Biofortification
La création de variétés plus nutritives par la biofortification apporte des nutriments indispensables et contribue à l’amélioration des régimes alimentaires dans les communautés rurales.
Près de 2 milliards de personnes souffrent de carence en fer, et un quart de la population mondiale court un risque d’apports insuffisants en zinc ou en vitamine A. Un régime alimentaire plus varié assure de meilleurs apports en micronutriments, mais de nombreuses familles pauvres n’y ont pas accès. Toutefois, en recourant à un procédé appelé biofortification pour améliorer la valeur nutritionnelle de certains aliments de base, les scientifiques peuvent aider les petits exploitants agricoles à produire des aliments plus nutritifs en utilisant la même terre et les mêmes ressources.
La biofortification utilise les biotechnologies, la sélection végétale ou l’agronomie pour améliorer la qualité nutritionnelle des aliments. Ce procédé est notamment utilisé pour augmenter la teneur en fer du riz, de la patate douce, du manioc et des légumineuses, la teneur en vitamine A du manioc et du maïs, la teneur en zinc du blé, du riz, des haricots, de la patate douce et du maïs, et la teneur en protéines du sorgho et du manioc. La méthode est déjà bien établie un peu partout dans le monde : environ 20 millions de personnes ont accès à des haricots, du riz, du blé, du mil, du maïs, des patates douces et du manioc plus nutritifs. En 2030, plus d’un milliard de personnes pourraient consommer des aliments biofortifiés. Pour les exploitants ayant des capacités d’expansion limitées, le recours aux cultures biofortifiées sur les mêmes terres peut avoir un effet très bénéfique sur la santé.
Un travail de longue haleine
Il aura fallu du temps, de la flexibilité, de la ténacité et de la détermination pour amener des aliments biofortifiés dans les assiettes du monde entier. Têtes de pont de ces efforts, le Dr Howarth Bouis et l’équipe de HarvestPlus se sont récemment vus décerner le Prix mondial de l’alimentation 2016 en récompense à 20 années de travaux dans ce domaine. HarvestPlus a joué un rôle clé dans le développement et la distribution de cultures biofortifiées et l’éducation d’un ensemble d’acteurs aux avantages des cultures plus riches en zinc, en fer et en vitamine A.
À ce jour, les cultures biofortifiées ont été introduites dans 30 pays et sont testées dans 25 autres. “Les cultures ont été testées et se sont révélées efficaces pour améliorer la nutrition des populations des pays en développement”, affirme le Dr Bouis. “Le grand défi est à présent de convaincre les producteurs de les adopter et les consommateurs de les manger.”
À l’instar des consommateurs du monde entier, les petits producteurs et leur famille hésitent souvent à essayer de nouvelles variétés. Pour les convaincre, il faut mener des campagnes d’information ciblées, laisser le temps produire ses résultats et le message se diffuser. Autre difficulté, l’aspect et le goût différents de certaines cultures biofortifiées. Ce n’est toutefois pas le cas des aliments enrichis en zinc et en fer comme les haricots. Au Rwanda, dix variétés de haricots à forte teneur en fer ont été introduites et ont la même apparence et le même goût que les haricots sur le marché actuellement. Ces haricots ont de meilleurs rendements et une teneur en fer plus élevée. Aussi les chercheurs espèrent-ils qu’ils deviendront le premier choix.
D’autres aliments comme le manioc, le maïs et la patate douce ont quant à eux un goût et un aspect différents lorsqu’ils sont enrichis en vitamine A, passant d’une couleur blanche à orange. Les communautés doivent avoir l’occasion de découvrir ces nouveaux produits avant de décider de les cultiver ou de les acheter. Des activités d’information doivent donc cibler tant les producteurs que les consommateurs.
Impliquer les femmes
Dans de nombreux pays, les femmes jouent un rôle essentiel dans l’amélioration de l’état nutritionnel et de la santé dans leurs familles. Pour que les communautés acceptent les nouvelles cultures biofortifiées, les femmes doivent être associées à chacune des phases du processus. Par exemple, des membres des communautés locales peuvent être employés pour diffuser l’information et organiser des séances de dégustation à l’aveugle au cours desquelles les femmes doivent dire quelle patate douce ou quel autre aliment elles préfèrent et si elles sont prêtes ou non à acheter le produit enrichi pour le bien de la santé de leur famille. Si le prix est le même et qu’elles apprécient le goût – et il semble que ces cultures soient bien acceptées – les femmes choisissent l’aliment enrichi en vitamine A pour leur famille. À Namwenda, dans l’ouest de l’Ouganda, un groupe de femmes portant des t-shirts orange distinctifs sensibilise la communauté aux cultures nutritives, à l’hygiène et à l’assainissement. Ces femmes, connues sous le nom de Mamas Ndhisa, font passer leurs messages en organisant diverses activités, comme des réunions locales ou des visites dans les villages, s’aidant de fiches illustrées et autre matériel. Communauté apprécie ces femmes et les patates douces de couleur orange riches en vitamine A dont elles vantent les bienfaits.
Toutes les femmes participent à cette initiative avec le soutien de leur mari. Elles sont très bien considérées, explique Aloysius Olweny, chef du sous-comté de Namwenda. “Observez les femmes qui participent, elles sont exemplaires”, dit-il. “Elles parlent aussi aux gens de nutrition et d’alimentation, elles s’investissent pour les motiver.” A. Olweny explique qu’il a été important pour le succès de la campagne d’information d’encourager les hommes à soutenir leurs femmes. “Les hommes préfèrent s’investir dans les cultures commerciales, mais, quand ils voient les hausses de revenus et les bénéfices sur la santé, ils sont motivés à aider leurs femmes.”
Le soutien des leaders à tous les niveaux
Pour qu’un pays adopte les cultures biofortifiées, il faut qu’il y ait un soutien à tous les niveaux : au niveau local, comme c’est le cas à Namwenda en Ouganda, mais aussi national, régional et international.
Le Panel mondial sur l’agriculture et les systèmes alimentaires pour la nutrition a appelé les responsables politiques à intégrer la biofortification dans une stratégie nationale de recherche et d’investissement agricole attentive à la nutrition. “Les décideurs politiques ont un rôle clé à jouer dans la lutte contre la faim cachée”, affirme Sir John Beddington, coprésident du Panel mondial. “La biofortification complète la gamme d’interventions actuellement à disposition des gouvernements en matière de micronutriments.”
Le rapport du Panel mondial intitulé “La biofortification : un investissement agricole pour la nutrition” montre que la malnutrition provoquée par des carences en micronutriments est associée au problème croissant de l’obésité et des maladies non transmissibles. Les auteurs affirment que les régimes de faible qualité basés en grande partie sur des aliments hautement transformés et pauvres en nutriments sont à l’origine du problème. “Quand les cultures biofortifiées sont combinées à des interventions qui encouragent la diversification alimentaire, de réels progrès peuvent être faits au bénéfice de millions de ménages. Au Nigeria, par exemple, grâce à un cadre réglementaire et légal renforcé et à un soutien en infrastructures, des programmes de multiplication devraient donner accès pour 80 millions de Nigérians à des régimes plus nutritifs dans les quatre prochaines années”, indique le rapport.
Le Panel mondial souligne que la biofortification ne doit pas être considérée comme une intervention isolée. “Les décideurs politiques ne doivent pas y voir une alternative à d’autres interventions d’amélioration de la nutrition, mais comme une composante d’une suite de stratégies complémentaires visant à réduire les carences en micronutriments”, précise le rapport.
Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement et ancien ministre nigérian de l’Agriculture, a appelé à mettre fin à la malnutrition en Afrique, affirmant que le continent possède tout ce qu’il faut pour réussir dans l’agriculture. S’exprimant lors de la septième Semaine scientifique agricole de l’Afrique, en juin 2016 au Rwanda, il a fait remarquer que l’Afrique dépense chaque année 30 milliards d’euros en importations alimentaires, un chiffre qui devrait selon les projections grimper à 98 milliards d’euros d’ici 2025. “L’Afrique importe ce qu’elle devrait produire, créant ainsi de la pauvreté sur le continent et exportant des emplois en dehors d’Afrique”, a-t-il résumé. Tout choc affectant la production alimentaire mondiale aurait un impact sur les prix en Afrique, en particulier dans les zones rurales. Il est donc judicieux, tant économiquement qu’en termes de sécurité, d’investir dans l’agriculture.
A. Adesina a cité des exemples de succès au Rwanda, où la malnutrition a été réduite de façon drastique, et au Sénégal, qui est en passe de devenir autosuffisant en riz. “Et avec les technologies scientifiques, nous pouvons faire encore mieux”, a-t-il ajouté. De nouvelles variétés de haricots enrichis en fer, de patates douces orange, de maïs riche en lysine et de manioc riche en vitamine A améliorent déjà les récoltes et la nutrition.
Alerte de sécurité alimentaire en Afrique australe
En Afrique australe, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que près de 40 millions de personnes seront affectées par l’insécurité alimentaire en 2017. Ce chiffre glaçant reflète les taux élevés de chômage et la pénurie d’emplois qui touchent la région et sont exacerbés par la sécheresse la plus grave depuis 35 ans, que les scientifiques lient au phénomène climatique El Niño. La plupart des habitants de la région mangent des aliments qu’ils cultivent eux-mêmes. Chimimba David Phiri, coordinateur régional de la FAO pour l’Afrique australe, a déclaré : “Aider ces personnes apportera un soutien vital dans une région où l’agriculture est le moyen de subsistance d’au moins 70 % de la population.”
La poursuite de la sécheresse a entraîné le prix du maïs et d’autres denrées alimentaires à la hausse. Les responsables de la FAO signalent que 23 millions de personnes ont besoin d’une aide d’urgence pour cultiver suffisamment de nourriture pour se nourrir, sans quoi elles dépendront de l’aide humanitaire jusqu’au milieu de l’année 2018. Les petits agriculteurs doivent pouvoir planter en octobre 2016. “À défaut, les récoltes seront à nouveau mauvaises en mars 2017, ce qui aura un impact grave sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle et les moyens de subsistance dans la région”, a averti la FAO.
Les experts agricoles estiment qu’une bonne récolte est nécessaire en mars 2017 pour aider les familles à échapper à la crise alimentaire. “Nous avons eu deux mauvaises récoltes et beaucoup de petits producteurs n’ont pas les semences adéquates”, a indiqué David Phiri. “Nous devons aider les cultivateurs à obtenir les semences dont ils ont besoin pour s’assurer des récoltes cette saison, et pour éviter une situation d’aide humanitaire continue.”
Au Zimbabwe, beaucoup d’enfants n’ont pas assez à manger. En mars 2016, l’UNICEF a signalé que le pays connaissait le plus haut taux de malnutrition infantile depuis 15 ans, les zones rurales étant particulièrement affectées. La FAO aide les cultivateurs du pays touchés par la sécheresse. Le mois dernier, l’agence a commencé à distribuer des semences biofortifiées de maïs et de haricot. Ces semences sont conçues pour produire des aliments riches en nutriments de valeur. Le programme de distribution de semences cible dans un premier temps environ 127 000 petits ménages agricoles situés dans huit zones. Il sera ensuite étendu progressivement aux autres parties du pays.
Mirriam Chagweja, cultivatrice, se dit contente d’avoir planté les nouvelles semences sur ses terres, à Silobela, environ 300 km au sud-ouest de Harare. En février 2016, elle a planté du maïs et des haricots fortifiés en utilisant les semences fournies par le département du Développement international du gouvernement britannique. Elle rapporte que ces semences lui ont donné plus de haricots que les variétés habituelles. “J’encourage les autres à rejoindre le mouvement”, dit-elle.
Regarder vers l’avenir
Les essais continuent avec de nouvelles cultures et variétés biofortifiées. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recense les essais de biofortification actuels, notamment un maïs enrichi en vitamine A pour les mères et les enfants en bas âge testé en différents endroits, un manioc enrichi en vitamine A pour les enfants en âge préscolaire du Nigeria et un mil enrichi en zinc et en fer destiné à favoriser les aptitudes cognitives et l’immunité anti-infectieuse chez les bébés en Inde.
La biofortification et la modification génétique sont des procédés différents, mais HarvestPlus reste attentif aux évolutions en la matière. À ce jour, HarvestPlus n’a utilisé que des techniques de sélection conventionnelle, et non pas de modification génétique, pour mettre au point ses 150 variétés de 12 aliments enrichis en nutriments. C’est ce qui lui a permis de lancer ses cultures le plus rapidement possible dans un maximum de pays. Il subsiste de nombreux obstacles et oppositions politiques aux organismes transgéniques, bien que la communauté scientifique ait établi que la méthode est sans danger, selon H. Bouis.
HarvestPlus étudie ces technologies et les considère comme une option pour l’avenir, par exemple pour obtenir un enrichissement en fer difficile à atteindre par la sélection conventionnelle.