Une révolution tranquille en matière de conseils de fertilisation a débouché sur le développement d'une application téléphonique qui peut aider à lutter contre l'appauvrissement des sols africains et à répondre à la demande alimentaire croissante face aux changements climatiques. Duncan Sones, membre de l'équipe du Consortium africain pour la santé des sols du CABI (Centre for Agriculture and Bioscience International), revient sur cette évolution.
Le
Professeur Charlie Wortmann de l'Université de Nebraska-Lincoln pensait que, en
Afrique, les recommandations générales en matière de fertilisation ne servaient
pas au mieux les intérêts des petits agriculteurs. En effet, ces
recommandations étaient difficiles à mettre en œuvre, exigeaient un
investissement souvent plus de 10 fois supérieur à ce que les agriculteurs
déclaraient pouvoir se permettre, et ne tenaient pas compte de l’intérêt
économique des exploitants. À la place de telles recommandations générales, Charlie
voulait appliquer des conseils pas à pas sur les apports d’azote, afin d'aider
les agriculteurs aux ressources limitées à utiliser, en fonction de leurs moyens,
des engrais pour les cultures susceptibles de leur offrir le meilleur retour
sur investissement.
Optimiser l'utilisation des engrais et les gains pour les agriculteurs
Toute recommandation doit évidemment reposer sur une base scientifique. En 2009, Charlie a commencé à travailler avec l'équipe de la National Agricultural Research Organisation en Ouganda afin de collecter les données disponibles et de générer de nouvelles données sur les courbes de réponse aux apports de nutriments dans différentes zones agroécologiques du pays. Ces courbes de réponse varient d'une culture à l'autre et d’une zone à l’autre, à l'instar du retour sur investissement en matière d’engrais. Il estimait pouvoir prédire les taux de réponse moyens sur la base de données d'essais. Ces données permettraient à leur tour d'orienter les agriculteurs vers des investissements en engrais susceptibles d'optimiser leurs bénéfices.
Les données collectées ont abouti à la création du FOT (“Fertilizer Optimization Tool”, Outil d'optimisation des engrais) en 2012. Le FOT utilisait Excel ainsi qu'un algorithme d'optimisation, développé par l'Université de Nebraska-Lincoln, pour prédire les niveaux d’apports nécessaires aux cultures afin d’atteindre les meilleurs profits. Les techniciens agricoles entrent le coût des différents engrais disponibles localement dans leurs ordinateurs portables. Ensuite, en concertation avec les agriculteurs, ils ajoutent un prix prévisionnel pour la production des cultures envisagées ainsi que la superficie maximale et minimale consacrée à chaque culture. Le FOT recommande alors la quantité d'engrais spécifique à appliquer pour chaque espèce végétale, ainsi que le moment opportun des apports, dans l'optique d'un retour sur investissement optimal. Critère essentiel, ces raisonnements sont construits sans rendre obligatoire l’analyse du sol dans chacune des exploitations.
Entre 2013 et 2017, l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (Alliance for a Green Revolution in Africa) a dégagé des fonds pour que le projet soit déployé dans 13 pays africains, et pour établir une base de données relatives aux essais d’efficacité des nutriments. Le CABI a codirigé l'octroi de ces fonds avec l'Université de Nebraska-Lincoln. Il est toutefois apparu clairement que l’obligation de disposer d'Excel et, donc, d’ordinateurs portables sur le terrain constituait un facteur limitant majeur.
Cibler le rendement avec des téléphones mobiles
Dans une première étape, les données Excel ont été utilisées pour générer des conseils sur une feuille de papier que les agriculteurs pouvaient conserver. Cela ne leur permettait toutefois pas de tester différents scénarios ou de s'écarter d'un modèle prescrit pour l’ensemble de leurs cultures.
Il fallait trouver une meilleure solution. Le CABI s'est donc penché sur la conversion du FOT en application téléphonique car de plus en plus de techniciens agricoles et d'agriculteurs détenaient des smartphones à 20 €, ce qui pouvait changer la donne.
L'application téléphonique pouvait intégrer toutes les fonctionnalités du FOT et, même, rendre disponibles de nouveaux éléments dont l'accès nécessitait auparavant la version Excel. C’est le cas pour les ajustements relatifs aux pratiques de gestion intégrée de la fertilité des sols (comme l'utilisation de matière organique ou des cultures intermédiaires de légumes), ainsi qu'un outil de calibration aidant les agriculteurs à appliquer la bonne dose d'engrais sur leurs cultures. Les agriculteurs ougandais qui utilisaient déjà de l'engrais apprécient cette solution qui cible réellement l’efficacité de leur investissement. Paul Okingok, un agriculteur du district de Tororo, utilise de l'engrais depuis environ 5 ans. Dans le passé, à chaque saison, il dépensait quelques 120 USD (107 €) en engrais pour son maïs et ses arachides. Il s’est servi du FOT pendant deux saisons et ne dépense désormais qu'environ 40 USD (35,7 €), en répartissant soigneusement l'engrais conformément aux recommandations du FOT, et en évitant tout gaspillage. Il a ainsi récolté 1 600 kg de maïs, contre 1 000 kg auparavant.
Le technicien agricole Alex Mukwanga, du district de Jinja, illustre l'engouement croissant envers le FOT. Il a commencé avec cinq agriculteurs, dont les récoltes étaient visiblement différentes de celles de leurs voisins. La saison suivante, il recensait 30 agriculteurs désireux d'appliquer l'approche FOT.
Déploiement
Le CABI déploie actuellement un programme de formation sur l’utilisation de l’app FOT destinée aux techniciens agricoles, afin d'atteindre jusqu'à 1 600 nouveaux agriculteurs en Ouganda. Dans toute l'Afrique, plus de 3 000 techniciens agricoles ont déjà été formés à utiliser des FOT pour prodiguer des conseils aux agriculteurs sur la façon d'optimiser le rendement de leurs investissements en matière de fertilisation.
L'app Fertilizer Optimizer peut être téléchargée gratuitement depuis Google Play Store.