Directrice du réseau Femmes africaines dans la recherche et le développement agricoles (African Women in Agricultural Research and Development, AWARD), le Dr Wanjiru Kamau-Rutenberg décrit les objectifs de l’initiative One Planet Fellowship lancée par le réseau et nous explique comment ce programme soutiendra les chercheurs de moins de 35 ans.
Les conséquences du réchauffement climatique sont de plus en plus manifestes, en particulier dans les pays en développement et en Afrique subsaharienne. Quel rôle les chercheurs africains peuvent-ils jouer dans la réponse à la crise climatique ?
Pour que nous puissions nous adapter et vivre sur un continent touché de plein fouet par le changement climatique, l’Afrique doit développer sa propre capacité scientifique afin d’être en mesure de relever les défis de plus en plus complexes liés à ce phénomène.
Or, nous savons qu’il n’y a actuellement pas assez de chercheurs sur le continent. Par ailleurs, l’Afrique n’a pas les moyens de sous-traiter l’expertise technique dans le domaine du changement climatique et de l’adaptation à ce phénomène. Nous devons donc constituer un “vivier”durable de chercheurs qui comprennent le contexte africain et qui s’engagent à trouver des solutions aux problèmes auxquels nos agriculteurs sont confrontés. Tel est précisément l’objectif de l’initiative One Planet Fellowship : investir dans la création d’un vivier de chercheurs et donner un coup d’accélérateur aux jeunes chercheurs en début de carrière qui ont déjà fait le choix de poursuivre leurs travaux de recherche en faveur des agriculteurs, en se concentrant sur la lutte contre le changement climatique et pour l’adaptation à ce phénomène.
Comment cette initiative soutiendra-t-elle la recherche africaine dans le domaine du climat ?
À travers One Planet Fellowship, nous voulons apprendre comment préparer dès aujourd’hui nos agriculteurs – nous voulons savoir comment faire en sorte qu’ils s’adaptent à une situation à laquelle ils sont déjà confrontés. Un autre objectif est de mieux comprendre ce qui attend l’Afrique et quelles seront les conditions futures des agriculteurs.
Au cours des cinq prochaines années, l’initiative One Planet Fellowship travaillera avec 630 lauréats originaires de 14 pays anglophones et francophones du continent. Cette diversité illustre parfaitement la nature réellement panafricaine de notre initiative et de nos efforts. Sur notre continent, la recherche est traditionnellement cloisonnée sur la base de la langue et les collaborations entre chercheurs d’Afrique anglophone et francophone ne sont pas assez fréquentes. One Planet Fellowship a donc été conçue de façon à encourager la coopération au-delà de cette frontière linguistique.
En outre, les bénéficiaires de notre programme ne sont pas uniquement des chercheurs africains. One Planet Fellowship s’adresse également aux chercheurs européens en début de carrière. Nous voulons en effet les sensibiliser à deux aspects : d’une part,qu’ils comprennent le contexte africain de la recherche sur l’adaptation au changement climatique et,d’autre part, leur faire connaître les priorités des chercheurs africains dans ce domaine d’étude. En associant ces deux aspects – et ces deux groupes – nous décuplons les impacts que nous voulons réaliser par le biais de One Planet Fellowship.
Quelles sont les principales caractéristiques de ce programme de bourses ?
Tout d’abord, ce programme n’est pas réservé aux femmes. Il apportera aussi son soutien à des chercheurs de sexe masculin car la recherche dans le domaine du climat doit absolument intégrer une dimension de genre et d’inclusion sociale. Chaque lauréat devra apprendre à introduire dans son travail de chercheur une perspective de genre. C’est tout à fait essentiel pour notre continent. Malheureusement, l’écosystème agricole que nous sommes en train de développer en Afrique ne tient pas suffisamment compte de cet aspect. Or, l’égalité entre les hommes et les femmes est capitale.Les femmes africaines sont au cœur de la production agricole, ce qui n’est pas le cas dans les pays développés. Comment pouvons-nous continuer à axer la recherche sur des systèmes qui négligent cette réalité ? Les femmes seront incontestablement davantage affectées par le changement climatique, puisque ce sont elles qui veillent au bien-être de leur famille et qui cultivent pour subvenir aux besoins alimentaires du ménage. Telle est la réalité des femmes africaines. Il faut bien la comprendre et en tenir compte.
Le mentorat est une autre activité au cœur de cette initiative. Cet accompagnement revêt une importance particulière dans le contexte africain, étant donné la pénurie de chercheurs d’âge moyen. Beaucoup de chercheurs sont en fin de carrière, la plupart des autres étant des jeunes en début de carrière. Dans les années 1980 et 90, le continent africain n’a pas suffisamment investi dans ses ressources humaines, comme en témoigne le profil d’âge des chercheurs. Le mentorat est une approche clé permettant d’y remédier et de combler ce fossé en exploitant la sagesse de l’ancienne génération avant qu’elle ne parte en retraite pour l’investir dans la jeune génération.
La formation au leadership est également capitale – si nos universités assurent très bien le développement des compétences techniques, elles tendent à négliger les compétences non techniques. Il faut avoir eu un mauvais patron pour mesurer pleinement l’importance de ces compétences sociales (rires). L’initiative One Planet Fellowship reconnaît l’importance des compétences dans le domaine du leadership, de la communication, du mentorat. Ce sont elles qui permettent d’engager des conversations difficiles et de diriger des équipes hétérogènes, deux aspects essentiels pour l’avenir de la science.
Le métier de chercheur a longtemps été un métier assez solitaire. Les choses semblent évoluer, avec une recherche plus ouverte et plus collaborative. Exact ?
Peu affirmeraient que l’Afrique est à la pointe de la science. Le continent est en revanche bien placé pour donner l’exemple dans le domaine de la recherche collaborative. La science, telle qu’on la pratique dans les pays occidentaux, est relativement récente en Afrique ; elle n’a guère plus de 50 ou 60 ans. Et il est finalement plus facile de faire évoluer le discours social, notamment dans un contexte où l’on attend aussi des universités qu’elles mettent au point des solutions pour le développement.
Que diriez-vous à ceux qui n’ont pas obtenu la bourse pour les inciter à continuer la recherche dans le domaine du climat ?
Lors de ce premier round, nous avons retenu 45 candidats sur 1 500, ce qui signifie que plus de 1 450 jeunes chercheurs ne bénéficieront pas de notre bourse, ce que je regrette. Il faut vraiment se concentrer sur le renforcement de capacités sur le continent, il en a besoin et les Africains en sont demandeurs.
À ceux qui n’ont pas été retenus, j’adresserais le message suivant : “N’abandonnez pas. Ce n’était jamais qu’une occasion parmi d’autres. Il y a d’autres opportunités, recherchez-les. Ce n’est que partie remise. Nous allons bientôt lancer un prochain appel à candidatures. N’ayez pas peur, lancez-vous à nouveau dans la course et multipliez vos candidatures.”
Notre initiative est modeste, les gouvernements sont les seuls en mesure de mettre à l’échelle les résultats de la recherche. Et si nous sommes fiers de la nature exclusive de la bourse One Planet – c’est plus dur de participer au programme que d’avoir une place à Harvard – et de compter parmi nos lauréats les meilleurs talents du continent, nous n’en oublions pas moins le travail qui nous attend. Nous savons aussi que d’autres acteurs devront reprendre un jour le flambeau et entretenir ce vivier de chercheurs sur le climat. Mais tout défi comprend des opportunités, et j’ai donc de bonnes raisons d’être optimiste.
Peut-être suis-je naïve mais je suis en tout cas suffisamment jeune pour être convaincue que l’Afrique ne pourra relever les défis complexes qui l’attendent que si nous tirons pleinement parti du dividende démographique sur notre continent. La génération de nos parents a obtenu l’indépendance. À nous d’assurer la prospérité du continent.