Le concept de l’économie circulaire repose sur la création de croissance durable en maximisant l’efficacité de l’affectation des ressources et, en fin de compte, en produisant plus avec moins d’intrants, dans un système semi-fermé. En agriculture, il est possible de réutiliser une partie de la production, comme les déchets, à toutes les étapes du processus de production, et de les utiliser comme intrants pour d’autres chaînes de production.
La nécessité de créer des systèmes alimentaires durables et de réduire les déchets encourage le développement de solutions innovantes au bénéfice tant de l’environnement que de l’économie. À bien des égards, l’économie circulaire (EC) est un retour à une approche plus traditionnelle, dans le sens où chaque élément produit se voit affecter un autre usage et où toutes les chaînes d’approvisionnement sont pleinement intégrées. Dans un système d’EC, les déchets générés durant le processus de fabrication sont réutilisés et réintroduits – en tant qu’intrants – dans le cycle de production. Cela crée ainsi un circuit semi-fermé dans lequel les ressources sont recyclées, réduisant donc la nécessité d’ajouter d’autres matériaux tout en profitant de sous-produits. Un circuit fermé, où tous les déchets sont réutilisés dans le cadre du processus de production, est l’option la plus souhaitable en termes de durabilité et pourrait devenir le modèle économique de prédilection pour l’industrie dans les années à venir.
Si elle peut paraître simple, l’EC implique toutefois une transition radicale et l’abandon du modèle linéaire prédominant aujourd’hui. Dans sa thèse de 1966, The Economics of the Coming Spaceship Earth (L'Économie du futur vaisseau spatial Terre), l’économiste Kenneth Boulding a introduit pour la première fois l’idée d’un système économique en circuit fermé, qui intègre la réutilisation et le recyclage des matières usagées. Kenneth Boulding affirmait que la Terre devait être considérée comme un vaisseau spatial, dont les ressources ne sont pas illimitées et qui n’a pas la capacité d’absorber une pollution illimitée, avec des humains qui doivent s’adapter à la vie dans un espace fermé.
Des connexions intelligentes entre plantes et animaux
Un système agroalimentaire fermé
Ces dernières années, l’EC est devenue un modèle de durabilité largement accepté, et particulièrement pertinent pour le secteur agroalimentaire. Dans le contexte de la croissance démographique mondiale, la sécurité alimentaire et hydrique attise l’intérêt pour de nouvelles formes d’agriculture, plus efficaces et générant moins de déchets. Compte tenu de sa flexibilité, l’EC peut être mise en œuvre dans des secteurs aussi variés que l’aquaponie, l’élevage à grande échelle et la production végétale.
Un système agroalimentaire circulaire réduit la quantité de déchets mais aussi l’utilisation des terres ainsi que la dépendance aux produits chimiques. Selon une étude de la Fondation Ellen MacArthur, l’adoption d’un système agricole basé sur l’EC en Europe pourrait entraîner une baisse de 45 à 50 % de l’utilisation d’engrais, de pesticides et d’eau, et de 20 % de l’utilisation de terres, d’électricité et de combustibles, et des émissions de gaz à effet de serre associées. Cette réduction a été démontrée par des chercheurs néerlandais, qui optimisent les ressources à travers un circuit fermé intégrant la production de légumes et l’élevage. Ce système réduit les besoins en engrais, ainsi que la quantité de déchets agricoles et animaux, tout en améliorant la qualité du sol et les rendements agricoles jusqu'à 70 %.
Ressources limitées dans les États insulaires
De nombreux petits États insulaires en développement (PEID) n’ont pas toujours les capacités locales pour traiter les déchets et privilégient donc un système agricole basé sur l’EC, dans lequel la gestion des déchets et le soutien à l’infrastructure jouent un rôle clé. Leota Kosi Latu, directeur général du Secrétariat du Programme régional océanien de l’environnement (SPROE), a illustré en 2018 la nécessité pour les PEID de protéger leurs ressources en adoptant l’EC : “La mauvaise gestion des déchets et le contrôle inadéquat des activités extrêmement polluantes constituent une menace pour les fondements de l’économie de la plupart des États insulaires du Pacifique, à savoir le tourisme, l’agriculture et la pêche. Ces activités dépendent largement d’un environnement propre. L’innovation est essentielle dans l’EC. Pour permettre la transition vers ce système, nous avons besoin de produits, de technologies, de services et de modèles économique nouveaux.”
Comme partout, les déchets constituent un problème important pour les PEID et le SPROE travaille au déploiement d’une EC à travers le Pacifique, axée sur la gestion des déchets terrestres. La quantité croissante de plastique – issu de la pollution des océans – qui s’échoue sur les rives des îles est aussi source d’inquiétude. Les habitants ont très peu de contrôle sur ces plastiques qui arrivent de l’étranger, mais certains cherchent de nouvelles manières d’utiliser cette ressource – une problématique sur laquelle se penche la Plastic Mining Cooperation.
Développer l’économie du tourisme
Le tourisme est un secteur économique vital pour de nombreux PEID et l’EC occupe une place de plus en plus importante dans la commercialisation des destinations écotouristiques. Alors que les Caraïbes se tournent vers un tourisme de plus en plus durable, certains sites touristiques écoresponsables utilisent l’agriculture circulaire pour réduire leur impact environnemental et valoriser au maximum les produits locaux.
L’éco-hôtel Ocean Spray à la Barbade s’est inspiré des forêts tropicales humides avoisinantes pour créer un modèle d’EC basé sur l’agroforesterie et la permaculture. Les hôtes sont même invités à vivre l’expérience en cherchant eux-mêmes leur nourriture. L’hôtel se situe sur un terrain de 21 hectares en terrasses où sont cultivées plus de 80 sortes de fruits et de plantes comestibles : noix de coco, bananes, cacao, café, ananas… sans oublier les nombreuses poules élevées en liberté. L’hôtel vise le zéro déchet, comme l’indique son propriétaire, Mahmood Patel : “Notre objectif est de transformer une terre sous-développée depuis plus de 100 ans en réserve alimentaire. Nous essayons de fonctionner en circuit fermé. Nous ramassons toutes les feuilles et tous les débris végétaux et les réintégrons dans le sol. Nous broyons les coques de noix de coco séchées, avant de les enterrer. Nous utilisons le fumier produit par les poules et les chèvres comme engrais. Les coquilles d’œufs, le marc de café et les autres déchets verts du restaurant retournent vers la forêt pour nourrir le sol.”
Nouveaux usages pour les produits agricoles
La ville de Blantyre, au Malawi, a décidé de s’attaquer au problème des déchets organiques et d’en faire profiter la communauté locale. Ainsi, le gouvernement local a développé un système de collecte, tri et compostage des déchets dans un centre de recyclage spécialement construit, au marché de Limbe, qui lui permet de convertir environ une tonne de déchets organiques en compost de haute qualité, ensuite vendu aux consommateurs. Malheureusement, la ville ne dispose pas des infrastructures routières et logistiques suffisantes pour atteindre d’autres communautés et partager ses connaissances avec elles.
En Afrique du Sud, la multinationale AgriProtein règle le problème des déchets organiques en utilisant des insectes pour créer des aliments pour poissons et animaux, des huiles et des engrais 100 % biologiques. L’entreprise élève des mouches soldat noir, dont la larve décompose rapidement les déchets organiques tout en augmentant de 200 fois son poids sur une période de dix jours. Le produit de base est composé de larves séchées et dégraissées qui sont broyées en un aliment riche en protéines adapté à une grande variété de poissons et d’animaux d’élevage. De plus, l’huile extraite de la graisse des larves séchées peut être ajoutée à de nombreux aliments pour animaux. Enfin, les résidus de larves sont mélangés à du compost pour fabriquer un engrais naturel pour le sol. Grâce à ces différents produits, AgriProtein génère peu de déchets dans le cadre de ses processus de fabrication et promeut des pratiques agricoles durables. L’entreprise dispose actuellement d’exploitations au Cap, à Durban et à Johannesburg, et entend s’agrandir au rythme de deux usines standard par mois à travers le continent. Chaque usine sera en mesure de traiter 250 tonnes de déchets par jour, à partir desquelles elle produira 5 000 tonnes d’aliments pour les animaux et 2 000 tonnes d’huile par an.
L’agriculture circulaire est un système flexible qui peut s’adapter à n’importe quel lieu et n’importe quel secteur. Compte tenu du besoin accru de réduire les déchets et d’utiliser efficacement des ressources limitées pour nourrir une population mondiale en augmentation constante, il est urgent de développer une approche plus durable. La création d’une EC optimise non seulement l’affectation de ressources limitées sans nuire davantage à l’environnement, mais elle engendre aussi un système économique plus efficace, avec au final une production de denrées alimentaires accrue par unité d’intrants.