Une jeune start-up, présente dans 15 pays du continent, a recours à la télédétection et à l’intelligence artificielle pour aider les producteurs à optimiser leurs rendements.
Avec Hamza Rkha Chaham et Hamza Bendahou, l’agriculture de demain n’est pas seulement affaire de semis, d’engrais et d’irrigation, mais aussi d’algorithmes et d’intelligence artificielle (IA). Cosfondateurs de la start-up SOWIT, qui fournit “des systèmes d'aide à la décision permettant aux agriculteurs africains d'optimiser leurs opérations de manière efficiente et durable”, les jeunes entrepreneurs entendent exploiter la puissance de la télédétection – à l’aide de drones et de satellites – et du big data pour combler le déficit d'informations agronomiques sur le continent. En effet, privés d’informations fiables et actualisées sur leurs champs, les producteurs africains peinent à optimiser leurs rendements.
Fondée en 2017 et basée en France, au Maroc et au Sénégal, SOWIT fournit des outils de prises de décision en faisant appel à des technologies de pointe. Présente dans 15 pays d’Afrique, l’entreprise a recours à des mesures de terrain, des images satellitaires et d’autres, plus précises, prises par des drones. La combinaison des trois, alliée à des algorithmes permet d’anticiper des besoins en eau et en intrants ou de déterminer le meilleur moment pour récolter.
Moins de données, de meilleures prédictions
Au Maroc, où SOWIT est le mieux implantée, Abdelaziz Mernissi, un producteur de blé, d'orge et d’olive dans la région du Saïss, témoigne : “Le manque d’information au moment d’aborder les opérations principales de production (préparation du sol, semis, fertilisation, traitement phytosanitaire, récolte, vente) m’a empêché de tirer le meilleur d’une saison qui a connu plus de 500 mm de pluie bien répartie”, en 2018. Par ailleurs, poursuit le producteur, “dans certains endroits de la parcelle, le rendement était de 6 tonnes par hectare tandis qu’il n’était que de 1 tonne par hectare à d’autres endroits”. Après avoir cartographié son champ, SOWIT a analysé les données collectées et fourni à l’agriculteur une analyse détaillée de l’état de ses cultures, un calcul de ses besoins en engrais, ainsi que des informations en temps réel sur l’état de son champ. La start-up a aussi aidé l’agriculteur à définir les différents leviers d’optimisation de sa récolte : date des semis, quantité précise d’engrais à épandre, irrigation à ajuster selon le stress hydrique observé… Au final, Abdelaziz Mernissi a ainsi pu économiser 33 kg d’engrais par hectare et gagner 3 quintaux de rendement, soit un gain de plus de 700 MAD (65,74 €) par hectare.
“Avec l’intelligence artificielle, on parvient, avec moins de données, à mieux prédire l’évolution de la situation”, explique Hamza Rkha Chaham. “Nous recueillons des informations comme la réflectance – comment la lumière reflète sur les plantes et combien les plantes en ont absorbé – l’architecture de la plante, sa taille, etc. Cet ensemble d’éléments recueillis va être lié à l’ensemble d’éléments du terrain de la manière la plus intelligente. L’objectif est que le lien entre les mesures et la réalité du terrain soit fiable.”
Des drones pour davantage de précision
Au Soudan, SOWIT intervient auprès de producteurs de luzerne, une plante fourragère importante pour l’alimentation du bétail et une culture centrale pour l’économie du pays dans la mesure où elle rapporte des devises étrangères. Les producteurs doivent composer avec des coûts élevés d’achat d’engrais, tous importés. « Notre opérateur va suivre ces producteurs sur la saison et les renseigner sur la période de fertilisation et de récolte, leur dire quelle quantité exacte d’engrais il faut épandre et où il faut l’épandre de manière à optimiser le rendement », explique Hamza Rkha Chaham.
Pour cela, les images satellitaires, limitées à quelques pixels par hectares, ne permettent que de prendre en compte l’hétérogénéité des parcelles. Les images de drones, prises sous le couvert nuageux et à une fréquence plus élevée, permettent d’atteindre une définition de plusieurs millions de pixels par hectare. Donc une quantité d’informations permettant d’affiner les prévisions. “Le temps et l’échelle sont nos principaux obstacles”, souligne Faisal Mohamed Ali, directeur des opérations du groupe DAL Agriculture. “Avec les drones, nous avons ce qui se passe [dans les champs] et nous pouvons intervenir rapidement.”
Ce genre de services est abordable pour les grands producteurs. Ils le sont moins pour les petits agriculteurs, en général à la tête de petites parcelles. En Éthiopie, SOWIT intervient donc auprès de l’Agence de transformation agricole (Agricultural Transformation Agency, ATA) et du ministère de l’Agriculture dans un projet porté par le CTA. En août 2019, la start-up a ainsi formé six pilotes de drones et six analystes de données. Les autorités éthiopiennes prévoient ensuite de déployer ce genre de services auprès des coopératives du pays. “Les images et les vidéos permettront des analyses et une interprétation agronomiques des champs et de la santé des cultures, ce qui facilitera les interventions en temps opportun”, explique Techane Adugna, directeur du cluster Commercialisation agricole à l’ATA. Par ailleurs, “l’utilisation de drones va aider à créer un lien direct avec le marché pour les agriculteurs, en collectant des informations en temps réel de leurs champs et en les partageant avec de potentiels acheteurs”.
Les petits producteurs aussi
Que ce soit au Maroc, au Sénégal ou en Éthiopie, SOWIT travaille avec des petits producteurs via des coopératives ou des institutions étatiques. Pour l’heure, le coût de services recourant à l’IA est en effet rédhibitoire pour la majorité des agriculteurs africains. “Tout est question d’économie d’échelle”, résume Giacomo Rambaldi, coordonnateur senior de programmes ICT4Ag au CTA et coauteur avec Hamza Rkha Chaham du rapport Des drones à l’horizon – Transformer l’agriculture en Afrique s’est basé pour recommander l’usage des drones à ses États membres, début 2018. “La technologie drone et l’IA peuvent être déployées auprès des petits producteurs qui travaillent sur la même culture sur des surfaces continues. Concevoir les conseils à base de technologie drone en tant que partie d’autres services (crédit, mécanisation, etc.) offerts par des coopératives ou des entreprises en agribusiness à leurs membres est aussi une option gagnant-gagnante.”