Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.

“Une bonne entreprise est une bonne entreprise, peu importe le genre”

Dossier : Passage à l’échelle

 

Interview de Manka Angwafo

Fondatrice et directrice générale de l’entreprise de manutention de céréales Grassland, Manka Angwafo évoque les défis que représente l’expansion d’une entreprise, en particulier pour les femmes, et offre des conseils aux entrepreneuses pour assurer la croissance de leurs affaires.

Faire croître une entreprise peut constituer un réel défi. Pourquoi est-ce encore plus vrai pour les femmes ?

Il est impossible de développer rapidement une entreprise sans financements, et les femmes rencontrent de grandes difficultés à obtenir des fonds pour démarrer et faire croître leurs entreprises. Elles sont souvent confrontées aux questions ridicules des investisseurs, comme “Que se passera-t-il si vous vous mariez et fondez une famille ?” ou “Êtes-vous sûre que vous pouvez réellement créer cette entreprise ?” Ces questions ne sont jamais posées aux hommes et elles proviennent parfois même de femmes investisseurs ! Ce ne sont donc pas seulement les hommes qui sont partiaux, nous le sommes tous et toutes. Nous devons nous efforcer de surmonter les préjugés avec lesquels nous avons grandi.

Je pense aussi que les hommes sont plus ambitieux lorsqu’ils lancent une entreprise et que les femmes sont plus réalistes. Nous visons ce que nous savons être possible, et eux ce qu’ils espèrent être possible. 

Avez-vous l’impression que les hommes ont davantage d’opportunités que les femmes pour faire croître leurs entreprises ?

Absolument ! Les hommes ont davantage accès aux financements pour démarrer leurs entreprises. Les femmes doivent prouver le bien-fondé de leurs modèles, puis qu’elles sont capables de mener à bien leurs projets et enfin qu’elles sont les mieux placées pour gérer l’expansion de leurs entreprises. Les gardiens du capital sont essentiellement des hommes et, logiquement, ils se comprennent entre eux. Les femmes présentant les choses différemment, il est utile que davantage de programmes (par exemple Cartier Women’s Initiative Award, Women’s Startup Lab, etc.) leur soient maintenant proposés pour les former et les encadrer, afin qu’elles puissent s’exprimer adéquatement pour obtenir des financements et être prises au sérieux.

Je veux aussi souligner que toute personne disposant d’une entreprise viable qui génère des recettes n’a aucun problème à trouver les bons partenaires pour son expansion. Une bonne entreprise est une bonne entreprise, peu importe le genre. Mon entreprise, Grassland, tire parti des outils financiers novateurs et des données des systèmes aériens sans pilote (UAS) pour augmenter la productivité des agriculteurs africains. Notre solution réduit considérablement leurs coûts de production tout en doublant leurs rendements. Nous avons travaillé jusqu’à présent avec presque 1 000 agriculteurs dont les rendements sont passés de moins de 2 tonnes/ha à presque 5 tonnes/ha. Nous visons une croissance qui nous permettrait de toucher 100 000 agriculteurs dans toute la sous-région d’Afrique centrale, en tirant parti de tous les partenariats et technologies disponibles pour réduire les coûts d’acquisition de nos fermiers et optimiser les offres groupées proposées à chaque agriculteur.

Quels conseils partageriez-vous avec d’autres agripreneuses pour faire croître leurs entreprises ?

Il nous a été extrêmement difficile de nous préparer à l’expansion de notre entreprise. Les deux plus gros problèmes qui se sont présentés à nous ont été de trouver les bons financements et les talents appropriés. Je ne saurais trop insister sur la nécessité d’une stratégie de ressources humaines qui recrute des personnes possédant la bonne mentalité et implique tous les membres de l’équipe. Recrutement et formation occupent au moins 40 % de mon temps. Il est aussi essentiel que les processus organisationnels soient conçus pour l’expansion – il est difficile de se développer sans disposer des bons systèmes financiers, processus d’approvisionnement et procédures de gestion des stocks. Enfin, je ne demande pas à être prise au sérieux sur le plan personnel. Mes interlocuteurs peuvent m’ignorer, mais je ne bougerai pas de mes positions. Lorsque les gens réalisent que vous vous investissez sur le long terme, ils se mettent à traiter avec vous ou vous laissent passer.

Quelles mesures souhaiteriez-vous voir adopter pour mieux soutenir les agroentreprises des femmes ?

Je ne peux parler que de mon propre contexte d’entrepreneuse africaine noire dans un marché sans environnement propice aux start-up. Je pense toutefois que toutes les parties ont un rôle à jouer. Les gouvernements doivent faciliter les choses pour les femmes – qui représentent l’essentiel des effectifs du secteur agricole africain – pour qu’elles puissent dépasser le niveau de l’agriculture de subsistance, en mettant en place un milieu plus favorable pour les agroentreprises. Les banques en général ne comprennent rien à l’agriculture et au fait que c’est un processus de long terme, sur le plan de la production comme sur celui des chaînes d’approvisionnement. Personne ne devrait aborder le secteur de l’agriculture en espérant des rendements immédiats parce que c’est une science dont la réussite exige de nombreux essais et qui dépend de variables multiples et en perpétuelle évolution (sols, climat, variétés de semences, ravageurs, etc.).