Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.
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Les enjeux de l’énergie

Dossier : Énergie

Analyse

Face au changement climatique et aux besoins croissants du secteur agricole, la transition énergétique s’impose. État des lieux et solutions innovantes.

Le constat n’est pas nouveau. L’accès à l’énergie en Afrique subsaharienne reste bien en deçà des besoins. Hors Afrique du Sud, seulement un tiers de la population de cette région est branché à l’électricité. Une proportion qui chute de plus de la moitié si l’on considère les zones rurales. Les îles des Caraïbes et du Pacifique ont des taux d’électrification beaucoup plus élevés. Mais, là encore, les moyennes masquent de grandes disparités. Par exemple, seuls 15 % des habitants de Papouasie-Nouvelle-Guinée ou des îles Salomon sont raccordés au réseau électrique.Si elles ont peu accès à l’énergie, les populations les plus pauvres sont aussi celles qui la paient aux prix les plus élevés. Les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) paient leur électricité cinq fois plus cher que l’Afrique du Sud. En zone rurale, le kilowattheure peut être trois fois plus élevé qu’en ville (voir infographie). La forte dépendance des territoires îliens aux énergies fossiles importées renchérit aussi beaucoup le prix de l’énergie dans les régions Caraïbes et Pacifique.

Une agriculture consommatrice et productrice d’énergie

Il n’est pas aisé de quantifier les besoins du secteur agricole. L’agriculture des pays ACP est encore largement caractérisée par une petite paysannerie, qui repose à 90 % sur la main-d’œuvre familiale et la traction animale. Pour autant, les petites fermes ont besoin d’énergie pour mécaniser une partie du travail, mais aussi pour l’irrigation, la conservation des semences, la transformation, le transport... À ce jour, seuls 4 %des terres cultivées sont irrigués en Afrique subsaharienne. Et entre 10 et 20 % des récoltes sont perdus chaque année faute de moyens appropriés pour les conserver. Une autre caractéristique des populations rurales est la forte dépendance énergétique à la biomasse : 80 à 90 % des ménages consomment des combustibles ligneux (bois, charbon de bois, déchets végétaux, etc.) pour l’énergie domestique. Si cette dépendance à une ressource locale et renouvelable a des avantages, la pollution intérieure qui va avec les combustions de cuisson et de chauffage fait des dégâts. Elle coûte la vie à près de 600 000 personnes chaque année en Afrique, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

À ces besoins de l’agriculture familiale s’ajoutent ceux des grandes exploitations commerciales tournées vers l’export, dont les besoins en termes d’irrigation, stockage, transformation et transport sont croissants. Une approche intégrée à l’échelle de l’exploitation s’imposerait même à l’ère du changement climatique, selon certains experts. La transition énergétique, qui doit permettre à nos économies de s’affranchir des énergies fossiles à l’échelle de ce siècle pour enrayer le réchauffement, est un sacré challenge pour l’agriculture moderne qui en est largement dépendante. “Notre agriculture est très énergivore : elle a un rendement énergétique inférieur à 1, autrement dit elle consomme plus de calories qu’elle n’en produit. En cause, la mécanisation mais aussi l’utilisation d’azote, de phosphate, de produits phytosanitaires”, explique BenoîtDaviron du CIRAD. Pour le chercheur, cette situation trouve un écho dans les nombreux discours “sur l’agroécologie et sur le besoin de réintégrer agriculture et élevage pour boucler le cycle énergétique sur l’exploitation”.

Pourtant, les exploitations agricoles ont une particularité notable : elles sont capables de générer leur propre énergie. Avec la traction animale, mais aussi grâce à de nouvelles techniques, comme la production de biogaz avec les déchets agricoles ou, en ayant l’espace, l’installation de panneaux solaires pour faire fonctionner une pompe. Sarah Best, chercheur à l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED), souligne l’importance de répondre aux besoins des petites exploitations et entreprises de transformation à leur échelle, au lieu de penser en besoins globaux.

Quels choix énergétiques permettront de répondre à ces enjeux ? Beaucoup tablent sur un recours massif aux énergies renouvelables. Comme l’Agence française de développement (AFD), selon laquelle “la transition énergétique de l’Afrique combinera le développement de son potentiel d’énergies renouvelables et le développement de l’accès pour tous”.

Un choix doublement légitime puisqu’il permet de sortir des énergies fossiles et de contribuer à l’indépendance énergétique du continent. Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), “le potentiel de production de l’Afrique en matière d’énergies renouvelables est largement supérieur à la consommation électrique actuelle et estimée du continent”. Aujourd’hui, 60 % de la production d’électricité vient déjà de l’hydroélectricité. Et de nombreuses autres sources d’énergie sont bien réparties sur le continent.

Les questions économiques au cœur de la transition

L’Initiative africaine pour les énergies renouvelables (IAER), ouverte aux 54 pays du continent, vise à augmenter la capacité installée du continent en énergies renouvelables de 10 GW d’ici 2020 et de 300 GW d’ici 2030. En jeu pour l’IAER : “Aider les pays africains à sauter des étapes pour embrasser des systèmes énergétiques renouvelables qui soutiennent leurs stratégies de développement à faible émission de carbone tout en améliorant la sécurité économique et énergétique.” Mais quid de la rentabilité économique ? Le marché énergétique des renouvelables est encore souvent considéré comme risqué et peu lucratif pour les investisseurs. La rentabilité de tels projets se compte à l’échelle de 10 à 20 ans, alors que, dans le même temps, les énergies fossiles bénéficient de mécanismes de subvention qui masquent un coût réel plus élevé. “Les subventions aux énergies fossiles faussent les prix et empêchent l’investissement dans les énergies renouvelables. Il faut que ces subventions soient progressivement redirigées vers les projets d’énergies renouvelables”, souligne ainsi le réseau Climat et développement. D’autant plus que les coûts des renouvelables baissent. Selon une étude publiée en septembre 2016 par le think tank Carbon Tracker Initiative, le coût de production d’un kilowattheure à partir du renouvelable est désormais moins élevé que celui du kilowattheure fossile.

Étant donné le coût actuel de l’énergie, un scénario “business as usual” serait même catastrophique selon le réseau Climat et développement : “Sachant que la consommation sera au moins multipliée par 10 d’ici 2030 en Afrique, la facture énergétique au niveau des pays africains deviendra vite insolvable en l’absence de transition énergétique.”

L’ONG plaide aussi pour une production largement décentralisée, pour faciliter l’accès de tous à l’énergie. “Des initiatives décentralisées – mini-réseaux ou hors réseau – répondent mieux aux besoins des populations en zone rurale”, selon l’organisation. Décentraliser la production d’énergie répond aussi à la perte d’énergie le long des réseaux. L’inefficacité énergétique de l’Afrique à cause d’installations vétustes est en effet la plus forte au monde.

Quels financements peuvent attendre les États pour opérer cette transition ? Les politiques climatiques mettent les bailleurs sur la voie du renouvelable. Sur les 12,6 milliards d’euros de financements publics internationaux pour le climat entre 2003 et 2015, 40 % étaient destinés à la transition énergétique. Une priorité réitérée par les Accords de Paris en 2015. Pendant la COP 21, dix bailleurs se sont en effet engagés à mobiliser 8,9 milliards d’euros pour les énergies renouvelables. Aujourd’hui, 4,5 milliards d’euros sont déjà sur la table, contribuant à l’installation de 5,7 GW d’énergies renouvelables. Preuve que les temps changent, “l’investissement mondial dans les capacités de génération d’électricité renouvelable était [en 2015] plus de deux fois supérieur aux 116 milliards d’euros alloués aux nouvelles capacités de production d’électricité par charbon et par gaz naturel”, selon le WWF.

Agrocarburants décevants ?

Autre source d’énergies renouvelables, les agrocarburants font beaucoup moins parler d’eux qu’il y a quelques années. Ceux dits de “première génération”, à partir de colza, de maïs ou d’huile de palme, ont été de très mauvais exemples. Leur utilisation de terres agricoles entrant en concurrence avec la production alimentaire aurait contribué, selon certains experts, à la spéculation sur le foncier agricole. En question aussi, leurs mauvais rendements énergétiques, compte tenu de toute l’énergie nécessaire à leur production.

Pire, leurs niveaux d’émission de gaz à effet de serre sont souvent plus élevés que les carburants qu’ils remplacent. Le biodiesel à partir d’huile de palme, par exemple, émet en moyenne plus de 80 % de gaz à effet de serre que le diesel, selon une étude de la Commission européenne publiée en juin 2016 qui prend en compte le changement d’utilisation des terres.

Des plantes plus rustiques, comme le jatropha en Afrique, ont donné quelques résultats. C’est le cas à Garalo au Mali, où de nombreux paysans ont décidé d’intercaler cette plante avec les cultures alimentaires pour mélanger ensuite l’huile des graines de jatropha au diesel (voir aussi le reportage sur le Bénin). Mais, globalement, les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes des chercheurs, selon Lynn K. Mytelka, de l’université des Nations unies à Maastricht.

Les agrocarburants font néanmoins partie du mix énergétique. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) vise une proportion d’éthanol/biodiesel dans les carburants de transport de 5 % en 2020 et 15 % en 2030. “Au Malawi, la politique nationale sur le carburant commercialisé prévoit que celui-ci contienne 10 % de biodiesel”, souligne Oluyede Ajayi, chargé de programme senior, spécialiste du changement climatique au CTA.

Pour les autres renouvelables, la CEDEAO ambitionne d’atteindre 35 % à l’horizon 2020 (48 % en 2030), dont 10 % hors grandes centrales hydroélectriques en 2020 (19 % en 2030). Ces objectifs se traduisent par une capacité supplémentaire de 2,4 GW d’électricité renouvelable en 2020 et 7,6 GW d’ici à 2030.

Les énergies renouvelables en bonne voie

Les négociations climatiques ont également conduit les États du Sud à s’engager sur des modèles de développement compatibles, à terme, avec une sortie des énergies fossiles. Dans les îles du Pacifique, la volte-face est spectaculaire (voir aussi le reportage sur les Caraïbes). Bien que largement dépendants du pétrole importé, les États affichent des objectifs très élevés en énergies renouvelables à l’horizon 2020. Cette ambition est la traduction de leurs discours très volontaires au cours des négociations climatiques, face au danger déjà sensible pour leurs îles de la montée du niveau des océans. En Afrique, la Banque africaine de développement (BAD) s’est engagée à travailler étroitement avec les pays africains pour les aider à faire face aux défis du changement climatique. Selon l’IRENA, près de la moitié des pays africains ont déjà entrepris une évaluation des ressources nationales disponibles pour une ou plusieurs sources d’énergies renouvelables.

Signal que la transition énergétique est en marche, selon le WWF, l’Afrique subsaharienne était en 2015 le plus grand marché mondial d’installations solaires domestiques hors réseau (1,37 million d’unités). Avec en tête l’Éthiopie, le Kenya et la Tanzanie.

Concernant les projets de plus grande envergure, un récent rapport recense 240 projets en Afrique, dont 13 projets de géothermie (capacité de 7 GW), 58 projets d’hydroélectricité (20 GW), 62 projets solaires (6 GW) et 16 projets éoliens (5 GW). Là où les énergies fossiles ont échoué depuis des décennies, les énergies renouvelables sont en bonne voie.