Votre organisation – Femmes africaines dans la recherche et le développement agricole (AWARD) – soutient l’inclusion des femmes dans l’agrobusiness africain. Avez-vous des exemples d’agroentreprises qui contribuent à combler les écarts entre femmes et hommes ?
Nous sommes réellement très fiers de toutes les entreprises qui ont relevé le défi de l’intégration des questions de genre dans les plans de croissance de leurs activités, avec l’appui de notre initiative sur le genre dans les investissements dans l’agrobusiness pour l’Afrique. Cowtribe, au Ghana, s’efforce par exemple de développer l’accès aux services vétérinaires dans les zones rurales. Après avoir participé au défi de l’innovation AgTech, l’entreprise a commencé à réfléchir à l’importance de la prise en compte des petits mammifères et volailles, en se fondant sur le fait que les femmes élèvent et investissent davantage dans les animaux plus petits. Cowtribe considère qu’en fournissant des services vétérinaires pour ces animaux elle peut développer son activité en favorisant l’égalité hommes-femmes.
Fresh Direct, une entreprise nigériane qui cultive des légumes dans les espaces urbains, s’est fait mondialement connaître. L’accès aux terres constituant souvent un problème majeur pour les femmes, il a été passionnant d’observer comment l’entreprise a réagi en encourageant les femmes à cultiver dans des conteneurs de transport.
Le concours Pitch AgriHack du CTA offre aux jeunes entrepreneurs comme CowTribe du tutorat d’entreprise et une aide financière. Quel rôle ce genre de soutien peut-il jouer pour augmenter la part des femmes dans le secteur agricole africain ?
Pitch AgriHack est un élément extrêmement important de l’écosystème de l’entrepreneuriat agricole africain. Nous devons travailler dur pour garantir que les femmes créent des agroentreprises et ont tous les atouts nécessaires pour rester dans cet écosystème et continuent à développer leurs activités. Il reste encore beaucoup à faire pour créer un écosystème plus sain où les femmes peuvent recevoir l’appui dont elles ont besoin pour développer leurs activités.
Les femmes ont l’ambition, l’énergie et la volonté de créer leurs entreprises et de les faire fonctionner, mais nos systèmes d’appui ne favorisent pas la durabilité. Par appui, j’entends les conseils de ceux qui ont de l’expérience dans un domaine particulier, qui est crucial pour le développement d’un modèle d’entreprise durable. L’appui se présente aussi sous la forme de l’accès aux financements.
AWARD a dix ans. Quels progrès ont été réalisés, en particulier pour soutenir les femmes dans la recherche agricole ?
Nous sommes particulièrement fiers du fait que le programme de bourses d’AWARD a favorisé l’avancement des carrières de scientifiques africaines. D’ici la fin 2019, plus de 1 300 scientifiques de 40 pays en auront directement bénéficié (en tant que boursiers, mentors et encadrés). Parmi les bénéfices avérés de ce programme, en particulier pour les femmes scientifiques que nous soutenons, figurent une meilleure force intérieure, confiance, motivation, connaissance de soi et conception de carrière. Les boursiers ont aussi considérablement amélioré leurs compétences en leadership et en recherche scientifique et bénéficient d’une meilleure reconnaissance et visibilité professionnelle.
Par ailleurs, 1 500 scientifiques et directeurs de recherche ont bénéficié des partenariats d’AWARD avec 46 institutions de recherche du monde entier, qui ont investi leurs propres ressources pour permettre à leur personnel de participer à nos formations.
AWARD a contribué à mettre en avant le genre et la recherche agricole dans les débats impliquant des acteurs influents tels que l’Union africaine, le Forum pour la recherche agricole en Afrique (FARA) et le Forum régional des universités pour le renforcement des capacités en agriculture (RUFORUM). Par l’effet des travaux d’AWARD, des organisations œuvrant au financement de la recherche agricole – des organisations philanthropiques privées aux organismes donateurs bilatéraux – ont aussi davantage pris conscience de l’importance du financement d’une recherche agricole sensible aux questions de genre sur tout le continent.
Un certain nombre d’organisations mettent désormais l’accent sur l’autonomisation des femmes dans l’agriculture africaine. Que faut-il faire de plus dans ce domaine ?
Nous devons aller plus loin que la reconnaissance des problèmes concernant la sous-représentation des femmes dans la recherche et agir véritablement sur le terrain et dans nos institutions. AWARD ne peut pas impulser seule une telle progression. Toutes les différentes parties prenantes du secteur doivent prendre leurs propres initiatives et engagements pour mieux intégrer le genre dans leurs activités.
Il importe aussi que tous les acteurs du secteur travaillent ensemble. Par exemple, l’un des projets sur lesquels mon équipe et moi-même travaillons est le Forum mondial pour les femmes dans la recherche scientifique (GoFoWiSeR) qui vise à tirer parti des dix dernières années d’expérience et d’expertise d’AWARD pour catalyser les propositions et élargir la discussion concernant l’augmentation du nombre de femmes et la multiplication de leurs interventions dans la recherche. Ce projet vise à mettre à profit les enseignements acquis sur le travail des femmes dans la recherche agricole et de les élargir à différents domaines de recherche scientifique. GoFoWiSeR est un bon exemple de la manière dont nous tentons de faire évoluer la discussion autour de la participation féminine d’un niveau localisé à une plateforme plus générale de portée mondiale.
Les hommes ont-ils un rôle à jouer pour la promotion du leadership féminin ou cela doit-il venir des femmes qui doivent davantage faire entendre leur voix ?
Ce n’est pas une question de choix entre l’un ou l’autre. L’analyse de l’ensemble du secteur montre que les hommes sont surreprésentés dans les postes de direction et de décision. Il n’est donc pas possible de faire avancer la représentation des femmes sans engager les hommes à participer au rééquilibrage. Bien sûr, les femmes doivent avoir la confiance et les compétences nécessaires pour prendre en charge les postes de direction.
AWARD a collaboré très étroitement avec le Dr Mandefro Nigussie, directeur général de l’Institut éthiopien de recherche agricole (EIAR), qui, selon moi, se pose clairement comme le grand défenseur masculin de la promotion du leadership des femmes à l’EIAR. Il a soutenu l’initiative d’AWARD pour un développement et une recherche agricole tenant compte de la problématique hommes-femmes, qui aide les institutions de recherche agricole à mieux intégrer le genre dans leur fonctionnement. Je tiens aussi à féliciter les responsables du RUFORUM et du FARA, qui ont collaboré avec AWARD pour développer nos efforts en faveur de l’intégration des questions de genre.
Quels sont les principaux enseignements acquis au cours des 10 dernières années dont vous aimeriez tirer parti pour aller de l’avant ?
Je pense que le premier et le plus important des enseignements est probablement qu’il est absolument indispensable d’investir dans le développement de compétences de leadership pour les femmes scientifiques. Cela n’est toutefois pas suffisant pour susciter le type de transformation systémique nécessaire pour équilibrer la représentation hommes-femmes dans la recherche agricole. Pour aller de l’avant, nous devons aider les institutions à devenir les lieux où les femmes et les hommes, en plus de survivre, peuvent innover et prospérer.