Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.
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Soutenir les services de conseils pour une agriculture intelligente

Dossier : Les TIC au service de la vulgarisation agricole

RiceAdvice, une appli pour Android en deux langues, founrit aux agents de vulgarisation et aux petits producteurs du Mali, Nigeria et Sénégal des conseils contextualisés.

© CTA

Digitalisation et vulgarisation

La digitalisation améliore les systèmes de vulgarisation agricole en fournissant des services au moment opportun et en facilitant l'adoption de nouvelles pratiques agronomiques. Résultat : les rendements et les revenus des producteurs augmentent.

Traditionnellement, les petits agriculteurs prennent leurs décisions en s’appuyant sur leur expérience, les pratiques courantes et les savoirs collectifs, mais cela ne se traduit pas nécessairement en productivité ou profits. “Les services concrets de vulgarisation, qui vont de la préparation des sols à la planification de l’irrigation en passant par la sélection de cultivars résistants et les stratégies intégrées de lutte contre les ravageurs dans l’agriculture africaine, sont cruciaux parce qu’il existe un potentiel latent pour garantir la sécurité alimentaire mondiale, mais les infrastructures, compétences et développements sociaux qui permettraient de déverrouiller ce potentiel sont encore inexistants”, affirme Marili Mouton, une agronome qui travaille en Afrique du Sud. Pour que l’agriculture africaine se transforme, estime-t-elle, de nouvelles manières de travailler sont nécessaires. Cela passe par l’innovation en matière de services de vulgarisation avec l’utilisation des TIC.

La vulgarisation par vidéo à l’échelle des villages

Selon le bureau éthiopien de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), la vidéo, lorsqu’elle est utilisée pour la vulgarisation agricole, touche 24 % d’agriculteurs en plus que d’autres formes de vulgarisation, et les agents qui s’en servent font davantage d’efforts pour visiter les fermes et fournir conseils et suivi.

“Cette étude de l’IFPRI a débouché sur le développement de notre approche par vidéo, dont une évaluation contrôlée a montré qu’elle était sept fois plus efficace sur le plan de l’adoption de nouvelles pratiques et dix fois plus au regard du coût par adoption”, explique Rikin Gandhi, directeur exécutif de Digital Green, une entreprise créée en 2008 en Inde, sans but lucratif, pour travailler avec les petits agriculteurs. En 2011, l’organisation a commencé à œuvrer en Éthiopie avec le système national de vulgarisation du ministère de l’Agriculture, où plus de 60 000 agents de vulgarisation sont chargés de toucher 60 millions d’agriculteurs.

Les vidéos de Digital Green présentent des membres de communautés locales partageant des témoignages ou démontrant une pratique. “En permettant aux membres des communautés rurales de jouer un rôle actif dans la création et la définition des contenus, Digital Green donne voix au chapitre aux communautés, même isolées”, ajoute Rikin Gandhi. Les agents de vulgarisation attachés aux villages (formés par Digital Green) montrent les vidéos à des groupes de 20-25 agriculteurs grâce à des projecteurs portables à batterie. Des médiateurs organisent les projections, invitent les participants à discuter, répondent aux questions, recueillent les commentaires et encouragent la communauté à adopter la pratique présentée.

L’analyse de données et commentaires des participants fournit des informations pour la production et la distribution de la prochaine série de vidéos. Cela permet de progressivement mieux répondre aux besoins des communautés.

Les vidéos restent au cœur de l’approche de vulgarisation de Digital Green, mais l’entreprise explore maintenant des solutions fondées sur des applications mobiles pour relier les agriculteurs aux marchés, ainsi que des formations et systèmes d’assurance qualité aussi basés sur des applications mobiles pour les vulgarisateurs. “Nous incorporons des technologies numériques comme les systèmes interactifs de réponse vocale et les SMS pour envoyer des messages complémentaires ou de renforcement”, explique Rikin Gandhi.

Depuis 2009, Digital Green a permis la production de plus de 6 000 vidéos dans 50 langues et dialectes en Éthiopie, qui ont été visionnées par 17 000 intervenants de première ligne et ont touché plus de deux millions de ménages ruraux.

Toucher les agriculteurs par radio

La radio est un moyen facilement accessible et abordable de pratiquer la vulgarisation agricole, mais qui vise à diffuser massivement l’information, pas nécessairement dans les langues minoritaires. La Fondation Syngenta pour une agriculture durable (SFSA) a donc développé un partenariat novateur avec Kilimo Media International (KiMI), au Kenya. “Diffuser en swahili est insuffisant”, reconnaît Paul Castle, directeur des communications pour la SFSA, “c’est pourquoi la SFSA a décidé d’émettre les conseils agricoles au Kenya dans les langues vernaculaires (borana, kimeru, kikamba, kimaasai et kikuyu).” Paul Castle poursuit : “Il n’est pas nécessaire de savoir lire et écrire ni d’avoir une connexion Internet ou une télévision. Grâce aux téléphones portables, la radio est devenue beaucoup plus démocratique. Les auditeurs peuvent envoyer des messages de leurs portables et les agents de vulgarisation agricole avec qui nous travaillons en conviennent : cela leur permet de toucher un public plus large.”

Pour permettre aux agriculteurs de poser des questions, la SFSA a aussi créé des groupes d’auditeurs qui se réunissent autour d’un agent de vulgarisation après la diffusion d’un programme radio. Des réunions de planification sont également organisées avec des agents de vulgarisation et d’autres experts agricoles. “Ces stations définissent généralement leurs propres calendriers agricoles mais doivent aussi réagir avec souplesse en cas de menaces soudaines, comme une sécheresse. De cette manière, la radio peut être novatrice et avoir un véritable impact”, note Paul Castle.

Le nombre d’auditeurs appelant lors des émissions de radio a augmenté de 0,03 à 29 % et l’audience est passée de 59 à 96 % en trois ans. Les petites stations ont touché un public beaucoup plus large que prévu par la SFSA : “Parce qu’elles diffusent en langues parlées des deux côtés des frontières, il y a des gens qui les écoutent par Internet en Ouganda et jusqu’au sud de l’Éthiopie”, se félicite Paul Castle.

Passer à la téléphonie mobile

La téléphonie mobile joue aussi un rôle crucial. Pourtant, selon une étude de 2018 du Pew Research Centre, l’Afrique subsaharienne a toujours les taux les plus faibles de pénétration des smartphones par rapport au reste du monde. La connectivité reste un obstacle pour que les entreprises puissent utiliser des applications mobiles afin de développer les services de vulgarisation agricole.

En Afrique subsaharienne, le nombre de ménages cultivant du riz pluvial et irrigué en plaine est estimé à environ 4,7 millions, mais la productivité rizicole est faible à cause des pratiques sous-optimales de gestion des cultures des petits agriculteurs. RiceAdvice est une application bilingue sous Android permettant aux ONG, agents de vulgarisation et petits agriculteurs du Mali, Nigeria et Sénégal d’accéder directement à des recommandations adaptées à des champs particuliers. En plus de fournir des informations importantes en début de saison, RiceAdvice indique aussi les pratiques saisonnières essentielles (application d’engrais et désherbage). Comme de nombreux riziculteurs n’ont pas de smartphone, les agents de vulgarisation agricole (et aussi souvent des cultivateurs) leur offrent les recommandations de RiceAdvice après avoir saisi des informations détaillées telles que conditions de culture du riz, variétés, pratiques types, dates prévues d’ensemencement, disponibilité des engrais, cours des marchés.

“Il est relativement facile de saisir les données car les questions sont formulées de manière à ce qu’il soit facile d’y répondre. Une fois les informations fournies, les agents de vulgarisation peuvent aider les petits riziculteurs à se fixer des objectifs de rendement en fonction de leur budget ou des niveaux de productions désirés/recommandés. Lorsque les agriculteurs sont habitués à leurs smartphones et savent utiliser RiceAdvice, ils ont directement accès à des recommandations adaptées à leurs champs”, explique le Dr Kazuki Saito, agronome pour AfricaRice.

RiceAdvice se fonde sur les informations de bases de données issues de recherches, reformulées sous une forme utile et accessible pour les agriculteurs. Ces données sont recueillies par des interviews en personne et des enquêtes post-récolte, dont les résultats servent à améliorer l’application. De nouvelles consignes de riziculture sont proposées chaque saison pour que l’information fournie reste aussi exacte que possible. Ainsi, bien que l’application puisse être utilisée hors ligne, l’accès à Internet est indispensable pour recevoir les mises à jour régulières.

“Les riziculteurs ont reçu des recommandations traditionnelles générales sur les pratiques de gestion de la fertilité des sols. Toutefois, ces recommandations n’ont pas été régulièrement mises à jour et ont par conséquent été rapidement dépassées”, constate Kazuki Saito. Au cours d’un essai effectué au Mali, Nigeria et Sénégal en 2015-1017, les agriculteurs ayant utilisé l’application RiceAdvice ont obtenu des augmentations moyennes du rendement de 0,6 à 1,8 tonne par hectare.

“Les études d’AfricaRice ont indiqué qu’en comparaison avec les pratiques des agriculteurs l’adoption des recommandations de RiceAdvice peut faire croître d’environ 20 % les rendements rizicoles, ce qui procure une augmentation de la profitabilité d’environ 200 $ US (180 €) par hectare et par saison”, conclut Kazuki Saito. RiceAdvice touche environ 10 000 agriculteurs chaque saison.

Miser sur le renforcement des capacités

L’amélioration de la vulgarisation agricole par la formation, en personne ou par voie numérique, est l’objectif vers lequel travaille un service de fourniture de produits frais, Ojay Greene. Fondée par Yvette Ondachi, une scientifique kényane, cette entreprise s’est fixé pour mission d’augmenter les revenus des petits agriculteurs grâce à des interventions portant sur la nutrition et des technologies d’adaptation au changement climatique.

Ojay Greene produit et collecte des fruits et légumes frais auprès de petits agriculteurs pour les vendre à des supermarchés, restaurants et hôtels des zones urbaines. L’entreprise élimine les intermédiaires en fournissant aux petits fermiers un marché pour leurs produits, ainsi que des technologies et stratégies pour améliorer leur production. Ils sont répartis en groupes de 10-200 agriculteurs par quartier ou communauté, avec un agronome référent. Celui-ci organise des réunions communautaires, communique par SMS avec les agriculteurs au sujet de leur production, des intrants et de la lutte contre les maladies. “Il ne s’agit pas juste d’enrichir la communauté, il faut enrichir le continent, changer le paysage de l’Afrique subsaharienne et nourrir le monde”, affirme Yvette Ondachi. D’ici 2020, Ojay Greene espère toucher 20 000 fermes dans tout le Kenya et envisage de se développer dans les pays voisins.

La vulgarisation au niveau national

Au Ghana, où plus de 59 % de la force de travail du pays est impliquée d’une manière ou d’une autre dans l’agriculture, ce secteur est prometteur pour la croissance de l’économie. Néanmoins, l’un des plus gros défis auxquels le pays est confronté est l’éducation des petits agriculteurs. Le Ghana a instauré en 2011 un système national d’e-agriculture mis en place par le ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture. Cette plateforme permet aux agriculteurs, transformateurs et autres intervenants d’échanger leurs opinions et ressources. Elle comporte trois éléments. Le premier – e-Farm Information – permet aux agriculteurs d’utiliser gratuitement le centre d’appels d’e-agriculture pour se renseigner en langue locale sur les meilleures pratiques agricoles. Ensuite, le e-Learning and Resource Centre offre des informations utiles à tous les acteurs de la chaîne de valeur agricole. Enfin, les agents de vulgarisation sont équipés d’outils numériques pour recueillir des données sur les exploitations et les agriculteurs et améliorer ainsi les conseils fournis à ces derniers.

En Côte d'Ivoire, avec l’appui de la Banque mondiale, l’Agence nationale d’appui au développement rural a créé en 2018 un système électronique de services de vulgarisation agricole pour toucher le plus d’agriculteurs possible, même dans les zones isolées, afin d’améliorer la productivité des exploitations et l’accès aux marchés. La plateforme d’e-vulgarisation sert de serveur vocal de réponse interactive et de centre d’appels, permettant aux agriculteurs de poser des questions techniques et de demander conseil sur les pratiques agricoles. “Ce projet garantira que les agriculteurs reçoivent en temps opportun des informations sur les aspects cruciaux de la chaîne de valeur agricole, comme le marché des semences, et que les institutions publiques recueillent des statistiques agricoles et rurales permettant de définir des politiques et stratégies plus efficaces pour le secteur”, précise Pierre Laporte, directeur pays de la Banque mondiale pour la Côte d’Ivoire. L’initiative vise à toucher 6,1 millions de petits agriculteurs sur cinq ans. Comme dans de nombreux pays africains, la majorité des petits agriculteurs exploitent moins de 2 hectares de terre.

“Avec l’expansion soutenue et rapide de la population africaine, la vulgarisation numérique est essentielle pour garantir la sécurité alimentaire”, souligne Marili Mouton. Grâce aux services de vulgarisation innovants, les petits agriculteurs africains adoptent des méthodes plus intelligentes et durables et continuent ainsi d’améliorer leurs pratiques.

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L’intégration numérique pour la vulgarisation par radio

Farm Radio International (FRI) change la manière dont la radio est utilisée grâce à des expériences associant radio, téléphones portables et Internet. L’objectif est de fournir auxagriculteurs la vulgarisation numérique la plus rentable avec le maximumd’impact.Uliza(“demander”en swahili) est la plateforme de vulgarisation deFRI qui permet la participation des auditeurs, la mesure de l’audience et l’assurance de la qualité en intégrant des systèmes interactifs de réponsevocale, par radio et par téléphone portable. La plateforme en ligne permet aux stations de radio partenaires de faire participer des centaines, voire des milliers, d’auditeurs qui utilisent leurs téléphones portables avant, pendant et après la diffusion desémissions de radio agricoles. Les auditeurs peuvent voter, s’inscrire au service d’alertes, demander des informations précises sur les cultures et obtenir des réponses à leurs questions. Leprocessus est rapide, facile, participatif etsurtout gratuit. Les auditeurs peuvent aussi fairedes commentaires sur les programmes etles changements à apporter pour répondre à leurs besoins. Les émissions sont proposées aux auditeurs dans leur propre langue, contournant ainsil’obstacle de l’alphabétisation. Pour chaque épisode téléchargé chaque semaine sur Uliza, lepersonnel de FRI et les spécialistes du sujet participant au projet offrent leurs commentaires à l’équipe de la stationafin d’améliorer les épisodes suivants. Letableau de bord numérique d’Ulizapermet auxdiffuseurs detoucher les auditeursen temps réel. Jusqu’à présent, plus de70 des stations de radio partenaires deFRIauBurkina Faso, en Éthiopie, au Ghana, au Kenya, au Mali, au Nigeria, en Ouganda, au Sénégal eten Tanzanieont utilisé Ulizapour interagir avec plus de210000auditeurs.“C’est pour cela que je suis fier d’Uliza”,déclareKevin Perkins, directeur exécutif de FRI. “Les programmes radioinvitent les auditeursà partager leurs expériences ouopinions ou poser leursquestions par le biais d’Uliza. Les données recueillies leur reviennent directement–par les programmes radio qu’ils écoutent”,ajouteKevin Perkins. “Et ils peuvent être sûrs que les commentaires collectifs qu’ils proposent, rendus anonymes, atteignent les décideurs, parce qu’ils sont diffusés sur des ondes que tout le monde écoute–y compris les décideurs.”