Aujourd’hui, le potentiel novateur des technologies numériques fait l’unanimité, pourtant, la numérisation n’a pas encore mené à de grandes avancées en matière de productivité agricole. L’agriculture est une activité ancestrale et traditionnelle qui remonte à plus de 11 000 ans, c’est notamment pour cela qu’elle devrait être le dernier secteur à connaître la révolution numérique. En outre, 80 % de la nourriture consommée de nos jours est produite par de petits agriculteurs. Partant, pour améliorer l’efficacité du secteur agricole et répondre à l’explosion de la demande alimentaire mondiale, la numérisation doit cibler les petits exploitants et leur gestion de leurs exploitations.
Heureusement, rien qu’en Afrique subsaharienne (ASS) le taux de pénétration de ces technologies atteint déjà 50 % de la population totale. D’ici à 2025, 66 % des connexions auront lieu via un smartphone. La disponibilité des technologies et des infrastructures de base permet de tabler sur une évolution radicale de la gestion des entreprises agricoles.
En effet, les applications numériques transforment déjà la manière dont les agriculteurs accèdent aux services, aux marchés et aux actifs. Les services à valeur ajoutée mobile proposent des informations aux petits exploitants, notamment en matière de résilience climatique, ainsi que des conseils de vulgarisation. Par ailleurs, il est possible pour les agriculteurs de recevoir leurs paiements par le biais de services financiers mobiles, ce qui les encourage à utiliser des services dérivés tels que l’épargne et le crédit. Ainsi, dans le cadre de notre récent projet en collaboration avec MTN Ghana, les femmes ont commencé à épargner sur des portefeuilles mobiles lorsque les paiements ont été effectués via des devises mobiles.
De surcroît, les outils numériques modifient également l’accès aux marchés pour les agriculteurs, à travers l’utilisation de solutions de traçabilité par les acheteurs et l’arrivée d’une nouvelle vague de commerce électronique agricole, qui donne aux agriculteurs une autre voie d’accès au marché. Ces derniers sont à présent capables d’accéder à l’équipement et de le payer en fonction de l’utilisation qu’ils en font, plutôt que de devoir payer la totalité des actifs avant leur utilisation, ce que les petits exploitants ne peuvent pas se permettre de faire étant donné leur faible niveau d’inclusion financière.
Ce type d’outils numériques sur les marchés émergents commence à attirer les investisseurs commerciaux et à impact social. Le volume de capitaux commerciaux investis dans des solutions agrotechnologiques en ASS a d’ailleurs atteint 47 millions d’euros en 2018.
Cependant, dans ce contexte de perspectives et tendances positives, les agricultrices utilisent-elles les services numériques ? Dans la mesure où les femmes représentent 50 % de la main-d’œuvre agricole, l’efficacité du secteur et la sécurité alimentaire appellent une émancipation égale des femmes et des hommes. D’une part, comme l’ont montré certains projets de la GSMA dans l’agriculture mobile, les agricultrices adoptent activement les solutions d’agriculture numérique et deviennent des utilisatrices convaincues. D’autre part, un profond fossé d’accès aux services mobiles empêche toujours les agricultrices de bénéficier des innovations numériques à l’échelle.
Ce fossé numérique a pour conséquence que les femmes d’Afrique subsaharienne sont 15 % moins susceptibles d’avoir un téléphone mobile, et il se creuse pour l’utilisation de services plus complexes. À titre d’exemple, les femmes sont 41 % moins susceptibles que les hommes d’utiliser l’Internet mobile. Pourquoi ce fossé entre les femmes et les hommes se maintient-il ? La raison la plus fréquemment invoquée pour expliquer le manque d’accès aux technologies mobiles est l’absence de connaissances et de compétences en la matière. La deuxième entrave est l’abordabilité. Ces deux justifications trouvent leur origine dans le contexte social. Tant que les jeunes filles continueront de passer après leurs frères en matière d’éducation et tant que les maris seront privilégiés au détriment de leur épouse pour l’achat d’un téléphone mobile, le fossé entre les femmes et les hommes se maintiendra pour l’accès aux innovations mobiles.
En tant que communauté de spécialistes du secteur, nous pouvons contribuer à combler ces lacunes, à la fois en comprenant les besoins des femmes et les entraves auxquelles elles sont confrontées et en concevant des solutions avec et pour les femmes, ainsi qu’en les impliquant à chaque étape du cycle de vie des produits. Lorsque les utilisatrices sont incluses dans le processus de mise au point des produits, les fournisseurs de services sont sensibilisés à la nécessité d’employer des agentes pour la distribution des services et des produits, de représenter les femmes sur les supports de commercialisation, et d’utiliser des interfaces vocales afin d’améliorer l’accessibilité pour les usagers illettrés.
Mettre les femmes et les hommes sur un pied d’égalité nécessite des efforts conscients et soutenus de la part de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur : investisseurs commerciaux et à impact social, nouvelles entreprises et entreprises établies, mais aussi organisations de mise en œuvre. Si nous souhaitons atteindre nos objectifs et bâtir une société équitable, nous devons tous prendre nos responsabilités, dès la conception de nos propres processus et équipes, afin de montrer l’exemple.