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Des vaches “pucées” pour être mieux surveillées

Dossier : Intelligence artificielle et agriculture

Des drones équipés de capteurs thermiques et des puces fixées à l’oreille des animaux permettent de suivre le bétail.

© Jaguza

Ouganda

Grâce à une association de puces et capteurs, d’une application mobile qui recense les services vétérinaires et de drones équipés de capteurs thermiques, les éleveurs surveillent et protègent mieux leur bétail.

En Ouganda, une nouvelle technologie associe intelligence artificielle (IA) et apprentissage automatique (machine learning) pour détecter les maladies du bétail deux jours avant leur déclaration, connecter à distance les fermiers aux services vétérinaires et surveiller les mouvements des animaux pour prévenir les vols. Cette innovation, appelée Jaguza Luganda, est une puce équipée d’un capteur et connectée à un lecteur d’identification par radiofréquence (RFID) ainsi qu’aux téléphones portables ou ordinateurs des utilisateurs. Depuis 2016, 18 000 puces Jaguza ont été installées.

Le dispositif puce et capteur à piles est fixé à l’oreille des animaux. Le lecteur RFID peut détecter le capteur jusqu’à une distance de 300 mètres. Si la ferme est trop vaste, une antenne ou un radar sont installés pour élargir la zone de couverture. Grâce au capteur intelligent, la puce contrôle des informations vitales sur les animaux, dont les variations de température, les schémas d’alimentation et les stades reproductifs, et peut détecter les maladies 48 heures avant leur déclaration, ce qui permet d’organiser des soins médicaux en temps opportun. Les renseignements sur la santé des animaux sont synchronisés et stockés sur une plateforme en nuage. “Jaguza peut détecter et contrôler les aspects sanitaires en surveillant l’alimentation, l’abreuvement, le repos, la fertilité, la température et d’autres paramètres”, affirme Ronald Katamba, créateur de la technologie Jaguza. “Nous l’utilisons pour anticiper les problèmes, détecter par exemple les cas de boiterie ou les troubles digestifs, et fournir aux éleveurs des recommandations sur la manière dont ils peuvent préserver la santé de leurs bovins et améliorer l’efficacité de leurs fermes. Grâce à ces observations, nous constatons déjà une amélioration de 35 % de la production animale sur les fermes de nos clients.”

Cette technologie peut aussi suivre les mouvements du bétail et alerter les éleveurs par messagerie mobile lorsque les animaux vagabondent au-delà des limites des fermes. “Jaguza apprend les schémas de déplacement d’une vache à partir des données du capteur. Nous utilisons celles-ci pour développer des modèles d’apprentissage automatique et des algorithmes TensorFlow”, poursuit Ronald Katamba. La technologie est aussi efficace pour réduire les vols, très répandus dans les zones d’élevage ougandaises. Charles Walugembe, qui élève 180 bovins dans une région du nord du pays, a décidé d’essayer le système Jaguza. En 2018, il a pucé une cinquantaine de ses vaches exotiques qui lui offrent le meilleur rendement en viande et lait. “Nous engageons depuis longtemps des gardes armés pour surveiller nos vaches. Nous dépensons presque la moitié des gains provenant de notre bétail pour les payer et investir dans d’autres méthodes de protection comme les clôtures, mais nous perdons tout de même nos animaux. Depuis que nous utilisons Jaguza, je peux suivre leurs mouvements depuis n’importe quel endroit et nous n’avons plus eu aucun cas de bêtes manquantes”, affirme-t-il.

Gestion des appareils mobiles

Outre le dispositif de capteurs, il existe une application mobile, Jaguza Livestock, à laquelle sont inscrits 85 vétérinaires disponibles pour répondre aux questions des éleveurs. Cette appli utilise le GPS pour repérer le vétérinaire situé à proximité d’un fermier et fournit des renseignements sur sa spécialisation et sa disponibilité à tout moment. Jaguza Livestock a aussi été programmée pour traduire les communications entre éleveurs et vétérinaires dans une langue leur permettant de se comprendre. Des informations sur les bonnes pratiques de gestion du bétail, y compris la détection des maladies et les schémas d’alimentation, sont aussi fournies par l’appli, accessible sur les appareils portables sous Android et IOS. Pour toucher les éleveurs qui ne sont pas connectés à Internet, la technologie est accessible hors ligne grâce à un code USSD – qui sert à transmettre des informations basiques sur le réseau mobile. Plus de 1 250 utilisateurs ont téléchargé l’application pour accéder aux informations sur le bétail, et les dispositifs de capteurs et l’appli ont attiré des éleveurs de l’extérieur de l’Ouganda – des Fidji, du Mozambique et de la Namibie.

L’appli offre aussi une option de tenue de registre, visant à rationaliser l’élevage, qui permet à l’agriculteur d’enregistrer ses gains et dépenses. Dan Kisitu élève du bétail en Ouganda depuis 15 ans et s’est inscrit sur Jaguza en 2017 pour surveiller ses 40 vaches. Il a ainsi réussi à lutter efficacement contre des maladies courantes comme la fièvre aphteuse, la peste bovine et la theilériose bovine, et a utilisé l’appli Jaguza pour tenir ses registres, ce qui lui a permis de réduire ses dépenses. “Je dépensais beaucoup d’argent pour les services vétérinaires et les médicaments, surtout à cause des épidémies fréquentes qui m’ont fait perdre beaucoup de vaches. En plus de recevoir des alertes sur la santé de mes vaches avant que leur état s’aggrave, j’ai réussi à diminuer mes dépenses en aliments et suppléments jusqu’à 50 % grâce à la tenue de registre électronique qui me permet de voir où j’utilise mon argent et où je dépense trop”, témoigne Dan Kisitu. “J’ai aussi pu accéder à des informations sur les bonnes pratiques de gestion agricole pour l’alimentation, la vaccination et la reproduction animales, ce qui s’avère utile dans une zone où les services de vulgarisation ne sont plus aisément disponibles en raison du manque d’agents gouvernementaux”, ajoute-t-il.

Élargissement de la technologie grâce à des capteurs sur drones

Pour répondre aux besoins des gros éleveurs qui ont du mal à surveiller la santé de chacune de leurs vaches, Ronald Katamba utilise des drones équipés de caméras haute définition et de capteurs thermiques. Ces drones, qui sont connectés aux téléphones des éleveurs grâce à un système nuagique, surveillent la température des animaux et alertent les propriétaires en cas de maladie. Alors qu’il faut habituellement presque une journée pour compter chaque vache des troupeaux des gros éleveurs tels que le président ougandais Yoweri Museveni, qui possède 38 000 têtes de bétail, Ronald Katamba indique que les drones n’ont besoin que de quinze minutes en moyenne pour dénombrer les animaux d’un élevage. “Notre système de drones se fonde sur des caméras intelligentes utilisant l’IA et la reconnaissance faciale pour identifier les animaux individuels en temps réel. Les caméras, qui sont montées à des emplacements fixes ou sur des drones, contrôlent la présence des animaux sur les fermes et envoient des informations en temps réel au téléphone portable et à l’ordinateur de l’éleveur. Il y a deux signaux, l’un rouge qui indique que la vache est malade ou introuvable et l’autre vert qui signale que l’animal va bien”, explique-t-il.

Malgré le succès de la technologie, qui a permis à Ronald Katamba d’être invité au Texas pour promouvoir Jaguza auprès des éleveurs locaux, il indique qu’il n’y a pas encore de réglementation régissant le vol de drones en Ouganda et que la mauvaise connectivité Internet a entravé le développement de son projet. “Les drones sont encore interdits en Ouganda malgré les nombreux avantages qu’ils offrent aux citoyens ordinaires. Nous communiquons en permanence avec le gouvernement pour réorienter les politiques et faire reconnaître ces technologies émergentes et nous investissons dans l’amélioration de la connectivité Internet pour favoriser l’adoption de ces innovations”, indique l’entrepreneur, qui a reçu une autorisation spéciale du chef des forces de défense et de l’autorité ougandaise de l’aviation civile.

La start-up est aussi membre du réseau AgriHack du CTA, qui propose aux jeunes agripreneurs du secteur numérique des opportunités de renforcement de leurs capacités, et a figuré parmi les finalistes du concours Pitch AgriHack de 2016. En 2019, elle a remporté le premier prix du concours.