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Les femmes boudées par les banques, à tort

finance

Autonomisation économique

Pour les fournisseurs de services financiers, un meilleur accès des femmes des régions rurales au financement représente une opportunité commerciale, à condition qu'ils adaptent leurs produits et surmontent les obstacles sociaux et logistiques.

Dans de nombreux pays ACP, les obstacles aux solutions traditionnelles de financement empêchent les femmes de développer leurs entreprises et d'investir dans l'avenir de leur communauté. Selon la base de données Global Findex de la Banque mondiale, seules 50 % des femmes possèdent un compte bancaire dans les pays en développement. La situation des femmes est encore plus difficile dans le secteur agricole : l’an dernier, les prêts aux femmes ne représentaient que 28 % du portefeuille de financement agricole d’Opportunity International, contre 85 % pour l'ensemble de son portefeuille de prêts, indique Timothy Strong, directeur des opérations “financement agricole” de l’organisation à but non lucratif.

Améliorer l'accès des femmes au financement agricole exige une approche globale et l’intégration de la dimension du genre, affirme Timothy Strong. Opportunity International a récemment repensé sa stratégie en matière d'égalité des sexes en engageant des consultants chargés d'évaluer les attitudes au sein de l’ensemble de son personnel et de dispenser une formation sur l'égalité des sexes. Un outil de contrôle a également été mis au point pour déterminer si les valeurs des partenaires de l’organisation dans ce domaine s'alignent bien sur les siennes. Cette approche, ainsi que d’autres mesures, a permis à Opportunity International d’augmenter la part des femmes dans son portefeuille de financement de l'agriculture africaine, qui est passée à 49 %, pour un objectif initial de 40 %. Au Mozambique, le pourcentage de femmes bénéficiaires d’un financement agricole a même pratiquement doublé, passant de 18 % à 30 %.

Partager les risques

Malgré les nombreuses études qui mettent en avant un faible risque de crédit concernant les femmes – avec des taux de remboursement égaux ou supérieurs à ceux des hommes pour le microfinancement –peu de prêteurs se risquent à leur prêter de l’argent s’ils ne bénéficient pas d’un soutien initial sous la forme d’un mécanisme de partage des risques. “Il est très difficile de convaincre les institutions financières d'investir dans une nouvelle catégorie de clients, sauf s’ils peuvent bénéficier de l’un ou l’autre mécanisme – un système de garantie de crédit ou de subventionnement – qui les encourage à approcher ce segment de la population et leur permet de constater ainsi que l’octroi de prêts à ces emprunteuses est une activité rentable”, explique Niclas Benni, spécialiste du financement et de l’investissement en milieu rural à la FAO. Au début des années 2000, le CUMO –le numéro un des services de microfinance rurale au Malawi –a ainsi reçu un financement initial du Department for International Development (DFID), l’agence d’aide au développement du Royaume-Uni, afin de promouvoir l’inclusion financière des femmes. En juin 2018, le CUMO affichait un taux de remboursement de 99 % pour un portefeuille de prêts composé à 83 % de femmes.

L’absence de garanties, comme des titres de propriété foncière ou immobilière, reste toutefois un obstacle que rencontrent la plupart des petits exploitants qui souhaitent obtenir un crédit. Ce problème concerne plus encore les femmes, puisque ce sont généralement les hommes qui possèdent des terres ou des exploitations. Une solution, pour les organismes prêteurs, consiste à accepter les garanties collectives, y compris l'épargne. C’est ce que fait le CUMO, par exemple : des groupes de 10 à 25 femmes placent les montants épargnés sur un compte de dépôt commun pour constituer une garantie – sous la forme d’une épargne égale à 5 % du prêt demandé. Cette épargne est conservée par le CUMO à titre de garantie.

Dans certains pays, des changements réglementaires encouragent également les organismes prêteurs à accepter des biens mobiliers tels que des meubles, en garantie. Une base de données publique en ligne financée par la Banque mondiale a été lancée au Malawi en février 2016. Elle permet aux propriétaires d'entreprises d'utiliser des biens mobiliers pour obtenir des prêts. La banque centrale du Mozambique soutient une initiative similaire.

Combler le fossé du financement

La distance physique qui sépare les petits exploitants des zones rurales des agences bancaires implantées dans les villes est un autre obstacle. La plupart des femmes ont un accès plus limité aux transports que les hommes et se déplacer seules est parfois un risque, explique Maxi Ussar, directrice de JustImpact Consulting, au Malawi. Dans certaines cultures, on attend des femmes qu’elles restent au foyer et il arrive même qu’elles aient besoin d’une autorisation pour se déplacer. D'autres estiment que c’est aux hommes de gérer l’argent et les finances ou n’osent tout simplement pas pousser la porte d’une banque. Enfin, la double responsabilité des tâches agricoles ainsi que de la garde et de l’éducation des enfants fait que de nombreuses femmes des régions rurales ont simplement moins l’occasion de sortir de chez elles.

Le modèle de prêt du CUMO en tient compte. Si un compte bancaire commun doit être ouvert par chaque groupe d’emprunteurs dans une agence bancaire de la région et que les opérations de financement imposent quelques déplacements, une seule personne peut s’en charger. Les technologies mobiles pourraient réduire le nombre de visites à la banque. Malheureusement, à l’échelle mondiale, les femmes sont moins nombreuses à avoir un téléphone portable que les hommes : dans les pays à faible et à moyen revenu, plus de 1,7 milliard de femmes n’ont pas de téléphone portable.

Des produits sur mesure

Les interventions d'inclusion financière ne sont pas différenciées selon que les bénéficiaires soient des hommes ou des femmes, alors que le fossé entre les hommes et les femmes, en termes d’accès, pourrait être réduit si les produits et services tenaient compte des besoins et des priorités des femmes. C’est ce qu’a récemment écrit Jemimah Njuki, responsable principal de programme au Centre de recherches pour le développement international du Canada, dans Business Daily Africa.

Sur la base des résultats d’une étude sur le genre financée par le DFID, selon lesquels les femmes préfèrent être en contact avec des responsables crédit de sexe féminin, Opportunity International a décidé d’examiner comment recruter davantage de femmes pour cette fonction au sein même des communautés, explique Lydia Baffour Awuah, responsable principale du programme. En outre,dans de nombreuses communautés, ce sont les hommes qui contrôlent les actifs, les ressources et les intrants, ce qui signifie qu'il est important de leur expliquer que l’ensemble de la communauté peut tirer des avantages des investissements dans les entreprises dirigées par des femmes. “Nous ne pouvons pas aborder la question des inégalités entre les sexes, au détriment des femmes, sans sensibiliser les hommes et les impliquer”, insiste Lydia Baffour Awuah.

Les organismes de prêt devraient également identifier les cultures gérées par les femmes – le plus souvent des produits maraîchers ou des cultures vivrières, contrairement aux hommes qui se concentrent sur les cultures de rente – et ensuite les atteindre, par le biais des associations paysannes ou des fournisseurs d’intrants, explique Lydia Baffour Awuah.De son côté, MaxiUssar, qui a été consultant pour le projet de transformation du secteur des oléagineux au Malawi, note que, lorsqu’elles ont commencé à entrevoir des débouchés commerciaux pour le sésame, les entreprises du secteur privé ont été encouragées à signer des contrats avec les cultivatrices traditionnelles plutôt qu'avec leurs maris, comme c’était le cas auparavant. Les femmes ont ainsi acquis davantage d’autonomie financière et ont pu suivre une formation complémentaire pour améliorer les rendements et la solvabilité.

Les données relatives aux revenus des petits exploitants recueillies par le Groupe consultatif pour l'aide aux pauvres (CGAP) ont également montré que les femmes préféraient l’épargne au crédit, ce qui remet en question la pratique courante des banques qui proposent des solutions groupant épargne et prêt, risquant ainsi de forcer les femmes à accepter un produit qu’elles ne veulent finalement pas, affirme Niclos Benni. Mettre l'accent sur l'épargne peut aussi être une arme à double tranchant car cela favorise chez les femmes une culture de prudence qui fait hésiter les agricultrices à dépenser de l’argent pour leur entreprise ou à y investir, ajoute Maxi Ussar.

Au service des petites exploitantes

Afin d'atteindre un plus grand nombre de petites exploitantes, les prestataires de services financiers doivent comprendre leurs aspirations, leurs modèles de revenus et leurs préférences en ce qui concerne les produits, et adapter ceux-ci en conséquence, ainsi que l’a conclu un récent documentdu CGAP (https://tinyurl.com/ycyaet54). S'appuyant sur des données issues de registres détaillés des transactions bancaires et sur les flux de revenus recueillies auprès de ménages de petits exploitants du Mozambique et de Tanzanie en 2014-2015, le document a révélé que les agricultrices donnent la priorité aux dépenses familiales et domestiques, comme l’éducation et l’achat de produits frais, et en assument la responsabilité. Des produits tels que l'épargne consacrée à l’éducation pourraient donc les intéresser.

Les femmes sont en outre confrontées à des périodes plus longues de manque de liquidités que les hommes et bénéficient moins de pics de revenus pendant l’année, ce qui laisse supposer qu’elles pourraient bénéficier d’échéanciers de remboursement à plus long terme. Les produits pourraient être adaptés de façon à ce que les prêts soient octroyés pendant les périodes de faibles revenus et les efforts d’épargne demandés pendant les périodes de revenus plus élevés – souvent différentes de celles que connaissent les hommes. Accorder aux femmes des produits de crédit à plus long terme, en particulier en période de manque de liquidités, peut leur permettre d'acquérir une certaine indépendance économique, fait valoir le coauteur du document, Niclos Benni.

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