l’agriculture africaine

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Les fonds d’investissement à impact social deviennent l’instrument privilégié des gouvernements et bailleurs de fonds pour encourager le secteur privé à investir dans l’agriculture africaine.

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