Les services de vulgarisation et de conseils agricoles ont incontestablement connu une période de crise et de tumultes au cours de ces dernières années. Toutefois, mon expérience de plus de 25 ans, comme agriculteur et agent de vulgarisation agricole mais aussi comme expert en utilisation des TIC pour le développement, m’a convaincu que les TIC peuvent bénéficier aux services de vulgarisation et de conseils agricoles, qu’il s’agisse de nouveaux ou d’anciens modèles de vulgarisation.
D’où cette question : les partenaires du développement, les bailleurs de fonds, les concepteurs de technologies et les chercheurs doivent-ils continuer à explorer de nouvelles approches et nouveaux modèles de vulgarisation ou plutôt imaginer de nouveaux moyens pour que les TIC puissent soutenir les modèles anciens et actuels ? Y a-t-il un Saint Graal quelque part, que l’on trouvera un jour ?
Pour ma part, il me semble inutile de continuer à explorer de nouveaux modèles de services de vulgarisation et de conseils. Nous devons au contraire trouver comment utiliser les TIC de manière innovante pour réorganiser les systèmes existants. Toutefois, l’utilisation des TIC dans ce domaine devra être adaptée au contexte, et tenir compte de l’état des services de vulgarisation dans un pays donné. Telle application/tel système TIC qui aura un impact sur le système de vulgarisation en Ouganda pourrait très bien ne pas être efficace en Éthiopie.
Réflexion sur certains modèles et approches de vulgarisation
Au fil des ans, plusieurs approches et modèles de services de vulgarisation et de conseils agricoles ont été encouragés. Ils reposent sur diverses hypothèses et se caractérisent par des structures différentes bien qu’ayant toujours le même objectif : améliorer la productivité agricole. Prenons par exemple l’approche formation-visite (T&V, training and visit). Cette approche avait pour but de mettre en place un service de vulgarisation professionnel, capable d’aider les agriculteurs à améliorer leur production agricole et leurs revenus. Si le principe de formation-visite est maintenu, les TIC sont aujourd’hui utilisées pour faciliter la formation des intermédiaires et réduire sensiblement le nombre de visites aux agriculteurs.
L’approche “transfert de technologies” est considérée comme une approche “descendante” s’appuyant sur la conviction selon laquelle certaines technologies pourraient révolutionner l’agriculture. L’idée est donc de communiquer aux agriculteurs des recommandations spécifiques à mettre en œuvre. De nouvelles innovations et technologies issues de la recherche et du développement sont adoptées par le producteur/l’agriculteur par le biais des services de vulgarisation agricole. Toute nouvelle qu’elle soit, la technologie a besoin de la composante humaine – le personnel en charge de la vulgarisation – pour être efficace. Les TIC sont de plus en plus considérées comme un moyen de faciliter les fonctions des agents de vulgarisation.
L’approche de “spécialisation produit” peut être comparée à l’actuel modèle de développement de la chaîne de valeur qui vise à promouvoir des services liés à des cultures et des animaux d’élevage spécifiques. Si cette approche peut permettre d’affecter des agents de vulgarisation hautement spécialisés à ces produits spécifiques, elle n’en comporte pas moins plusieurs inconvénients. En effet, les petits exploitants considèrent les agents de vulgarisation comme les personnes-ressources qui répondront à tous leurs besoins d’information – qu’ils soient techniques, économiques ou sociaux. Des TIC spécialisées sont mises au service de la production de produits spécifiques, une situation qui renforce l’approche.
L’approche participative de vulgarisation agricole – par exemple les écoles d’agriculture de terrain – reconnaît la contribution active des agriculteurs eux-mêmes. Elle repose sur des partenariats associant petits exploitants et agents de vulgarisation, ce qui favorise l’enrichissement mutuel des connaissances, expériences et compétences. Mais le concept de participation est complexe et nécessite des ressources considérables. L’intégration des TIC dans un tel système peut être un véritable plus pour tous les partenaires.
L’approche de recherche sur les systèmes agricoles met l’accent sur le contexte et la collaboration entre la recherche, les services de vulgarisation et les exploitants agricoles. Elle est considérée comme un moyen de sensibiliser les chercheurs sur les contextes de production agricole souvent très différents et n’encourage donc pas l’utilisation de technologies “généralistes”. Les TIC sont actuellement utilisées pour éviter que les services de vulgarisation ne fournissent que des recommandations générales aux agriculteurs. Ces outils sont en outre faciles à apprivoiser par les scientifiques.
La vulgarisation agricole ne consiste pas seulement à communiquer des informations. Les services de vulgarisation ne se bornent pas à rassembler et à partager les résultats de la recherche ou les connaissances locales des agriculteurs avec les producteurs. Ce type de service de vulgarisation suppose des interactions humaines. Il repose sur la médiation des connaissances, c’est-à-dire une série d’échanges entre un large éventail d’acteurs au sein d’un système d’innovation agricole. Malgré les très nombreuses approches et modèles efficaces et éprouvés de services de vulgarisation et de conseils agricoles, le secteur est toujours en crise. Avec l’émergence des nouvelles TIC, les partenaires de développement ne doivent pas faire l’erreur de penser que les TIC pourraient faire office de nouveau modèle de vulgarisation ou être utilisées pour “contourner” l’agent de vulgarisation et placées dans les mains des agriculteurs car les systèmes actuels de vulgarisation ne fonctionnent plus.
Il nous faut donc comprendre le contexte et utiliser les technologies de manière appropriée.