Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.
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Vers une résilience climatique “du champ à l’assiette”

Dossier

Largement mise en œuvre dans le secteur, l’agriculture intelligente face au climat (AIC) se focalise sur trois objectifs centraux : le renforcement durable de la productivité, l’adaptation aux changements climatiques néfastes et l’atténuation des impacts négatifs des pratiques agricoles actuelles sur l’environnement.

Cependant, depuis quelque temps, les acteurs de l’AIC redoublent également d’efforts pour mettre en place des filières climato-intelligentes afin de faire face aux impacts du changement climatique sur l’ensemble de la chaîne de valeur, “du champ à l’assiette”.

Cette transition vers une focalisation sur les résultats de l’ensemble de la chaîne de valeur découle de la prise en compte du fait que le changement climatique peut avoir un impact à divers stades. Par exemple, des conditions climatiques extrêmes telles que des inondations influent sur les cultures, mais peuvent également rendre les routes impraticables, avec un impact sur le transport à l’étape de la transformation ou du transfert des produits vers les marchés. De plus, l'impératif d’atténuation des effets négatifs de l’agriculture sur l’environnement nécessite que les acteurs de la filière adaptent les processus hors exploitations le long de la chaîne, en introduisant des systèmes de transport à faibles émissions ou en limitant l’utilisation de l’eau, par exemple.

L'impact sur les paysages

Une approche de la chaîne de valeur intelligente face au climat identifie plusieurs points d’accès pour la mise en œuvre des programmes d’AIC. “Les impacts du changement climatique sont ressentis dans de vastes régions. Par conséquent, toute réponse doit avoir lieu à diverses échelles et dans divers secteurs”, affirme Richard McNally, coordinateur mondial pour le changement climatique au sein de l’organisation de développement néerlandaise SNV (voir son interview dans Spore, “Créer des valeurs partagées pour les entreprises, la société et l’environnement”).

En envisageant le système dans son intégralité, les protagonistes de la chaîne de valeur sont mieux à même de discerner non seulement les pratiques agricoles les plus appropriées et les plus efficaces, mais également les acteurs susceptibles d’avoir le plus d'influence sur la réalisation de l'objectif poursuivi. Le projet “Climate Smart Landscapes Solution” (Solution pour des paysages intelligents face au climat) de la SNV vise à rassembler des parties prenantes très diverses, avant tout en formant des partenariats public-privé et en empruntant des voies de financement novatrices afin d’élaborer des programmes intelligents face au climat. En Tanzanie et au Burkina Faso, la SNV collabore avec les gouvernements nationaux en vue de fournir aux agriculteurs de la biomasse sous forme de bois et de charbon – utilisés comme combustible de cuisine par la majorité de la population de chaque pays – tout en replantant des arbres. Dans le cadre du projet, la SNV collabore également avec des entreprises privées locales qui produisent des cuisinières plus polyvalentes à utilisation plus efficiente de combustible.

Évaluer les risques

Afin de contribuer à l’évaluation des risques climatiques potentiels et de l’action requise pour atténuer ces impacts le long de la chaîne de valeur, plusieurs organisations axées sur les filières ont mis au point des outils d’évaluation des risques qui aident à informer l’élaboration d’initiatives intelligentes face au climat. Par exemple, le Fonds international de développement agricole (FIDA) et le programme de recherche sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire du CGIAR ont mis au point une évaluation des risques liés au changement climatique en cinq points, qui s'inscrit dans une approche “basée sur les connaissances”du développement des chaînes de valeur. Plusieurs projets menés par le FIDA ont recours à l’évaluation des risques, notamment le projet de réhabilitation des moyens de subsistance (“Project for the Restoration of Livelihoods”) mené à bien en Ouganda, et le projet Adaptation aux marchés et au changement climatique (“Adapting to Markets and Climate Change”) au Nicaragua, sur les filières du café et du cacao. La SNV a également mis en place un outil d’évaluation des risques climatiques qui permet d’identifier les principaux impacts, acteurs, processus et ressources le long d'une chaîne de valeur vulnérable au changement climatique.

Un récent document du CTA examine les implications de l’investissement du secteur privé dans les initiatives d’AIC dans les Caraïbes, en expliquant en détail les impacts relatifs du changement climatique sur divers acteurs des filières des racines et des tubercules, ainsi que des fruits et légumes. Pour les agriculteurs, des sécheresses plus extrêmes menacent les rendements et limitent l’accès à des intrants essentiels tels que l’eau. Pendant ce temps, pour les transformateurs agricoles, les difficultés d’approvisionnement entraînent une sous-utilisation des machines, ce qui provoque une hausse du coût de fonctionnement fixe par unité de matière première transformée. À la suite de cette analyse, l’article explore des environnements politiques d’amélioration et des voies de soutien financier pour les chaînes de valeur et des acteurs spécifiques exposés aux impacts du changement climatique.

En aval sur la chaîne de valeur

Les solutions idéales reposent sur les systèmes et tiennent compte de l’entièreté de la chaîne de valeur. Il ne s’agit cependant pas toujours d’un objectif envisageable. Actuellement, la majorité des interventions intelligentes face au climat concernent des aspects spécifiques le long de la chaîne de valeur, notamment le transport, l’entreposage, la transformation et la consommation.

Au Rwanda, même avec une production de maïs plus efficiente et intelligente face au climat, les précipitations irrégulières et la volatilité du marché qui en résulte ont encouragé de nombreux agriculteurs à accumuler des produits afin d’en profiter en période de pénurie. Cependant, l’absence d’infrastructures d’entreposage adaptées a généré des pics de contamination à l’aflatoxine du maïs, les produits contaminés devant être jetés après leur refus par les transformateurs, qui doivent alors se tourner vers les importations de maïs. Afin de garantir un entreposage correct du maïs et d’aider à réduire les pertes postrécolte de 30 % à 40 % des produits, le transformateur rwandais Africa Improved Foods (AIF) a mené un projet en collaboration avec le gouvernement rwandais et la Banque mondiale pour établir des centres de collecte ruraux. “En mettant en place ces points de collecte, nous avons pu réduire sur le terrain nos rejets de maïs contaminés à l’aflatoxine [...] de plus de 52 % lors de la deuxième saison de récolte en 2017”, indique le PDG d’AIF, Amar Ali.

On peut aussi observer des efforts visant à développer des systèmes alimentaires résilients face au climat et à faibles émissions à l’autre bout de la chaîne de valeur, du côté du consommateur. Le gouvernement sri-lankais a ainsi contribué au financement d’une usine à compost de taille industrielle dans la ville de Balangoda, afin de recycler les déchets organiques impropres à l’incinération pour la production d’engrais. Les déchets sont réutilisés pour ajouter de la valeur au système alimentaire local comme intrant biologique. De 2003 à 2017, les recettes générées par les ventes d’engrais sont passées de 200 000 roupies sri-lankaises (1 000 €) à plus de 2 000 000 Rs (10 000 €), ce qui a permis au conseil municipal d'investir dans de meilleures infrastructures de collecte des déchets. Alors que l’on estime que les pertes et les déchets alimentaires mondiaux devraient produire 8 % d’émissions de gaz à effet de serre au total, ces types de recyclage contribuent grandement à réduire l’empreinte carbonique des systèmes alimentaires.

Actifs liquides

Le principe de faibles émissions carboniques ou d’émissions neutres est bien établi dans le mouvement en faveur de filières plus intelligentes face au climat. Cependant, plus récemment, les acteurs des chaînes de valeur se sont également attachés à limiter l’utilisation de l’eau et à maximiser son efficacité dans les systèmes agricoles – de l’irrigation sur les exploitations au nettoyage des produits à l’étape de la transformation, puis au transport à partir des ports. L’eau joue un rôle central à divers niveaux des chaînes de valeur agricoles. Parallèlement, le changement climatique constitue une menace majeure pour la disponibilité de l’eau dans le monde. Bon nombre d’agriculteurs qui vivent dans les régions économiquement les moins sûres souffrent déjà de sécheresse extrême.

Au niveau des exploitations, Unilever mène à bien une série d'initiatives visant à financer l’installation de systèmes d’irrigation goutte-à-goutte, qui, s’ils rendent leur utilisation en eau plus efficace, peuvent représenter un investissement conséquent pour l’agriculteur. En Afrique, l’Unilever Tea Tanzania and Kenya Biodiversity Action Plan (plan d’action d’Unilever pour la biodiversité du thé en Tanzanie et au Kenya) a permis de planter plus de 1,45 million d’arbres dans les deux pays afin de stabiliser les précipitations et de protéger les bassins versants. La réhabilitation de deux sources d’eau par Unilever au sud du Kenya a également contribué à apaiser les conflits entre différentes parties prenantes de la région, et à fournir un point d’eau distinct et protégé pour les animaux locaux.

Tirer parti du secteur privé

Les initiatives d’Unilever ont démontré les résultats positifs de l’intervention du secteur privé dans le domaine émergent du développement de chaînes de valeur intelligentes face au climat. L’importance de l’implication du secteur privé est confirmée dans les approches systémiques plus larges élaborées à ce jour.

Utiliser l’influence du secteur privé, alliée au financement et à la réglementation du secteur public, peut également contribuer à renforcer les pratiques d’AIC avec des succès avérés et à élargir les diverses interventions intelligentes face au climat à l’ensemble des chaînes de valeur. Comme l’explique Oluyede Ajayi, coordinateur de programme senior pour l’agriculture et le changement climatique au CTA : “Les ressources et l’implication effective des acteurs du secteur privé sont essentielles sur une chaîne de valeur intelligente face au climat et efficace. Les actions du secteur public sont également fondamentales, car elles créent un environnement favorable qui influence les décisions d'investissement du secteur privé et d’autres acteurs de la filière.”