Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.
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Un centre d’agroentreprises lorgne les marchés européens

Dossier : Passage à l’échelle

Thanthwe Farms produit toute l’année plus de 100 tonnes de fruits et légumes de grande qualité.

© Gift Chimulu

Malawi

Une agripreneuse du Malawi, Ngabaghila Chatata, a cofondé et dirige Thanthwe Farms, une agroentreprise qui vise à devenir leader dans la production de denrées horticoles à forte valeur ajoutée, au Malawi et dans toute l’Afrique.

D’une simple ferme horticole, Thanthwe s’est développée pour devenir un centre d’agroentreprises qui sert annuellement d’incubateur pour plus de 3 000 jeunes et petits agriculteurs malawiens. Grâce à des technologies intelligentes face au climat, telles que l’agriculture en serre et l’irrigation goutte-à-goutte, Thanthwe Farms produit toute l’année plus de 100 tonnes de fruits et légumes de grande qualité (dont des concombres, des melons, des champignons, des poivrons et des tomates) pour approvisionner les hôtels et supermarchés du Malawi. Pour produire des denrées à forte valeur ajoutée, l’entreprise agricole a aussi créé ses propres installations de transformation et conditionnement pour des produits tels que les mangues séchées, les tomates séchées et le thé à l’hibiscus, qu’elle prévoit éventuellement d’exporter.

“En 2012, nous avons démarré avec une parcelle d’un quart d’acre parce que nous nous étonnions d’avoir à importer des légumes comme les poivrons verts, épinards et pommes de terre”, explique Ngabaghila Chatata à Spore dans sa ferme à la périphérie de la capitale Lilongwe. “En 2014, nous avons constaté que nos clients se plaignaient de ne pouvoir être approvisionnés de manière permanente. Nous avions besoin de développer l’entreprise et nous avons répondu, par l’entremise du ministère du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme, à l’appel de la Banque africaine de développement (BAD) pour des subventions au développement des échanges commerciaux.” Suite à l’acceptation de cette demande, la BAD a financé l’agrandissement des serres de l’exploitation de 400 à 1 700 m2 et, en novembre 2015, Ngabaghila Chatata a quitté son emploi à plein temps pour concentrer ses efforts sur la ferme.

“Parfois, au lancement d’une entreprise, vous voulez juste perpétuer votre projet initial alors même que le contexte commercial vous indique une autre voie. Il faut savoir ce que recherche la clientèle et répondre à cette demande, c’est ce qui nous a amenés à développer notre activité”, confie-t-elle.

Au moment de notre interview, Ngabaghila Chatata formait des coopératives agricoles aux aménagements préalables à la mise en place de serres, Thanthwe étant le seul fournisseur de serres pour les agriculteurs au Malawi. Son ambition est que le Malawi puisse cultiver et exporter des légumes à forte valeur ajoutée, compétitifs au niveau international. Pour atteindre cet objectif, “nous incubons d’autres entreprises en leur donnant les compétences nécessaires pour gérer une agroentreprise et cultiver leurs produits afin qu’ensemble nous puissions produire la qualité recherchée à l’exportation. Par exemple, au lieu de vendre nos tomates en vrac, elles seront conditionnées et étiquetées conformément aux normes internationales”.

Optimisation des profits

Selon Ngabaghila Chatata, les agriculteurs malawiens sont comme ailleurs en Afrique confrontés à des problèmes d’accès au marché à cause des mauvais réseaux routiers et des distances à parcourir pour atteindre un marché, ce qui entraîne des pertes après récolte élevées et un manque de revenus essentiels. Pour remédier à ces difficultés, Thanthwe Farm veut devenir un agrégateur de produits permettant aux cultivateurs individuels d’apporter leur production agricole à Thanthwe pour leur transformation et/ou conditionnement, afin de la rendre plus compétitive et réduire les pertes après récolte.

Thanthwe vise aussi une utilisation maximale des ressources. “L’utilisation verticale de l’espace dans les serres nous donne un avantage, et alors que d’autres ont des problèmes de productivité agricole nous obtenons des rendements plus élevés par unité de surface en serre”, explique Ngabaghila Chatata. “Nos sols sont sablonneux, ce qui nous oblige à utiliser beaucoup de fumier. Nous compostons donc tous nos produits organiques, y ajoutons du fumier animal et mélangeons tout cela avec la terre, ce qui nous permet de retenir l’humidité.” L’irrigation goutte-à-goutte, utilisée dans les serres et les champs, réduit de jusqu’à 90 % les volumes d’eau utilisés sur l’exploitation.

Ngabaghila Chatata indique qu’elle a démarré l’exploitation avec son mari sur des économies personnelles provenant de leurs emplois respectifs. Au fur et à mesure de son développement, ils ont toutefois trouvé d’autres collaborateurs tels que l’ONG Land ‘O Lakes qui a contribué à la modernisation du système d’irrigation. “Nous avions notre propre puits, mais ils nous ont aidés à en forer un autre et à installer un réservoir de 5 000 litres, puis nous avons acheté trois autres réservoirs pour atteindre une capacité de 20 000 litres.”

Elle reconnaît néanmoins que l’accès aux financements peut constituer un gros problème et qu’il peut parfois être tentant d’obtenir un prêt qui dépasse les capacités de l’entreprise. “Nous avons appris au fil des années à ne lever que les fonds indispensables. Nous avons profité autant que possible des subventions disponibles et demandé des prêts bancaires seulement lorsque cela s’est avéré nécessaire. Je collabore actuellement avec plus de 3 000 petits agriculteurs mais ce type de travail est soutenu par nos partenaires de développement.” Elle explique que le programme actuel de formation est appuyé par ONU Femmes, et son action pour l’autonomisation économique des femmes par le biais d’initiatives pour une agriculture intelligente face au climat.

Renforcement des compétences commerciales des femmes

Fedia Banda, bénéficiaire de l’initiative financée par ONU Femmes et présidente d’un groupe d’agricultrices, déclare : “Nous sommes venues pour apprendre les diverses stratégies de résilience adoptées ici. Dans notre village, l’eau est un problème alors qu’ici ils ont des réservoirs de stockage d’eau et des canalisations souterraines pour l’irrigation goutte-à-goutte afin de pouvoir cultiver toute l’année.” Fedia Banda ajoute que le fait de pouvoir planter toute l’année signifie plus de nourriture et d’argent et permet d’envoyer les enfants à l’école.

Ngabaghila Chatata encourage activement les femmes à se construire des réseaux, à s’engager dans des programmes d’appui au renforcement des capacités et à diversifier leurs activités. Elle a elle-même bénéficié d’une formation de l’initiative Mhub Growth Accelerator et du programme Women Creating Wealth de Graça Machel. “Pour faire croître une entreprise, il faut des compétences en gestion commerciale, qui ne peuvent s’acquérir qu’en suivant un processus d’incubation. J’appelle donc à ce qu’en Afrique nous mettions en place les incubateurs d’entreprises dont nous avons besoin pour renforcer les compétences commerciales des femmes”, conseille-t-elle.

“Je crois fermement que le plus important ce sont les compétences et que le fait d’être une femme est secondaire. Ainsi ce n’est pas en tant que femme que je traite avec les gens, mais en tant qu’individu chargé de l’autorité que je possède sur le plan professionnel. Lorsque nous procédons de cette manière, nous évitons de nous engluer dans les idées reçues sur les femmes qui ne devraient pas faire ce qu’elles font”, déclare Ngabaghila Chatata. Elle emploie désormais 15 personnes à plein temps, plus une dizaine d’employés à temps partiel pour des tâches manuelles et une équipe de 10 consultants s’occupant essentiellement de formation à la facilitation. Elle conseille aux entrepreneuses de relever les défis qu’elles rencontrent et de travailler à réaliser leurs rêves car c’est sur eux que repose leur réussite.

Pour concrétiser ses rêves, Ngabaghila Chatata prévoit d’augmenter les superficies consacrées aux cultures de plantes et herbes aromatiques afin de développer la transformation et le conditionnement de ce type de produits (hibiscus, citronnelle, gingembre). “Nous aspirons à pénétrer le marché de l’Afrique de l’Est d’ici la fin 2020, quand nous travaillerons avec 5 000 agriculteurs”, révèle–t-elle. Elle ajoute qu’elle espère pouvoir éventuellement prendre pied sur le marché européen.