Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.

Déconstruire le mythe d’une dichotomie entre intensification et durabilité

Opinion

 

L’intensification de l’agriculture observée ces 50 dernières années s’est traduite par une augmentation de la productivité agricole et un excédent alimentaire mondial par habitant grâce à la révolution verte. Elle a également permis de sauver des millions d’hectares de terres forestières. Toutefois, les effets négatifs et les externalités liés aux mesures incitant à l’utilisation d’intrants chimiques et agricoles en grande quantité au cours des dernières décennies n’ont été observés qu’a posteriori, ce qui laisse penser que les conséquences des actions actuelles sont peut-être également loin d’être entièrement comprises.

Étant donné que le renforcement de la croissance démographique exercera d’énormes pressions sur la production alimentaire, le débat mondial sur l’agriculture et le développement durable a récemment été dominé par les questions relatives aux approches optimales permettant de répondre à l’augmentation de la demande alimentaire et d’éviter les famines, notamment dans les pays en développement. L’une de ces questions est de savoir si l’intensification durable de l’agriculture peut répondre à l’augmentation de la demande alimentaire, tout en faisant face aux menaces croissantes du changement climatique.

Il ne fait aucun doute que le changement climatique affectera la production agricole et les systèmes de distribution, ainsi que les moyens de subsistance des populations dans les zones à risque. Cette situation s’accompagne de défis sociaux et géopolitiques et peut toucher de manière disproportionnée les populations les plus pauvres et les plus vulnérables sur le plan de la sécurité alimentaire dans le monde. À titre d’exemple, les conditions météorologiques extrêmes et l’élévation du niveau de la mer peuvent représenter des menaces existentielles pour les populations vivant dans les déserts, les zones arides, les montagnes et les petits États insulaires en développement, aggravant encore les conflits, les migrations et les déplacements au cours des prochaines décennies. La transformation des systèmes alimentaires et agricoles est donc vitale si nous voulons répondre aux besoins alimentaires et nutritionnels de la population croissante dans un contexte de changement climatique.

Bien qu’il existe une multitude de recommandations politiques, de débats et de réfutations, tout le monde s’accorde à dire que l’intensification durable est une condition essentielle pour accroître la productivité de manière durable, même si elle ne représente pas la panacée face au problème de la sécurité alimentaire. Force est de constater que la dichotomie entre intensification et durabilité est tout simplement artificielle. L’alimentation est l’un des principaux résultats découlant de la majorité des activités agricoles. Sans agriculture, pas de sécurité alimentaire. Pour nourrir une population en croissance rapide, la production d’aliments nutritifs doit être intensifiée sur les terres agricoles existantes, et ce de manière durable.

Cinq leviers pour encadrer l’agriculture durable

Si nous voulons être en mesure de nourrir la population en pleine croissance et de vivre sur une planète qui ne sera pas submergée par les catastrophes climatiques, nous devons repenser notre façon de produire, consommer et gérer nos aliments. Nous devons également réduire le gaspillage et les pertes de nourriture, ce qui permettra non seulement d’accroître la disponibilité alimentaire, mais aussi de réduire le coût de production et les émissions qui y sont associées. La FAO a élaboré une vision commune permettant d’encadrer collectivement le processus de transition vers des systèmes agricoles et alimentaires durables. Cette vision présente cinq principes interdépendants, qui ont récemment été développés en 20 actions pour orienter les décideurs politiques. Ces cinq principes sont présentés comme suit.

Premièrement, accroître la productivité, l’emploi et la valeur ajoutée dans les systèmes alimentaires. Le défi est d’atteindre l’efficacité tout en réduisant au minimum les répercussions sur l’environnement. Pour ce faire, il faut accroître l’efficacité de l’utilisation des ressources en intégrant les systèmes de production, tout en réduisant l’intensité des émissions. L’intensification durable peut accroître la productivité, favoriser la consommation durable, réduire le gaspillage et les pertes de nourriture, encourager la valorisation et le recyclage des matières organiques et utiliser les intrants plus efficacement. Cette approche justifie l’adoption généralisée de pratiques, d’innovations et de technologies durables à grande échelle. Les efforts visant à intensifier durablement l’agriculture doivent promouvoir les exploitations agricoles familiales, en particulier l’autonomisation des femmes et des jeunes, et créer des emplois ruraux, ainsi que renforcer les infrastructures tout au long de la chaîne de valeur.

Deuxièmement, protéger et améliorer les ressources naturelles. Une plus grande quantité de nourriture implique une plus grande demande en ressources naturelles. La capacité de la planète à se nourrir par elle-même sera menacée à moins que des efforts délibérés ne soient consentis pour restaurer, préserver et gérer les écosystèmes agricoles existants de manière durable. L’intensification agricole doit également contribuer à atténuer les effets du changement climatique. Des efforts résolus sont nécessaires pour optimiser les synergies entre la gestion des ressources naturelles, l’augmentation de la productivité et des revenus, et l’amélioration des moyens d’existence.

Troisièmement, améliorer les moyens d’existence et favoriser une croissance économique inclusive. La durabilité ne se limite pas à l’intensification de l’agriculture. Il ne faut pas sous-estimer l’importance accordée à l’équilibre entre productivité et durabilité, notamment aux niveaux social et économique de la sécurité alimentaire. La transformation des systèmes alimentaires qui autonomisent les petits exploitants et qui reposent sur des facteurs sociaux, économiques et commerciaux est indispensable.

Quatrièmement, renforcer la résilience des personnes, des communautés et des écosystèmes. La promotion d’une alimentation et d’une agriculture durables et “intelligentes sur le plan climatique” peut servir de véritable moteur d’une économie plus verte et être un excellent moyen de répondre aux questions de sécurité alimentaire, de nutrition et de changement climatique. Cela passe, entre autres, par l’utilisation de variétés de cultures plus résistantes aux conditions climatiques extrêmes, l’agroforesterie, l’agroécologie, l’agriculture de conservation, l’amélioration de l’irrigation agricole, la lutte contre les ravageurs et la gestion des cultures fourragères.

Cinquièmement, adapter la gouvernance aux nouveaux défis. Pour éliminer les obstacles qui empêchent l’intensification de la production durable, assurer l’inclusion sociale et réguler les conditions en faveur de systèmes agricoles et alimentaires durables et résistants, le levier le plus efficace est celui de la gouvernance réactive. Cela passe par l’adoption d’approches de gouvernance plus novatrices, intégrées et holistiques qui relient de multiples dimensions. De telles gouvernances et politiques doivent favoriser les investissements dans des systèmes alimentaires et agricoles durables, tout en tenant compte des besoins de la société.