Plus de 50 % de la population active féminine des régions en développement travaille dans le secteur agricole, mais les disparités entre hommes et femmes perdurent. Intégrer la notion de genre dans les politiques est essentiel pour produire plus et mieux tout en autonomisant les femmes.
En Éthiopie, Aster Wotango, présidente du Groupe de femmes d’Aheba, a appris à épargner et a pu s’acheter, en empruntant, quatre poules qui lui permettent de vendre ses oeufs et générer un revenu. Cette culture de l’épargne a été introduite par Farm Africa en établissant des Associations villageoises d’épargne et de crédit (Village Savings and Lending Associations – VSLAs) dans les zones rurales reculées du pays. Quelque 100 000 euros ont été épargnés et plus de 13 000 femmes sont maintenant en mesure d’accéder au crédit pour la première fois. Les autres membres du Groupe des femmes Aheba ont emprunté de l’argent pour créer de petites entreprises similaires dans la production de farine de maïs, d’épices, de café, de mangues ou de bières locales.
En communicant avec des acheteurs potentiels et en obtenant des informations sur le marché via le téléphone mobile, les femmes du village de Peko-Misegese en Tanzanie ont quant à elles obtenu un prix de vente plus juste des produits issus de leurs récoltes. Mais elles sont allées encore plus loin en créant un marché qui se déroule deux fois par semaine et en construisant des entrepôts.
Plus à l’Est, au Rwanda, Jeannette Maniraho, a rejoint le programme One Acre Fund et bénéficié d’un prêt sous forme d’engrais. Des engrais qui étaient jusqu’à aujourd’hui difficiles d’accès, le magasin se situant à cinq heures de marche. Les engrais ont été livrés à temps et dès la première année, elle a amélioré sa récolte de riz jusqu’à dégager un surplus après avoir nourri sa famille. Au Burundi et au Rwanda, One Acre Fund a délivré des semences et engrais à plus de 100 000 agriculteurs.
Enfin, depuis la création de son entreprise en 1996, South Sea Orchids, Aileen Burness s’est attachée à soutenir les femmes des villages aux Fijdi pour qu’elles vivent de l’horticulture. Quelque 270 femmes ont ainsi été épaulées pour devenir floricultrices et accéder au financement pour démarrer leur activité. Aujourd’hui, Aileen Burness a pris son bâton de pèlerin pour former les femmes des autres îles du Pacifique.
Ces quelques exemples sont autant de façons de montrer comment les femmes parviennent à accéder aux ressources productives, comment elles peuvent exprimer leurs besoins et se faire entendre et comment, en fin de compte, on peut parvenir à une plus grande égalité entre hommes et femmes. Réduire les inégalités entre les deux sexes est un défi qui se pose dans la plupart des sociétés, développées ou non, et sur de nombreux plans : le travail, les salaires, la représentation démocratique, l’éducation, etc. Dans l’agriculture, la question est d’autant plus pertinente qu’elle a été jusqu’à récemment occultée, que les femmes y ont un rôle important et que les inégalités dans l’accès aux ressources, aux marchés et aux services y sont criantes.
Un rôle souvent invisible
En moyenne, en 2010, 42 % de la population active féminine travaillait dans l’agriculture au niveau mondial et près de 53 % dans les régions en développement. Mais il existe de fortes disparités entre les régions (9,2 % en Afrique australe, 70 % en Afrique centrale, 80 % en Afrique de l’Est, 7,3 % en Amérique latine, 67 % en Océanie) mais aussi entre les pays (50 % au Ghana et 93 % au Burkina Faso ; 80 % aux Iles Salomon et 24 % aux Fidji). En outre, cette part des femmes dans la main d’œuvre agricole augmente dans certains pays en raison des conflits, du VIH/SIDA ou encore des migrations.
Très présentes dans le secteur agricole, les femmes produisent souvent la majorité de la nourriture nécessaire à leur foyer, surtout en Afrique (jusqu’à 90 % selon la Banque africaine de développement), mais avec des rendements inférieurs à ceux des hommes. La FAO, dans son rapport 2010-11 sur la Situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture consacré au rôle des femmes dans l’agriculture, estime que la différence de rendement est de l’ordre de 20 à 30 %. Ces résultats sont à nuancer en fonction des pays, des cultures, de l’âge et du groupe ethnique. Ainsi au Nigeria, selon la FAO, dans l’État de l’Oya, la productivité des hommes et des femmes est identique pour la culture du maïs, de l’igname, du manioc, des légumes et des légumineuses ; en revanche dans l’État d’Osun, le rendement des rizicultrices est inférieur de 66 % à celui des riziculteurs.
Une différence de rendement qui s’explique principalement par un moindre accès aux ressources productives. Elles disposent de moins de main-d’œuvre, que ce soit auprès de leur famille et communauté immédiate, ou de main-d’œuvre extérieure. Elles utilisent moins d’intrants comme les engrais, ont moins recours aux technologies et aux innovations comme les semences améliorées, et accèdent moins au crédit ; la terre reste souvent la propriété des hommes. Si en matière d’éducation, des progrès sensibles ont été enregistrés, en particulier pour la scolarisation des filles dans le primaire, des disparités subsistent et entravent les agricultrices. En outre, les femmes disposent de moins de temps pour les activités agricoles, étant en charge de la collecte du bois, de l’eau, s’occupant des enfants et du foyer. Et souvent la faiblesse des infrastructures, en particulier de transport, limite leur accès aux marchés.
Si ces inégalités étaient supprimées, la production agricole progresserait de 2,5 à 4 %, ce qui permettrait de réduire de 100 à 150 millions le nombre de personnes souffrant de la faim. Mais au-delà de la productivité et de la hausse de production, “Si les femmes avaient davantage accès aux ressources dont elles ont besoin - intrants, foncier, crédit, etc. – il y aurait un accroissement du Produit national brut (PNB) de chaque pays de 4 %. Pourquoi cet accroissement ? Les études ont montré que les femmes investissent dans leur communauté, ce qui créé une chaîne de rendement. Il ne s’agit pas seulement de rendement agricole immédiat de la terre cultivée mais d’investissement dans la nutrition, la santé, de meilleures conditions de vie, l’éducation… et tout cela dynamise l’économie”, souligne Tarikua Woldetsadick, en charge de la Stratégie Genre au CTA.
Des politiques appropriées
“Il est donc nécessaire d’introduire une politique genre dans l’agriculture et ce à tous les niveaux. Il faut veiller à ce que les politiques, les outils financiers et technologiques, les innovations mis en place soient utilisables et accessibles aux femmes”, précise Tarikua Woldetsadick.
Mais le seul accès à ces outils ne suffit pas, selon un rapport de la Banque mondiale et de l’ONG ONE, basé sur des études menées dans six pays d’Afrique (Éthiopie, Malawi, Niger, Nigéria, Ouganda et Tanzanie). Par exemple, si l’on compare la productivité des hommes et des femmes sur des parcelles de taille similaire dans un contexte équivalent, les écarts varient de 23 % en Tanzanie à 66 % au Niger, ce qui souligne l’importance des questions culturelles. Par ailleurs, les services de vulgarisation en Éthiopie et en Ouganda sont moins profitables aux femmes qu’aux hommes en termes d’accroissement de la productivité agricole, étant peut-être moins adaptés à leurs besoins. De même, disposer d’un titre foncier ne suffit pas en tant que tel. D’une part, parce que la terre cédée aux femmes est fréquemment de taille plus petite et/ou de qualité moindre, d’autre part, il faut que les femmes disposent des moyens pour la mettre en valeur.
Dans le domaine des TIC, instrument déterminant pour relier les paysans au marché, les projets doivent également être adaptés aux réalités des femmes. Le programme des petites subventions pour le Genre, l’agriculture et le développement rural dans la société de l’information (GenARDIS) du CTA, s’y attelle depuis une dizaine d’année. Parmi les recommandations émises figurent l’amélioration des infrastructures rurales en privilégiant les installations communes d’accès public, le développement de l’accès communautaire comme les télécentres, ainsi que la traduction des contenus en langues locales.
Plus généralement, utiliser la radio et la vidéo pour informer les femmes est un bon moyen de les toucher car elles ne s’éloignent que rarement du village ; tenir compte de leur emploi du temps, occupé par de multiples tâches, pour fixer les horaires d’intervention des services de vulgarisation ; utiliser des schémas pour la formation ; mettre à disposition des petites quantités d’engrais ou de semences, plus accessibles financièrement ; veiller à ce que l’introduction d’une technologie industrielle ne fasse pas perdre de revenus aux femmes … sont autant de mesures qui permettent de traiter des aspects genre et de répondre aux besoins des femmes. Par exemple, c’est par le théâtre communautaire que les capacités des femmes agricultrices au Malawi et au Mozambique ont été renforcées afin qu’elles identifient leurs propres besoins, formulent des solutions et les transmettent aux décideurs politiques. Ce projet pilote, Women Accessing Realigned Markets (WARM), mené par le Réseau d’analyse de politiques relatives à l’alimentation, l’agriculture et les ressources naturelles (FANRPAN), permet aux femmes d’influer sur les politiques en se servant du théâtre, très ancré dans la tradition africaine, comme outil de plaidoyer pour apporter des réponses à leurs besoins et contraintes.
Les politiques agricoles et des bailleurs de fonds accordent encore peu d’importance au genre. Selon plusieurs études, seulement 10 % de l’aide publique au développement (APD) dans l’agriculture, prend l’égalité des sexes en considération. En outre, estiment Action Aid et Peuples Solidaires, les politiques des bailleurs et des institutions n’évoquent les femmes qu’en tant que responsables de la sécurité alimentaire, de la nutrition et de la santé des enfants. Or, elles sont aussi des agricultrices !
Le regain d’intérêt pour l’agriculture, mais aussi une reconnaissance plus grande de l’importance de la nutrition et de la qualité des aliments, ainsi qu’une meilleure connaissance du rôle et des contraintes des femmes dans ce secteur constituent autant d’opportunités pour introduire une approche genre dans les politiques. Il s’agit de replacer les femmes dans leur famille, leur foyer et leur communauté car les inégalités relèvent essentiellement de la sphère sociale.