Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.

Égalité homme-femme : il faut impliquer les hommes, les garçons et les chefs traditionnels

Opinion

 

Au cours de la dernière décennie, des progrès considérables ont été réalisés sur le front de l’autonomisation des femmes. En dépit de ces avancées, des inégalités persistent et l’importance que les sociétés accordent à la valeur des femmes n’a guère changé.

Il y a cinq ans, mes parents et mes frères et sœurs (cinq sœurs et deux frères) se sont présentés devant le Conseil local de la propriété foncière. Mon père voulait en effet répartir ses terres entre tous les membres de la famille. C'était la première fois, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution du Kenya, en 2010, que le Conseil avait à se prononcer sur une demande de partage des terres entre tous les enfants d’un ménage, y compris les filles, mariées et non mariées. La Constitution garantit un accès équitable à la terre et l'élimination de la discrimination fondée sur le sexe dans la loi, les coutumes et les pratiques en rapport avec les terres et la propriété foncière. Les membres du Conseil foncier se sont regardés, ne sachant pas très bien ce qu’il fallait faire. Ils ont demandé à mon père s'il était sûr de vouloir donner des terres à ses filles. Il a répondu “oui”. “Même à celles qui sont mariées ?” Encore une fois, il a répondu par l'affirmative. Ils se sont alors à nouveau regardés et ont demandé à mes deux frères ce qu’ils pensaient de cette décision. Mon père est intervenu : “Ces terres ne leur appartiennent pas !” Nous avons finalement signé les documents et nous sommes aujourd’hui tous propriétaires fonciers.

Remettre en question les normes sociales

Malgré les réformes juridiques, les idées reçues et les barrières culturelles concernant les droits des femmes à la propriété et sur ce qu’elles peuvent faire ou ne peuvent pas faire restent bien présentes. Les acteurs internationaux du développement se rendent à présent compte que, si l’on ne modifie pas les attitudes des hommes à l’égard des femmes, les programmes en faveur des femmes ne porteront pas leurs fruits. Dans de nombreux cas, ils pourraient même les exposer à des risques supplémentaires. Dans le secteur agricole, l'accent a été mis principalement sur la réduction des inégalités en matière d’accès aux technologies, aux connaissances et aux moyens de production. L’idée est ici de permettre aux femmes d’améliorer leur productivité agricole et de contribuer efficacement à la sécurité alimentaire des ménages. De telles approches instrumentalistes ne reconnaissent cependant pas que les obstacles à l’activité des femmes sont la conséquence de normes sociales et culturelles profondément enracinées et d’une dynamique domestique en ce qui concerne la division du travail et la capacité décisionnelle. Autant de facteurs qui renforcent encore les désavantages dont les femmes sont victimes.

Les solutions techniques ne sont d’aucune efficacité pour modifier les normes sociales et culturelles. Les interventions doivent donc viser les hommes et les femmes, les garçons et les filles, ainsi que les chefs communautaires, les sensibiliser à l’impact qu’ils peuvent avoir, et les associer à l’élaboration de stratégies pour faire évoluer le système et mettre fin aux pratiques patriarcales qui conduisent aux inégalités. Bon nombre des cadres théoriques qui associent les hommes et les garçons à ces efforts ont été conçus pour les domaines de la santé publique et de la psychologie, mais ils peuvent être adaptés au secteur agricole.

Un changement impulsé par les communautés

Au Malawi et en Zambie, un projet qui vise à améliorer les moyens de subsistance et les relations hommes‑femmes dans la plaine inondable de Barotse utilise le théâtre communautaire pour associer les hommes et les chefs traditionnels au projet et combattre ainsi les attitudes sexistes dans le secteur de la pêche. Chaque représentation est suivie de débats dirigés qui ont pour but de faire évoluer, au sein de la communauté, les normes de genre et les rapports de pouvoir entre les sexes. Les résultats ont mis en avant une diminution de 45 % du nombre d’hommes en accord avec l’affirmation : “Les femmes ne doivent pas travailler dans le secteur de la pêche” dans le groupe des participants au théâtre communautaire, contre 26 % seulement chez les non-participants. Le projet a en outre observé chez les participants un changement significatif de leur point de vue sur la propriété des biens et autres actifs de pêche, avec une diminution de 50 % à 19 % du nombre d’hommes indiquant être les seuls propriétaires de ces actifs. Le nombre d’hommes indiquant être copropriétaires de ces actifs avec des femmes est quant à lui passé de 44 % à 76 %.

Au Kenya, l'intégration de dialogues sur l’égalité associant des hommes et des femmes dans l’approche des écoles pratiques d’agriculture développée par la FAO, dans les années 1990, a débouché sur des changements dans la répartition du travail entre les deux sexes. Parmi les résultats, citons une augmentation de la participation des femmes aux marchés et à la gestion et au contrôle des revenus, ainsi qu’une modification de la répartition de la charge de travail. Un projet sur deux ans (qui a pris fin en 2016) s’est employé à constituer une base de preuves témoignant de l’efficacité de l’implication des hommes et des garçons dans la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce projet, baptisé EMERGE (Engendering Men: Evidence on Routes to Gender Equality), en a conclu que de tels programmes peuvent soutenir l’autonomisation économique des femmes en encourageant les hommes à assumer, au sein du ménage, des rôles traditionnellement considérés comme relevant de la responsabilité des femmes, mais aussi en contribuant à supprimer les barrières qui empêchent les femmes de travailler.