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Des fonds de financement pour l’agriculture africaine

Tendances

Incofin Investment Management apporte un soutien financier et technique à des petits producteurs et des entreprises de l’agribusiness.

© Incofin Investment Management

Les fonds d’investissement à impact social deviennent l’instrument privilégié des gouvernements et bailleurs de fonds pour encourager le secteur privé à investir dans l’agriculture africaine.

Les investissements dans l’agriculture africaine augmentent plus rapidement que jamais. À l’avant-garde : une nouvelle vague de fonds de financement et d’investissement mixtes à impact social. L’impact de ces fonds sur l’existence des petits agriculteurs est de mieux en mieux documenté et indique que l’investissement dans l’agriculture africaine peut être profitable pour les acteurs du secteur privé, à condition que les financements aillent aux bons projets et que les risques soient bien gérés.

Les organismes de développement et les investisseurs privés cherchent de plus en plus à combler la faille persistante qui handicape l’agrofinance africaine en s’engageant dans des fonds d’investissement agricoles, dont le nombre et la taille ont rapidement augmenté depuis le début de la décennie, selon un rapport de 2018 de la FAO intitulé Agricultural investment funds for development. Il apparaît que les pénuries alimentaires et la hausse du prix des aliments ont fait remonter le niveau de priorité de l’investissement agricole dans l’agenda des gouvernements et des organismes de développement, rendant le secteur potentiellement plus rentable pour les investisseurs du secteur privé.

De nombreux fonds utilisent une structure de financement mixte, ce qui pourrait être un élément catalyseur pour encourager davantage d’investissements dans l’agriculture. C’est ce qu’estime Jerry Parkes, gestionnaire d’investissements axés sur l’Afrique, qui en 2009 a créé un fonds d’investissement à capital fixe de 43,8 millions d’euros, Injaro Agricultural Capital Holdings Ltd (IACHL). Celui-ci a pour l’instant déployé 30,4 millions d’euros, fournissant capitaux, conseils commerciaux et développement des capacités à des PME agricoles d’Afrique occidentale.

Selon Jerry Parkes, l’expertise de ces fonds d’investissement en matière de ciblage et de mesure de l’impact, par comparaison avec les banques commerciales généralistes habituellement visées par les donateurs, augmente considérablement la probabilité que les capitaux touchent les bénéficiaires ciblés et des chaînes de valeur à plus haut risque. IACHL a pour l’instant bénéficié à 900 000 petits agriculteurs et personnes à faibles revenus, avec un objectif final de 1,125 million d’ici 2023.

Les fonds d’Injaro ont aidé la marque ghanéenne d’aliments pour animaux Agricare à mettre en œuvre en 2016 un programme pilote d’aide aux petits agriculteurs locaux pour augmenter leur fourniture de maïs. À son lancement, 210 fermiers étaient concernés, avec 250 hectares cultivés. Fin 2017, le programme bénéficiait à environ 1 200 petits agriculteurs exploitant plus de 2 580 hectares. Selon Agricare, on devrait porter ces chiffres à 4 000 petits agriculteurs et 6 000 hectares d’ici 2022.

Les entreprises intermédiaires en ligne de mire

Les fonds d’investissement à impact social sont idéaux pour atteindre les agroentreprises intermédiaires – trop importantes pour le microfinancement mais nécessitant des apports de capitaux de 20 000 à 1 million d’euros, selon Florian Kemmerich, directeur associé de Bamboo Capital Partners. Pour obtenir une rentabilité financière de 8 à 12 % visée par les investisseurs du secteur privé, il faudrait des fonds réguliers prêtés à des taux d’intérêt allant jusqu’à 50 %. Toutefois, en protégeant les investissements privés avec l’argent des bailleurs de fonds privilégiant la préservation des capitaux plutôt que les rendements financiers, les acteurs du secteur privé acceptent un rendement financier plus faible en échange d’une réduction des risques.

En collaboration avec Injaro, Bamboo gère le fonds ABC ou Fonds d’investissement pour l’entrepreneuriat agricole du Fonds international de développement agricole (FIDA), lancé en février 2019 pour faciliter l’accès aux prêts et éventuellement l’investissement de capitaux des PME rurales, organisations d’agriculteurs, entrepreneurs agricoles et institutions financières rurales du monde entier. Ce fonds à capital variable, également soutenu par l’AGRA, l’UE, le groupe ACP et le gouvernement du Luxembourg, vise à attirer 200 millions d’euros d’investissements sur les dix prochaines années. Il a pour l’instant obtenu des engagements à hauteur de 50 millions d’euros dans la tranche de premières pertes et espère en assurer 50 supplémentaires dans les trois à six prochains mois, avant de se tourner vers des investisseurs privés, selon Florian Kemmerich.

L’initiative AgriFI, financée par l’UE, a aussi annoncé en avril 2019 son très attendu premier investissement. Elle doit injecter jusqu’à 5 millions d’euros sous forme d’actions à long terme dans le Fairtrade Access Fund (FAF, Fonds d’accès au commerce équitable) d’Incofin Investment Management, qui soutient les petits agriculteurs, PME agricoles et institutions financières axées sur l’agriculture en leur fournissant un appui financier et technique.

Depuis sa création en 2012, le FAF a déboursé plus de 164,5 millions d’euros répartis en 196 investissements qui ont eu un impact sur plus de 254 000 petits agriculteurs africains et latino-américains. Le dispositif d’assistance technique du FAF, qui utilise des subventions pour améliorer la productivité, la réduction des maladies et l’accès aux marchés pour les organisations d’agriculteurs, a aussi touché plus de 54 000 petits agriculteurs dans 10 pays.

Une performance financière mitigée

Les fonds d’investissement associant capitaux du secteur privé et fonds publics ou provenant de donateurs doivent évidemment donner des résultats tout en offrant aux investisseurs des rendements financiers attractifs, ce qui s’est avéré difficile. Selon Calvin Miller, ancien responsable de l’agribusiness et du financement à la FAO et coauteur du rapport sur les fonds d’investissement agricoles, des crises comme l’épidémie de rouille du caféier qui sévit en Amérique latine depuis 2011/2012 ont amoindri la performance de certains fonds exposés à ce problème dans la région, ou rappelé aux investisseurs potentiels que l’agriculture africaine est confrontée à des risques équivalents.

Le FAF génère aujourd’hui une rentabilité des capitaux propres de 2 à 3 %, ce qui contribue à attirer de nouveaux investisseurs, tel le gestionnaire de patrimoine suisse Lombard Odier en 2018. Les fonds récemment injectés par AgriFI rassurent aussi de nouveaux investisseurs et, selon Loïc De Cannière, plusieurs ont contacté le fonds depuis l’annonce de l’investissement d’AgriFI. Il ajoute que la nature très tangible de l’agriculture intensifie leur engagement envers les objectifs globaux du fonds.

Mobiliser les capitaux africains

En Afrique, les chaînes de valeur locales, où les investisseurs sont exposés au risque de change, restent mal soutenues par les fonds à impact social. Comme de nombreux fonds, le FAF s’intéresse essentiellement aux chaînes de valeur axées sur l’exportation, avec des prix fixés en devises fortes comme le dollar américain ou l’euro.

L’investissement intérieur est une source importante de capitaux pour l’agriculture, et les bailleurs de fonds, prêteurs et entreprises africains font circuler les devises africaines tout au long des chaînes de valeur agricoles. Mais l’essentiel des sommes injectées dans ces fonds provient de l’extérieur du continent.

La faiblesse de l’inclusion financière signifie qu’une part relativement modeste des sommes circulant dans les économies africaines parvient jusqu’aux banques, remarque Carlijn Nouwen, associée chez Dalberg Global Development Advisors. Les banques sont ainsi sous-capitalisées par rapport aux institutions européennes ou nord-américaines, ce qui diminue les sommes disponibles pour prêter à l’agriculture.

Les banques commerciales locales se heurtent aussi à des obstacles externes. Alors que les agriculteurs se plaignent souvent de leurs exigences irréalistes en matière de garanties, Carlijn Nouwen souligne que celles-ci sont imposées aux banques par les régulateurs chargés de maintenir la stabilité des systèmes financiers. Les forts taux d’intérêt appliqués aux prêts agricoles reflètent aussi les coûts de fonctionnement élevés des banques et l’agriculture doit concurrencer des secteurs à plus faible risque et à rendement plus élevé pour obtenir des capitaux. Dans toute l’Afrique, le financement des petites agroentreprises reste donc essentiellement informel.

Il y a cependant des signes de progrès. En Ouganda, aBI Finance, un instrument de financement offrant aux prêteurs locaux des garanties fournies par le gouvernement ou les bailleurs de fonds pour 50 % de leur portefeuille agricole, a contribué à encourager les banques et institutions de microfinance (IMF) à prêter davantage au secteur, explique Loïc De Cannière. Les garanties d’aBI ont ainsi aidé la Finance Trust Bank nationale à constituer un portefeuille de crédit comportant presque 30 % de prêts agricoles. Il est financé par près de 35,8 millions d’euros de dépôts d’épargnants locaux ougandais remplaçant ce que la banque aurait auparavant emprunté à l’étranger.

“Sur la même longueur d’onde”

Pour amener des fonds africains et étrangers à soutenir l’agriculture, bailleurs de fonds et emprunteurs doivent être “sur la même longueur d’onde”, avec des intérêts étroitement liés, affirme Carlijn Nouwen. Les fournisseurs d’intrants, par exemple, font de plus en plus crédit aux agriculteurs en n’exigeant le paiement des engrais ou semences qu’après la vente des récoltes. Ce système, bien qu’informel, constitue une source vitale de financement en nature sur laquelle comptent les agriculteurs. Ces fournisseurs d’intrants dépendent de la clientèle que constituent les agriculteurs et n’ont pas d’autre choix que de continuer à leur fournir ce type de crédit, même après des défauts de paiement et des années catastrophiques.

De même, le succès de Babban Gona, une entreprise sociale nigériane appartenant à des investisseurs, est inextricablement lié à celui de ses membres. Selon Carlijn Nouwen, Babban Gona travaille en étroite collaboration avec les agriculteurs pour concevoir et mettre en œuvre un ensemble de formations, d’intrants, d’accords d’écoulement, de services de commercialisation et de mesures d’incitation profitant aux deux parties. “Il n’y a pas un levier unique à actionner pour changer l’agriculture – c’est tout un éventail de choses sur lesquelles il faut s’appuyer”, précise-t-elle.

Les institutions de financement du développement (IFD) étudient aussi de plus près les solutions de financement mixte. Jerry Parkes et Florian Kemmerich espèrent que la BAD, présente au lancement du fonds ABC, finira aussi par investir. Ils estiment que cela pourrait ouvrir la voie à d’autres investissements par les IFD et les gouvernements africains dans l’ABC et d’autres fonds rivaux à impact agricole.

Un signe encourageant montre que les gouvernements africains commencent aussi à voir le potentiel des fonds à impact social : selon Florian Kemmerich, le gouvernement du Togo a décidé en mars 2019 de fournir un financement de démarrage au fonds BLOC de financement mixte de Bamboo, qui investit dans les entreprises utilisant la technologie pour résoudre des problèmes sociaux et environnementaux. Il précise que, à une période où les avancées technologiques comme la blockchain et les énergies renouvelables offrent des opportunités pour que les PME africaines créent des entreprises et se connectent aux marchés, les gouvernements tiennent à jouer un rôle catalyseur dans la réduction de la pauvreté en attirant des capitaux privés vers des secteurs comme l’agriculture.

Miser sur la durabilité

Les fonds à impact social constituent un nouvel élément bienvenu dans le paysage limité des instruments de financement disponibles pour l’agriculture, reconnaît Carlijn Nouwen. Alors que les tranches de premières pertes et les fonds subventionnés ont enregistré de bons résultats pour ce qui est d’attirer les investisseurs du secteur privé et d’encourager les banques locales et les IMF à accorder des prêts, ces bailleurs de fonds se désengagent trop souvent des chaînes de valeur plus risquées une fois les incitations supprimées. Elle fait donc valoir que les donateurs et les gouvernements doivent garder cela à l’esprit lorsqu’ils investissent et conclut que ce n’est qu’en finançant des cultures et projets susceptibles de générer des profits durables pour les acteurs du secteur privé que le “capital catalytique” méritera véritablement son nom.

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Comment fonctionnent les fonds d’investissement à impact social

Les fonds de financement et d’investissement mixtes à impact social associent fonds publics et privés pour obtenir un résultat social ou environnemental spécifique et un rendement financier. Les investisseurs publics assument une plus grande part du risque total de ces fonds, pour des rendements nuls ou faibles, tandis que les investisseurs privés sont encouragés à financer un secteur où une haute prise de risques devrait normalement rapporter des profits élevés. Les fonds peuvent être divisés en deux tranches ou portions, ou davantage. La tranche fondamentale – parfois appelée capital catalytique parce qu’elle sert à attirer d’autres investissements – se compose de sommes données ou investies sous forme d’actions à long terme par des organisations philanthropiques, gouvernements ou banques de développement. Elle sert à absorber les premières pertes, ce qui signifie qu’à la chute éventuelle de la valeur du fonds global ces sommes amortiront une proportion initiale des pertes, avant que les autres investisseurs n’en subissent eux-mêmes. Elle peut aussi servir à financer une assistance technique qui, en agriculture, pourrait consister à former les agriculteurs pour améliorer les rendements, afin de réduire le risque pour les bailleurs de fonds que les bénéficiaires ne remboursent pas leurs dettes ou ne constituent pas un investissement rentable. Les sommes investies par le secteur privé sont généralement placées dans une tranche distincte dont le taux d’intérêt ou le rendement des actions sont plus élevés – bien que ces bénéfices restent inférieurs aux exigences habituelles, la tranche de premières pertes ou d’assistance technique ayant réduit les risques. Elles sont souvent appelées “capital senior”, ce qui signifie que ces investisseurs sont les premiers à être remboursés en cas de liquidation du fonds.         

How impact investment funds work

Blended finance impact investment funds combine public and private sector money to achieve a specific social or environmental impact, as well as a financial return. The idea is that public investors shoulder more of the fund’s total risk for no or low returns so private investors are encouraged to fund an area where high risks mean they would usually have to be rewarded with high profits.

Funds can be divided into two or more ‘tranches’ or portions. One tranche – sometimes referred to as ‘catalytic capital’ because it helps the fund pull in other investments – is filled with money that is either donated or invested as long-term equity by philanthropic organisations, governments or development banks. This can play a ‘first loss’ role, meaning that if the value of the overall fund falls, an initial proportion of any losses will be absorbed by this pile of money, before other investors take a loss on their investments. It can also be used to pay for technical assistance which, in agriculture, could involve training farmers to improve yields to reduce the risk that beneficiaries will not repay debt or prove a profitable investment.

Money from private sector investors is typically put into a separate tranche, often referred to as ‘senior capital’, which earns a higher interest rate or equity return. However, the reduced risk – due to the technical assistance or ‘first loss’ tranche – means that investors are happy to accept lower interest rates than they would usually demand.

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