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Les petits producteurs donnent de la voix

Tendances

Les organisations d'agriculteurs peuvent guider leurs membres dans leurs positions sur des sujets politiques comme les investissements agricoles et les règlementations sur la gestion des produits après la récolte.

© IFAD/Susan Beccio

Politiques agricoles

Mieux organisés et formés, les agriculteurs des pays ACP sont de plus en plus impliqués dans l’élaboration des politiques et stratégies agricoles. Leurs intérêts sont ainsi mieux défendus.

Propriété des terres, développement des infrastructures, impôts et subventions, accès aux marchés… Tous ces domaines sont largement déterminés par les lois et les règles décidées par les gouvernements, mais surtout il s’agit de sujets qui ont un impact direct considérable sur la vie et le travail des petits producteurs. Ces derniers ont-ils pour autant leur mot à dire ?

“Aujourd'hui, en Afrique, les organisations paysannes (OP) sont parties prenantes des discussions sur la politique agricole dans pratiquement tous les pays et dans toutes les organisations d'intégration régionale”, affirme Jean-Philippe Audinet, spécialiste technique principal des organisations de producteurs et du développement rural au FIDA, le Fonds international de développement agricole. “Au Sénégal, en Gambie, au Mali, au Burkina, mais aussi en Ouganda, au Burundi, au Kenya ou à Madagascar, les OP ont une base d'adhérents massive qui leur confère une grande légitimité dans la représentation des intérêts des producteurs agricoles.”

Ainsi, poursuit le spécialiste, en Afrique de l’Ouest, 10 des 13 OP nationales membres du ROPPA, le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l'Afrique de l'Ouest, participent étroitement aux processus d'élaboration et de mise en œuvre des politiques agricoles nationales – contre sept en 2015 – et le ROPPA est associé à la politique agricole de la CEDEAO. La même tendance est observable dans les autres régions du continent.

Lorsqu’il s’agit de faire entendre la voix des petits producteurs, le rôle des OP varie en fonction des priorités des unes et des autres. “Donner à des petits producteurs (en particulier les femmes) une plateforme appropriée pour défendre leurs droits et plaider pour des politiques favorables est au cœur de l’émancipation. Ces plateformes connectent les producteurs aux responsables publics et donnent aux OP un meilleur accès aux décideurs politiques et aux institutions agricoles”, relève Oxfam dans une note intitulée “Pouvoir, droits et marchés inclusifs. Les politiques publiques qui soutiennent la petite agriculture” (Power, Rights and inclusive markets. Public policies that support small-scale agriculture). “De façon significative, les organisations de producteurs donnent à ceux qui sont marginalisés un poids politique plus fort”, affirment les auteurs du rapport d’Oxfam.

“Ne pas perdre le soutien des agriculteurs”

“Quand les organisations d’agriculteurs sont impliquées dans la formulation de politiques, de stratégies et de programmes, elles ont plus de chances de participer à leur mise en œuvre”, explique John Ulimwengu, chercheur senior à l’Institutinternational de recherche sur les politiques alimentaires(IFPRI). “Si les agriculteurs ne sont pas impliqués dans l’élaboration des politiques, la mise en application en souffrira. La réussite de l’implémentation d’une initiative agricolerequiert la pleine participation de toutes les parties prenantes. Les producteurs sont des acteurs importants des chaînes de valeur agricoles. Perdre leur soutien met à mal l’initiative entière.”

Les organisations d’agriculteurs jouent donc un rôle crucial et sont des interlocuteurs privilégiés des autorités locales, nationales ou régionales pour définir les politiques agricoles. C’est en partant de ce constat qu’a été mis en place, entre 2013 et 2017, le Programme de soutien aux organisations d’agriculteurs en Afrique (Support to Farmers’ Organisations in Africa Programme- SFOAP) – soutenu par le FIDA, l’UE, l’Agence française de développement et l’Agence suisse pour le développement et la coopération. Les OP impliquées ont pu se structurer, leurs membres et leaders ont été formés à la pratique du plaidoyer ou à l’élaboration de plans commerciaux. En Afrique australe, par exemple, la participation des OP nationales aux groupes de travail sur les politiques a augmenté de 90 %. Par ailleurs, le nombre d’adhérents a fortement progressé – + 32 % en Afrique de l’Est, + 8 % en Afrique centrale, + 28 % en Afrique australe – et 12 millions d’euros au total ont été levés auprès de sources publiques par les OP elles-mêmes.

Dans toutes les régions d’Afrique, les organisations d’agriculteurs sont désormais davantage impliquées dans les discussions avec les autorités et la définition des politiques agricoles nationales. L’un des succès politiques les plus notables est l’adoption en 2015, sous la pression de la Fédération des agriculteurs d’Afrique de l’Est (EAFF), par l’assemblée législative d’Afrique de l’Est (EALA), d’une loi sur les coopératives (Cooperative Societies Bill). Cette loi cherche à créer un cadre régional harmonisé permettant aux coopératives de mieux fonctionner, à faciliter la coopération transnationale et à renforcer l’intégration régionale. L’EAFF a mené un long et minutieuxtravail de consultation, de plaidoyer et de rédaction de la loi. Il reste désormais à chaque État à ratifier le texte pour qu’il ait force de loi dans les pays.

Très influente, l’EAFF a enregistré d’autres succès. “Nous avons assisté nos membres pour plus de 25 prises de positions politiques concernant des sujets tels que l’investissement agricole, les systèmes de reçus d‘entrepôts, le changement climatique, les régulations concernant les plants, le traitement post-récolte, autant de positions destinées à obtenir des politiques ou régulations soutenant la communauté des petits producteurs qui constituent la majorité de nos membres”, indique Norbert Tuyishime,
responsable de l’agribusiness et du commerce à l’EAFF.

Indispensables à une juste formulation et mise en œuvre des politiques agricoles, les OP servent d’abord souvent aux petits producteurs, au sein de leur village ou de leur région, à “partager leurs expériences comme la sélection des plants, les techniques et périodes de plantation, l’épandage de fertilisants et les techniques de récolte”, précise John Ulimwengu, de l’IFPRI. “Néanmoins, la plupart d’entre elles manquent des compétences analytiques requises pour identifier et articuler proprement des options politiques”, ajoute le chercheur.

De nombreux défis

“En général, les organisations des zones rurales font souvent face à des difficultés pour participer au processus de dialogue et d’élaboration des politiques”, explique Elisenda Estruch-Puertas, spécialiste de l’économie rurale à l’Organisation internationale du travail (OIT). “Dans les zones rurales, les syndicats et les organisations d’employés ont tendance à être fragmentés et à enregistrer des niveaux d’adhésion plus bas. La prise de conscience de leur liberté d’association et de leur droit à participer collectivement aux discussions est souvent restreinte. Tous ces défis sont aggravés par la pauvreté et l’informalité, de même que par l’éloignement des communautés rurales et la variété des catégories de travailleurs, principalement composées de travailleurs indépendants, saisonniers, informels et migrants.”

Les TIC à la rescousse

Il existe aussi un manque notable de données fiables et de moyens de mobilisation des agriculteurs. C’est pourquoi, soutenue par le CTA, la Southern African Confederation of Agricultural Unions (SACAU) a développé un système électronique de gestion des données des membres pour le Syndicat agricole national du Swaziland (SNAU, Swaziland National Agricultural Union). “L’accumulation de données renforce la légitimité des organisations paysannes tout en leur octroyant des outils qui leur permettent de mieux prendre en charge les intérêts de leurs membres. Elles ont alors les moyens nécessaires pour se positionner comme intermédiaires entre les agriculteurs, les décideurs politiques et les autres acteurs de la chaîne de valeur”, écrit Fhumulani Mashau, chef de projet à la SACAU, dans ICT Update. Résultat : “Le projet et son exposition ont permis à la SNAU de devenir un partenaire de choix auprès de diverses parties prenantes, dont le gouvernement, pour les initiatives impliquant les agriculteurs. Ce succès a également renforcé le statut de la SNAU, considérée comme une référence du traitement des données sur les agriculteurs du pays”, confirme Nqobizwe Dlamini, coordinateur de projet à la SNAU.

Faire du plaidoyer pour défendre les intérêts des agriculteurs réclame aussi parfois un certain talent diplomatique. “Le plaidoyer politique est une tendance très nouvelle dans le Pacifique et pour les organisations d’agriculteurs”, observe Lavinia Kaumaitotoya, manager de programme au sein du Réseau des organisations d’agriculteurs des îles du Pacifique (Pacific Island Farmers Organisation Network - PIFON). “Comme la région Pacifique est petite, le sujet revient à comment faire du plaidoyer sur des problèmes et avoir un impact sur la politique sans détruire les relations dont nous aurons besoin plus tard pour continuer à être efficace afin de servir et représenter nos membres. Dans le Pacifique, les relations sont importantes, les familles aussi, et c’est tout un art d’être capable de jongler avec cela. On appelle cela ‘la touche Pacifique’.”

À ces fins, l’organisation s’est dotée de deux “notes de politiques” sur la vulgarisation et la recherche agricoles, ainsi que d’une vidéo sur les impacts du changement climatique. Ces documents servent aux représentants du PIFON et à ses organisations membres aux niveaux nationaux de support pour sensibiliser les producteurs à ces sujets et à leurs droits. En particulier, le PIFON a mis au point un “guide”intitulé “Les agriculteurs ont leur mot à dire” (Farmers having their say). Ce document d’une cinquantaine de pages détaille, entre autres, “les cinq étapes de l’influence politique”en s’appuyant sur des cas concrets. Maria Linibi, une agricultrice, dit ainsi : “Le réseautage et l’élaboration de relations ont été des facteurs clés pour le succès de l’organisation Femmes de Papouasie-Nouvelle-Guinée dans l’agriculture (Papua New Guinea Women in Agriculture), contribuant à renforcer notre visibilité et nous permettant d’influencer les décisions et d’être impliquées dans des projets innovants.”

Jean-Philippe Audinet, du FIDA, prévient : “Nous ne sommes plus à l'époque des grands appareils publics de vulgarisation, des fermes d'État et des coopératives parapubliques. La mise en œuvre d'une politique agricole à la fois moderne, inclusive et efficace ne peut pas se faire sans les agriculteurs et leurs organisations.” Pour cela, il faut ajouter au dialogue des moyens financiers, une administration efficace, des plateformes par filière, un système de suivi-évaluation et de la continuité dans les actions. “L'efficacité des politiques agricoles se construit et se juge dans la durée. Pas dans les quelques mois ou années d'un ministre ou d'un projet de développement.” 

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