Dossier : l'énergie verte
Le passage aux énergies renouvelables permet aux entreprises de limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, de s'adapter aux effets du changement climatique et de bénéficier d’avantages économiques.
Les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) sont touchés de plein fouet par les problématiques de la croissance démographique et du changement climatique. Si leurs sécurités alimentaire et économique sont gravement menacées par le réchauffement, leurs filières agricoles, qui dépendent des combustibles fossiles, produisent elles aussi des quantités considérables de gaz à effet de serre (GES). Or, les énergies renouvelables peuvent réduire les émissions de GES, améliorer l'efficacité économique de la chaîne de valeur et contribuer à l’adaptation au changement climatique.
Les petits États insulaires en développement (PEID) des Caraïbes et du Pacifique, en particulier, dépendent des importations de combustibles fossiles pour leur approvisionnement énergétique. Les prix de l'électricité dans ces régions restent parmi les plus élevés au monde en raison de l'absence d'économies d'échelle et des coûts de transport élevés. L’addition peut donc être particulièrement salée pour les agriculteurs. Si la plupart des PEID – à quelques exceptions notables près, comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les îles Salomon – affichent des niveaux élevés d'accès au réseau d’électricité, le coût exorbitant de cette énergie empêche de nombreux agriculteurs de développer leurs activités. La plupart des pays ACP bénéficient d'un ensoleillement très important tout au long de l'année et sont donc bien positionnés pour exploiter au maximum les installations solaires photovoltaïques et les autres technologies énergétiques durables. Toutefois, dans certaines parties du continent africain, les régions rurales reculées n’ont pas accès à un approvisionnement électrique fiable, d’où des problèmes supplémentaires pour les entreprises agricoles.
Les avantages combinés des énergies renouvelables
Les pertes postrécolte liées à l’absence de possibilités de réfrigération tout au long de la chaîne d’approvisionnement limitent considérablement l’efficacité de l’agriculture dans de nombreux pays en développement. Au Nigeria, par exemple, 45 % de la production est affectée par les pertes postrécolte en raison d’un accès insuffisant à des entrepôts frigorifiques. La perte de revenu qui en découle pour les 93 millions de petits producteurs du pays atteint les 25 %.
La société nigériane ColdHubs a décidé de miser sur les énergies renouvelables pour remédier à ce problème. Son PDG, Nnaemeka Ikegwuonu, insiste sur l’importance de développer l’infrastructure verte dans les zones rurales : “Nous avons besoin d’énergie à tous les niveaux, à tous les stades de la chaîne de valeur : pour la production, pour la transformation, pour la commercialisation et la distribution (pour faire fonctionner les outils numériques et pour le transport). L’énergie verte est donc essentielle pour tous les maillons de la chaîne de valeur.” Les entrepôts frigorifiques de l’entreprise sont alimentés par des panneaux solaires d’une puissance de 5,5 kW installés sur les toits, reliés à un système de batterie. Les agriculteurs utilisent ces entrepôts pour stocker leur production. Ce service leur est facturé 0,45 € par casier. Cette méthode peu coûteuse permet de remédier aux lacunes de la chaîne d’approvisionnement tout en créant une valeur ajoutée pour l’économie locale, grâce à des co-bénéfices environnementaux. (Pour en savoir plus, voir dans Spore l’entretien avec Nnaemeka Ikegwuonu.)
L’agriculture, une activité et un secteur énergivores
Si les agriculteurs pratiquant l'agriculture vivrière peuvent être fort désavantagés faute d’un accès fiable à l’électricité, ceux qui travaillent dans des secteurs à forte intensité énergétique doivent souvent faire face au problème du coût de l’électricité. C’est le cas de l’élevage intensif, particulièrement gourmand en électricité, que ce soit pour l'alimentation du bétail, la ventilation des installations d’élevage, les procédures de contrôle environnemental, le transport ou encore la transformation. En Jamaïque, le gouvernement est aujourd’hui conscient de la nécessité de la transition énergétique et du passage à l’énergie durable, à la fois pour diminuer les coûts et pour réduire les émissions de GES. Le gouvernement a ainsi fixé, pour le pays, l’objectif de porter la part des énergies renouvelables à 50 % du mix énergétique d’ici à 2030, et a adopté des politiques visant à faciliter l’accès financier des petits agriculteurs aux investissements dans les énergies alternatives.
Grâce à ces efforts, une loi sur la facturation nette de l'électricité a été adoptée suite à un accord entre le fournisseur public national d’électricité, le gouvernement et l'Office of Utilities Regulation (Bureau de réglementation des services d'utilité publique). Ce nouveau dispositif permet aux agriculteurs de rester connectés au réseau et de revendre au fournisseur public d’électricité tout excédent d'électricité produit à partir de sources renouvelables, au prix de gros. Les agriculteurs peuvent ainsi compter sur l’approvisionnement du réseau lorsque la quantité d’énergie renouvelable est insuffisante, ce qui leur évite de devoir investir dans un système coûteux de stockage de l’énergie.
L’amélioration de l’accès aux capitaux pour les investissements dans les énergies renouvelables explique également le boom des énergies renouvelables dans ce pays. Depuis 2008, la Banque de développement de la Jamaïque (DBJ), une entité publique nationale, gère en partenariat avec la Banque mondiale un mécanisme spécial financé à hauteur de 20 millions d’euros, qui permet aux entreprises d'obtenir des prêts pour des projets d’efficacité énergétique et d'énergies renouvelables. Ces prêts sont octroyés à des taux compétitifs et les agriculteurs peuvent utiliser comme garantie leur matériel agricole, et non leurs terres. Ce nouvel instrument réduit donc les risques pour les agriculteurs tout en améliorant leur accès au financement.
L’évolution de la politique énergétique nationale a amélioré les perspectives économiques des agriculteurs jamaïcains. Parmi les bénéficiaires figurent les éleveurs de volaille qui fournissent l’entreprise Jamaica Broilers Group (JBG). Le JBG a déployé un système d'éclairage solaire LED performant, en partie grâce au mécanisme de prêt de la DBJ. Pour les producteurs, comme Shelly-Ann Dinnall, qui élève 600 000 poulets chaque année, les coûts énergétiques représentent souvent 60 % de l’ensemble des dépenses. Toutefois, grâce aux économies générées par l'utilisation de panneaux solaires connectés au réseau du JBG, les entreprises réalisent des économies qui leur permettent de réaliser d’autres investissements commerciaux, créer des emplois et stimuler l’économie régionale.
Des marchés alternatifs de produits agricoles
Pour certains agriculteurs des PEID qui cherchent à réduire leur facture énergétique, l'utilisation de l'huile de noix de coco comme biocarburant peut offrir des avantages environnementaux et économiques considérables. Dans les îles du Pacifique, la transformation de l'huile de noix de coco pour remplacer le diesel a un impact positif sur la situation économique locale, moins instable. L’utilisation de ce biocarburant peut contribuer à réduire l’impact de la volatilité des prix à l'exportation des cultures. Le prix des cultures varie en effet considérablement en fonction de la production mondiale. L'huile extraite de la noix de coco séchée, ou coprah, peut être utilisée seule, comme biocarburant dans les moteurs modifiés, ou mélangée à du diesel. Les tourteaux de coprah, le résidu qui subsiste après l’extraction de l’huile, sont un aliment idéal pour le bétail. C’est là une contribution supplémentaire de l’huile de coco à l’agriculture durable. Dans des îles comme Fidji et Maurice, la canne à sucre est également largement utilisée comme biocarburant.
Le Nikua Training Center, une ONG basée à Fidji, construit des tours de séchage du coprah. Véritables centres de profit pour les entreprises villageoises, elles leur fournissent de nouvelles sources de revenus. Les tours sont des unités de production verticale qui transforment sur place le coprah brut en huile, laquelle est utilisée au niveau local ou exportée.
“Chaque tour participe à la production hebdomadaire de 780 kg de coprah de qualité alimentaire à Vanua Levu, Fidji. Des groupes de 5 à 10 tours sont alimentés en électricité par un générateur électrique qui fonctionne au biocarburant”, explique Daniel Shafer, PDG de Nikua. “Grâce à leur conception modulaire, les groupes de tours peuvent être transportés rapidement, efficacement et avec un impact minimum, puis déployés pour les opérations à proximité de la source de noix de coco.” Daniel Shafer poursuit en mettant en avant les avantages du projet, par exemple “la vente directe d'huile de noix de coco, la capacité de production de biocarburants, un élevage et des produits animaux de meilleure qualité grâce à une alimentation à base de farine de noix de coco, et la séquestration de carbone par la production de biochar [charbon de bois ajouté pour améliorer la fertilité des sols]”. Au début de 2019, Nikua a également créé le Biofuel Field Engineering Laboratory à l'Université du Pacifique Sud, qui dispense une formation aux techniciens travaillant sur les unités de production de biodiesel dans les communautés isolées.
Les biocarburants qui remplacent le diesel ont été testés dans tout le Pacifique, avec notamment des études de faisabilité réalisées à Samoa, dans les îles Salomon et à Vanuatu. Ces études ont conclu que la production de biocarburant à base de noix de coco est techniquement et économiquement faisable, mais que ce nouveau produit est peu commercialisé et utilisé pour l’instant à petite échelle. Cela montre l’existence d’un marché potentiel dans les pays du Pacifique, débouchés qui pourraient être exploités grâce à des politiques publiques et de meilleurs mécanismes financiers permettant de lever les obstacles des investissements initiaux élevés pour la construction d’usines de transformation.
Un argument économique en faveur de l'énergie propre
Investir dans des systèmes énergétiques efficaces et renouvelables est essentiel pour assurer la sécurité alimentaire et le développement économique, tout en minimalisant les effets négatifs des chaînes de valeur agricoles conventionnelles, basées sur les combustibles fossiles. Les carburants importés sont terriblement chers et les phénomènes météorologiques extrêmes peuvent paralyser de vastes secteurs d'un pays lorsque son infrastructure et ses chaînes de valeur dépendent des importations de carburant. L'élaboration de politiques favorables et le soutien à l'innovation dans le secteur privé sont nécessaires pour promouvoir le développement des énergies renouvelables et peuvent offrir des possibilités de développer des économies locales autonomes, indépendantes et autosuffisantes.