Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.
Leading image

La voie vers l’adaptation et la résilience de l’agriculture

Dossier

Données et assurance

Le manque de données agricoles disponibles pour les petits agriculteurs et les institutions financières des pays en développement doit absolument être comblé pour permettre au secteur agricole de renforcer sa résilience et de s’adapter au changement climatique. Sans données agricoles et météorologiques précises, les petits agriculteurs subissent les événements climatiques imprévisibles et tendent à privilégier la gestion des risques plutôt que l’optimisation des revenus.

Dans les pays ACP, le manque d’informations et données agricoles rend difficile la gestion des risques agricoles et laisse les petits agriculteurs très vulnérables aux impacts du changement climatique. Ils sacrifient en moyenne 12 à 15 % de leurs revenus annuels pour réduire les risques grâce aux mécanismes traditionnels d’adaptation, à savoir la liquidation de leurs avoirs productifs, le non-remboursement de leurs emprunts et la diversification excessive de leurs cultures – des méthodes souvent inefficaces et contre-productives.

Entre 1995 et 2015, 7 000 catastrophes naturelles ont été recensées. Juste pour l’Afrique, elles ont touché 308 millions de personnes. Le risque accru de chocs climatiques tels que les sécheresses, inondations et vagues de chaleur décourage les agriculteurs d’investir dans les intrants et technologies agricoles utiles qui augmentent la productivité et les rendements, comme les engrais et les semences améliorées. Même s’ils voulaient investir dans ces technologies, les institutions financières hésitent à leur accorder des crédits s’ils ne peuvent prouver leur capacité à rembourser leurs emprunts.

L’essor des Big data

Toutefois, la révolution en cours des données avec les Big data et son impact sur la chaîne alimentaire a entraîné une augmentation annuelle de 80 % de l’investissement dans la technologie agricole depuis 2012. Cet afflux de capitaux a non seulement occasionné le développement de technologies précises de télédétection et autres outils de collecte des données – étudiés dans un récent article de Spore sur l’agriculture de précision – mais aussi a favorisé l’émergence d’entreprises privées d’analyse des données agricoles. Farmers Business Network, une start-up américaine visant à démocratiser l’information, fournir des analyses impartiales et susciter une concurrence dans le secteur agricole, a récemment reçu des investissements à hauteur de 36 millions d’euros des grands du capital-risque, comme GV et DBL Partners. D’autres entreprises ayant des centres d’intérêt analogues amplifient leur collecte et transmission de données agricoles dans les pays en développement. Gro Intelligence a conçu un logiciel de services sur abonnement, Clews, qui agit comme un moteur de recherche pour fournir des analyses couvrant un vaste éventail de données agricoles du monde entier. Cette entreprise réalise des analyses complexes de données environnementales en se fondant sur l’imagerie satellitaire, la production agricole, les flux commerciaux et les caractéristiques démographiques, qui sont à la fois simples et accessibles à un grand nombre d’utilisateurs.

La Plateforme du CGIAR pour les grandes données en agriculture, lancée début 2017 et à laquelle participent plus de 70 partenaires externes, s’inscrit dans la tendance de l’utilisation massive des données agricoles. Elle rassemble des milliers d’experts, des spécialistes des cultures aux développeurs informatiques, pour recueillir, traiter et analyser de grandes quantités de données sur les cultures, la météorologie, les sols, etc. Sur les possibilités offertes par cette plateforme, Andy Jarvis, directeur de recherche au CIAT, affirme que “avec suffisamment de données et d’analystes, nous pourrons dire si les pluies arriveront à temps ou en retard, et anticiper les chocs, réduire les risques et maximiser les opportunités pour une agriculture profitable et durable”.

L’accès à d’importantes quantités de données agricoles localisées permet aux agriculteurs et aux décideurs de prendre des décisions opportunes en réaction aux impacts du changement climatique. Toutefois, Sara Menker, fondatrice et directrice générale de Gro Intelligence, d’origine éthiopienne, s’intéresse plus au potentiel de statistiques fiables pour évaluer, surveiller et mesurer les activités agricoles dans la perspective d’encourager l’investissement commercial. Interrogée sur la résolution de la crise alimentaire au Forum économique mondial, elle a résumé l’importance des données en une question toute simple : “Comment pouvons-nous évaluer le risque encouru par un agriculteur si nous ne comprenons pas réellement les cycles de la production agricole dans la zone où il travaille en Afrique ?”

L’assurance indexée gagne du terrain

La disponibilité croissante des données agricoles a non seulement favorisé une offre plus large de services financiers aux petits agriculteurs des régions ACP mais elle a aussi permis l’introduction de l’assurance indexée, une solution viable aux défis de la gestion des risques dans un environnement évolutif. En outre, contrairement aux assurances indemnités traditionnelles, qui estiment les dédommagements en fonction des pertes de rendement individuelles ou du coût des dommages et de la santé dans les élevages, l’assurance indexée ne se fonde pas sur de coûteuses visites aux exploitations pour faire des évaluations individuelles d’impact. Les indemnités sont calculées selon un indice de valeurs lié aux variables qui affectent la productivité agricole, telles que les précipitations sur une certaine durée ou l’état de la végétation dans une région.

Pour créer ces indices, les assureurs doivent avoir accès à des données agricoles précises en temps opportun, et c’est là qu’interviennent les entreprises comme aWhere. Chaque jour, aWhere collecte plus de sept milliards de données dans le monde entier, qui fournissent des informations météorologiques localisées en temps réel et des données agronomiques de terrain pour toute la chaîne de valeur agricole. Grâce à un partenariat avec le projet de Services d’information ICT4Ag axés vers le marché et appartenant aux utilisateurs du CTA, les données d’aWhere sont utilisées pour offrir aux petits agriculteurs ougandais des assurances récoltes intégrant alertes météorologiques et conseils agronomiques. Enhancing National Climate Services (ENACTS), qui fournit les données nécessaires à la mise en place d’assurances indexées pour les petits agriculteurs éthiopiens, est une autre initiative basée sur l’amélioration de l’accessibilité et de l’utilisation de l’information climatique au niveau local et national.

Les experts d’ENACTS améliorent l’accessibilité des données climatiques en associant les données issues des réseaux pluviométriques nationaux, dont la qualité est vérifiée, et des estimations satellitaires des précipitations, des cartes altimétriques et des produits de réanalyse des températures. Ces données sont ensuite proposées en ligne sur le site d’ENACTS sous forme de séries de cartes (Maproom). Les assureurs utilisent ces dernières pour comparer les mesures prises par les agriculteurs à l’aide de pluviomètres manuels avec les données de surveillance des précipitations d’ENACTS, afin d’évaluer la justesse des indemnités d’assurance. Cette méthode a été utilisée par le système d’assurance R4 Rural Resilience dans des centaines de villages d’Éthiopie.

L’élargissement des produits d’assurance

Le développement des technologies de télédétection et d’autres outils de collecte des données permet aujourd’hui d’élargir les possibilités offertes par l’assurance indexée aux petits agriculteurs de toutes les régions ACP. En Zambie, un partenariat collaboratif entre secteur privé, organismes gouvernementaux et organisations à but non lucratif, encadré par la société sans but lucratif Musika, a réussi à assurer plus de 60 000 ménages agricoles contre la sécheresse et les événements météorologiques défavorables durant la saison 2015/16. “Nous avons atteint le moment décisif et passionnant où nous avons réussi à élargir durablement l’assurance agricole à des dizaines de milliers d’agriculteurs et offrir un produit novateur pour gérer les risques de base et maximiser le service à la clientèle, tout en restant commercialement viable pour les assureurs et réassureurs", souligne Agrotosh Mookerjee, un actuaire-conseil en microassurance engagé dans le projet

Un autre exemple de réussite est le cas des petits agriculteurs au Ghana qui reçoivent des indemnités de WorldCover déclenchées automatiquement par les satellites surveillant les précipitations. L’entreprise privée promet aux investisseurs un modèle de risques transparent qui limite les risques de dégradation et offre les rendements positifs attendus. Ce niveau de protection contre les catastrophes naturelles et phénomènes climatiques réduit les risques du crédit aux agriculteurs, ce qui encourage les institutions financières à leur accorder des prêts. Ils peuvent alors investir dans des intrants plus productifs sans s’inquiéter que les conditions météorologiques extrêmes réduisent leur capacité à dégager des rendements sur ces investissements. Malgré la valeur évidente de ces assurances et l’existence de 652 975 programmes protégeant les agriculteurs africains et de plus de trois millions de programmes d’assurance agricole en Amérique latine, 90 % des petits agriculteurs du monde n’ont toujours pas accès à l’assurance récolte. Afin d’évaluer les difficultés à surmonter pour élargir la portée de ces programmes d’assurance indexée, le CTA a co-organisé une conférence sur l’amplification de l’adaptation agricole par l’assurance à Bonn, en Allemagne, le 14 mai 2017 (pour examiner les principales questions soulevées lors de la conférence, consultez le dernier article finance de Spore).

Et maintenant ?

L’examen des expériences d’assurance agricole indexée souligne la récurrence de deux défis importants. Le premier est la difficulté d’amplifier la souscription de produits d’assurance par les agriculteurs. Elle découle fondamentalement de leur incompréhension et de leur méfiance concernant les avantages de l’assurance agricole et la fiabilité des institutions financières pour verser les indemnités dans des délais acceptables. Comme l’a fait remarquer Rahab Kariuki, directeur général d’une entreprise de conception de produits de microassurance, ACRE Africa, à la conférence de Bonn, le mot assurance n’existe même pas dans beaucoup de langues autochtones. Les prestataires d’assurances agricoles doivent donc s’efforcer conjointement d’éduquer les agriculteurs et de leur faire mieux réaliser les possibilités d’indemnisation de l’assurance. Dan Osgood, responsable scientifique à l’Institut international de recherche sur le climat et la société, a résumé cela en déclarant que, pour qu’ils soient persuadés d’investir dans l’assurance, “les agriculteurs ont besoin de voir les données et la science apparaître au bout de leurs doigts”.

Non seulement une information claire et transparente sur les produits d’assurance est essentielle pour que les agriculteurs les adoptent et les achètent plus largement, mais ces produits doivent aussi être plus accessibles et mieux correspondre à leurs besoins. Il est donc nécessaire de consulter les agriculteurs pendant la phase de conception des produits d’assurance. Mais aussi de cibler d’abord les grandes exploitations commerciales disposant de revenus plus importants pour démontrer les avantages de l’assurance intempéries indexée aux petits agriculteurs et les convaincre d’investir dans ces produits.

Le second défi concerne la viabilité commerciale des assurances indexées. L’assurance agricole, pour devenir une solution durable au changement climatique, doit attirer l’investissement du secteur privé.

À la conférence de Bonn, le concept du regroupement de l’assurance indexée avec d’autres services financiers et d’information, pour qu’elle soit financièrement plus viable pour les investisseurs privés, a été largement traité. Ishmael Sunga, PDG de la Confédération des syndicats agricoles d’Afrique australe, a déclaré que “l’assurance seule ne suffit pas, il faut lui adjoindre des services et intrants complémentaires”. Il a été démontré que la fourniture d’un éventail de services pour atténuer les risques du changement climatique intéresse davantage les agriculteurs et le secteur privé. Dans cette perspective, le projet phare du CTA en Afrique australe axe son action sur l’expansion de l’assurance intempéries conjuguée à trois autres solutions éprouvées de résistance au changement climatique pour les cultivateurs de céréales et éleveurs : les semences tolérantes à la sécheresse, l’amélioration des services d’information sur le climat et les options favorisant la diversification des éleveurs. Avec cet éventail de services, le CTA veut améliorer la résistance au changement climatique de 200 000 petites exploitations agricoles familiales d’Afrique australe, essentiellement au Malawi, en Zambie et au Zimbabwe.

Pas d’assurance sans variétés améliorées de semences

Pour encourager les agriculteurs d’Afrique orientale à adopter les services d’assurance sécheresse et les semences tolérantes à la sécheresse, un projet géré par le CGIAR associe en une seule offre deux outils intelligents sur le plan climatique. Bien que les germoplasmes adaptés au changement climatique soient de plus en plus disponibles, Jon Hellin, chercheur au Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT), regrette que “les menaces comme la sécheresse – la raison même pour laquelle il faut adopter des variétés de cultures adaptées au changement climatique – représentent un énorme risque qui fait hésiter les agriculteurs à investir dans de nouvelles technologies, telles que les semences tolérantes à la sécheresse”. Toutefois, ajoute-t-il, “l’association des semences avec un outil d’atténuation des risques tel que l’assurance indexée ouvre de fantastiques opportunités d’augmenter le nombre d’agriculteurs utilisant les technologies et pratiques d’agriculture intelligente face au climat”.

Automatiquement indemnisés par les assureurs si les précipitations n’atteignent pas un seuil convenu, les petits agriculteurs investissent plus volontiers pour améliorer leur résilience face au changement climatique. Le projet associe donc agriculteurs, assureurs, réassureurs et semenciers pour développer des produits appropriés d’assurance indexée à combiner avec des germoplasmes adaptés au changement climatique.

Le CIMMYT, par le biais d’un partenariat avec le projet d’élargissement de l’utilisation des semences améliorées Maïs pour l’Afrique résistant à la sécheresse et avec ACRE (Agriculture and Climate Risk Enterprise), étudie les possibilités d’incorporation de semences de maïs tolérantes à la sécheresse à une garantie de replantation offerte par ACRE aux agriculteurs. Pour déclencher l’application de la garantie de replantation, les agriculteurs doivent, au moment de la plantation, envoyer par SMS un code indiqué dans chaque sac de semences de maïs. Leur exploitation sera alors surveillée par imagerie satellite pendant 21 jours. Si l’indice de sécheresse est déclenché pendant cette période, les agriculteurs seront indemnisés afin de pouvoir acheter un nouveau sac de semences. La prime d’assurance pour cette couverture est intégrée au prix des semences de maïs, ce qui évite des frais supplémentaires aux petits agriculteurs.

ACRE propose aussi des services d’assurance pour les intrants, les récoltes et les animaux d’élevage à 800 000 petits agriculteurs d’Afrique orientale. Ils devraient être trois millions d’ici 2018. En collaborant avec le plus important fournisseur d’assurance indexée du monde en développement, le CIMMYT vise à fournir, d’ici 2019, des services regroupés à 400 000 agriculteurs des zones d’Afrique orientale sujettes à la sécheresse.

Pour en savoir plus sur l'assurance climatique en action, lire notre reportage sur l'assurance et l'adaptation au risque climatique dans les Caraïbes.