Reportage du Bénin
En renforçant les chaînes de valeur autour de “champions” en agribusiness, l’incubateur 2SCALE facilite l’intégration des petits agriculteurs dans les marchés locaux et régionaux, et permet un changement d’échelle.
Au Bénin, 61 000 agriculteurs –dont 20 000 femmes –sont acteurs de partenariats public-privé établis autour de PME locales, grâce au soutien de l’incubateur d’agribusiness 2SCALE. Présent dans 9 pays d’Afrique subsaharienne et financé par le gouvernement néerlandais, 2SCALE s’attache à créer des réseaux autour de “champions” locaux (organisations de producteurs, commerçants, transformateurs, fournisseurs de services agricoles…) afin de les aider à “produire, transformer et fournir des produits alimentaires de qualité” vendus sur les marchés locaux et régionaux. L’objectif est que l’ensemble de la chaîne de valeur change d’échelle, en répondant aux objectifs commerciaux des entreprises, en intégrant les petits producteurs et autres entrepreneurs ruraux, ainsi qu’en ciblant les consommateurs à faibles revenus.
“Notre approche est focalisée sur le marché”, explique Éric Lakoussan, leader du secteur horticole de 2SCALE, basé au Bénin. “Nous travaillons à partir d’une idée d’affaire d’une entreprise pour développer une chaîne de valeur inclusive, et nous utilisons les fonds publics néerlandais de 2SCALE pour nouer un partenariat avec ce ‘champion’et d’autres acteurs de la chaîne.”
Parmi les réussites de l’incubateur figure celle de Promo Fruits. En 2013, 2SCALE a ainsi aidé l’entreprise, leader régional des jus frais d’ananas, à négocier un prêt de 800 000 USD (697 000 €) auprès d’Oikocredit International pour investir dans de nouvelles machines, ainsi que pour augmenter la productivité et l’accès au financement de 2 500 petits producteurs membres du réseau de fournisseurs de l’entreprise. L’année suivante, Promo Fruits a négocié de nouveaux emprunts afin d’investir 3 470 000 USD (3 millions €) dans son usine d’Allada, à 56 km au nord de Cotonou. L’entreprise a co-financé avec 2SCALE un réseau de techniciens pour former et conseiller les agriculteurs à de meilleures pratiques agricoles. Quelques 12 000 agriculteurs ont ainsi été intégrés au réseau d’approvisionnement de Promo Fruits, faisant passer la quantité de fruits fournis à l’entreprise de 11 200 à 21 500 tonnes par an. Au final, avec l’augmentation de ses capacités de transformation, l’approvisionnement régulier en fruits et la diversification de ses produits, Promo Fruits a doublé le volume de jus vendus, de 5,2 à 11,5 millions de litres par an.
Au Bénin, 355 PME sont partenaires de 2SCALE. Comme la Coopérative de transformation, d’approvisionnement et d’écoulement de soja (CTAE) qui s’engage auprès des agriculteurs à acheter une certaine quantité de produits lors de chaque campagne, notamment pour alimenter ses unités de production d’huile et de goussi(condiment) de soja. La coopérative a ainsi sécurisé ses filières d’approvisionnement et est passée de 6 000 tonnes de soja transformé fin 2016 à 12 000 tonnes en 2018. C’est pour renforcer ces partenariats que les entreprises s’engagent aussi à développer des services en amont de la chaîne de valeur.
Au début de son partenariat avec les producteurs d’ananas en 2016, l’entreprise Promo Fruits a ainsi organisé des rencontres au cours desquelles il a été possible de discuter avec les agriculteurs des difficultés spécifiques liées à l’acheminement des fruits et de trouver des solutions, soit en mettant des camions de transport à la disposition des producteurs pour acheminer les fruits, soit en organisant une première transformation sur place, avant l’acheminement vers l’usine. “Il est important d’amener les acteurs d’une chaîne de valeur à comprendre qu’en travaillant ensemble ils peuvent se faire davantage confiance et améliorer leur productivité et leur compétitivité”, conclut Éric Lakoussan.
Défi numéro un : l’accès au crédit
De son côté, l’Union régionale de producteurs des départements de l’Atlantique et du Littoral (URP-AL), qui réunit des producteurs de soja et est partenaire de 2SCALE, s’investit dans la formation de ses membres afin que ceux-ci puissent produire du soja de première qualité, le conserver et l’acheminer dans les meilleures conditions. Pour cela, l’URP-AL a besoin de financements afin de contribuer aux frais de déplacements des agriculteurs prenant part aux formations et pour acquérir les machines sur lesquelles ils se forment. “Pour tenir sur le long terme et pérenniser les actions de formation, il nous est nécessaire d’avoir un meilleur accès au crédit, qui est la principale difficulté”, explique Bernard Dedjelenou, coordinateur de l’URP-AL. Il s’agit donc de trouver des entreprises qui s’engagent à acheter leur production, ce qui offre une garantie auprès des sociétés de microfinance pour assurer les crédits octroyés aux agriculteurs.
Impact social
Cependant, il n’est pas toujours facile de trouver des entreprises qui acceptent de participer au développement de partenariats équitables avec les producteurs. “Beaucoup d’entreprises opèrent sans volonté d’inclusion. Il y a par exemple des entreprises qui veulent simplement acheter la matière première et ne veulent avoir aucun contact avec les producteurs”, regrette Éric Lakoussan. 2SCALE se tourne donc vers des entreprises souhaitant être compétitives sur leurs marchés et avoir un impact social auprès des autres acteurs de la chaîne de valeur.
La même logique prévaut pour des partenariats plus modestes. “Le principal apport de 2SCALE est que désormais nous parvenons à gérer notre production comme une véritable petite entreprise”, explique ainsi Bénédicte Ahouansou, transformatrice de soja, dans la commune de Djakotomey, dans le sud-ouest du Bénin, et membre d’une coopérative d’une vingtaine de femmes qui vend ses produits finis ‒fromage, lait, farine et galettes ‒sur les marchés locaux. “Grâce à 2SCALE, nous sommes parvenues à identifier quatre agriculteurs qui produisent des graines de bonne qualité. Nous les leur achetons soit en payant comptant, soit à crédit et nous les transformons en fromage, en lait, en farine ou en galettes.” Bénédicte et les membres de sa coopérative ont ainsi pu gagner environ 30 000 francs CFA (45 €) par mois, contre un peu moins de 10 000 francs CFA (15 €) avant le début de leur activité de transformation en 2017.