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Quand l’agriculture s’invite en ville

Dossier : Cultiver sur de petits espaces

L’urbanisation rapide, la pression foncière et la migration de la main-d’œuvre vers les villes, entre autres, obligent à produire de la nourriture sur des espaces de plus en plus limités.

© Giada Connestrari

Agriculture et petits espaces

Pour nourrir la population mondiale, dont les deux tiers vivront en milieu urbain d’ici 2050, le secteur agricole doit innover en produisant de la nourriture sur des espaces de plus en plus limités. Y compris en ville.

Alors que les villes s’étendent et que le changement climatique fait peser sur l’agriculture davantage de contraintes, nourrir les habitants des zones urbaines oblige le secteur agroalimentaire à innover. Avec cette contrainte considérable : comment produire plus d’aliments dans des espaces réduits, à des prix abordables ? Ces défis – urbanisation rapide, pression foncière, migration de la main-d’œuvre vers les villes… – s’accompagnent souvent de problèmes liés au chômage, à la pauvreté, à l’insécurité alimentation et à la malnutrition. Il existe néanmoins des alternatives permettant de s’y attaquer.

“Dans des zones où la qualité du sol est pauvre, où les sols sont pollués, ou bien en zones urbaines (toits et patios), des technologies comme l’hydroponie et l’aquaponie offrent des moyens de cultiver où cela ne serait pas possible autrement”, explique Austin Stankus, consultant en aquaculture pour le projet de la FAO consacré à l’adaptation au changement climatique du secteur de la pêche dans les Caraïbes (CC4FISH, Climate Change Adaptation in the Eastern Caribbean Fisheries Sector).

À Antigua, par exemple, l’entreprise Indies Greens fait figure de pionnière dans l’aquaponie. En pratique, les plantes sont fertilisées et irriguées avec l’eau des réservoirs à poissons, riche en nutriments (déjections des poissons). En absorbant ces nutriments, les plantes recyclent l’eau, qui revient dans les bacs à poisson. Cette technologie utilise ainsi près de 90 % d’eau en moins que l’agriculture classique, peut être développée sur de petites surfaces, offre de meilleurs rendements pour les légumes et produit des poissons à l’aide de moins de main-d’œuvre et de produits chimiques.

Le choix de l’aquaponie s’est fait en réponse à “deux facteurs environnementaux”, explique Larry Francis, propriétaire de cette petite entreprise de six employés. “Premièrement, Antigua est une île semi-aride qui connaît des sécheresse fréquentes, qui sont, ces dernières années, devenues plus sévères et longues. Deuxièmement, Antigua tient sur une surface de 280 km2, ce qui limite l’espace disponible pour l’agriculture. L’aquaponie offre la possibilité de réutiliser l’eau et présente des rendements élevés avec une empreinte au sol réduite.” Chaque année, Indies Greens produit ainsi, sur tout juste 3 000 m2, quelque 14 000 tonnes de poisson tilapia et 52 000 laitues, vendus localement.

Un meilleur potentiel de récolte, de vente et de rentabilité

À Barbade, l’entreprise Ino-Gro Inc farm a opté pour l’hydroponie et un dispositif plus sophistiqué : des containers de 40 pieds ont été aménagés pour y faire pousser des légumes-feuilles et des aromates grâce à un système entièrement automatisé et gérable en ligne. Mesurés par des capteurs, la température, le taux d’humidité, l’éclairage par LED peuvent être ajustés à distance via une appli mobile, en temps réel. Même s’il a fallu réunir un capital de départ conséquent, les résultats sont au rendez-vous : l’entreprise vend chaque semaine 40 kg de denrées à des restaurants, des hôtels et des particuliers.

“Les cultures hydroponiques, aquaponiques et verticales constituent des options potentiellement lucratives et sans risque pour les jeunes citadins désireux de créer leur entreprise dans le secteur de l’alimentation en Afrique”, confirme ainsi Michael Sudarkasa, PDG d’Africa Business Group, une société de conseils en projets de développement économique en Afrique, dans un blog publié sur le site web du CTA. “Ces trois modes de culture, tous basés sur le concept de la culture hors-sol, peuvent être pratiqués sur des superficies relativement limitées – même dans des conteneurs ou des structures mobiles – et possèdent un meilleur potentiel de récolte, de vente et de rentabilité que la culture traditionnelle en plein champ puisque les cycles de production sont de sept à huit semaines (contre plusieurs mois en agriculture).” Ceci est valable principalement pour les salades, les tomates, les aromates et les épices.

Pour que ce type d’agriculture se développe, le secteur privé a un rôle à jouer dans le développement de ces technologies et pratiques agricoles, affirme Austin Stankus. “Le secteur privé doit être impliqué en fournissant ou commercialisant non seulement des intrants de haute qualité (les bacs d’aquaponie, par exemple) à des prix raisonnables mais aussi en investissant dans la formation de leurs employés afin d’être en mesure de fournir une assistance professionnelle de qualité, en prenant en compte des facteurs tels que la gestion intégrée des ressources génétiques, la santé des sols, la gestion de l’eau, des maladies et des parasites, les pratiques agricoles et la nutrition des plantes.”

Les avantages de l’hydroponie et de l’aquaponie

Un soutien international à l’agriculture urbaine

D’ici 2050, plus des deux tiers de la population mondiale vivra en milieu urbain ou périurbain. En Afrique subsaharienne, le taux de croissance urbaine est de 3,6 %, soit près du double du taux moyen dans le monde, peut-on lire dans une note de synthèse des Briefings de Bruxelles, consacrée au thème “Produire de la nourriture dans les villes : succès et opportunités”, l’an dernier.

Partant du constat que les villes doivent produire une partie de la nourriture que leurs habitants consomment, le pacte de Milan – Milan Urban Food Policy Pact – a été signé le 15 octobre 2015 par les représentants de plus de 100 villes, dont beaucoup situées dans des pays ACP. Les signataires se sont engagés, entre autres, à “développer des systèmes alimentaires durables qui sont inclusifs, résilients, sûrs et diversifiés”.

Au Sénégal, la FAO, les municipalités de Milan (Italie) et de Dakar ont développé depuis 2006 un projet de micro-jardins urbains. Près de 10 000 personnes ont été formées dans la capitale sénégalaise à l’utilisation de tables de culture (une structure surélevée qui permet de cultiver des herbes et des salades) au sein des centres de formation ouverts dans les 19 communes de Dakar. Dix ans plus tard, environ les deux tiers des personnes formées utilisaient toujours les micro-jardins ; 52 % des micro-jardins servaient à l’autoconsommation et 48 % produisaient des légumes vendus sur des marchés locaux. “L’agriculture urbaine est l’un des leviers les plus importants pour résoudre les problèmes d’insécurité et nutritionnels en zone urbaine et périurbaine”, soutient Coumbaly Diaw, responsable du projet en Afrique de l’Ouest pour la FAO. “Les micro-jardins sont adaptés à la densité de la population et permettent aux familles de produire à la maison des légumes et des épices pour ajouter aux repas des vitamines et des oligoéléments. La technologie est très simple et peu coûteuse, tout le monde peut cultiver un micro-jardin. Comme cela fonctionne en cycle fermé, l’eau est recyclée et donc coûte peu.”

En revanche, ce genre d’initiatives requiert un fort engagement du secteur public, explique Coumbaly Diaw, dans la mesure où ce sont les municipalités qui gèrent l’espace urbain et qui choisissent ou non d’inscrire ces projets dans le développement de la ville.

D’après la FAO, l’agriculture urbaine présente de nombreux avantages : “Les aliments de production locale sont plus frais, plus nourrissants et à des prix compétitifs car ils sont transportés sur de plus courtes distances et nécessitent moins de réfrigération.” Les jardins potagers peuvent être jusqu’à 15 fois plus productifs que les exploitations des zones rurales. De plus, comme il est possible de se passer des intermédiaires, cela génère de meilleurs revenus pour les producteurs.

Néanmoins, l’agriculture urbaine comporte des risques sanitaires et environnementaux liés à la possible utilisation de sols et d’eau contaminés, ou encore à l’usage inapproprié de pesticides et d’engrais organiques bruts qui peuvent se déverser dans les sources d’eau.

Création de richesse

Le jeu en vaut toutefois la chandelle. Au Nigeria, le plus peuplé des pays africains et où la population urbaine ne cesse d’augmenter, produire de la nourriture sur des espaces réduits devient inévitable. Consciente du défi mais aussi des opportunités, l’entreprise Fresh Direct Nigeria s’est installée en périphérie d’Abuja, avec ses six employés. En combinant agriculture verticale et hydroponique dans des containers reconvertis en salles de culture, l’entreprise produit autant “sur 14 m2, soit un container de 20 pieds, que ce qu’il est possible de produire sur une surface équivalente à un terrain de football et demi”, assure Angel Adelaja, PDG de Fresh Direct Nigeria. Le tout en utilisant moins d’eau et moins d’intrants. Étant située en zone périurbaine, Fresh Direct Nigeria peut livrer ses clients – principalement des grossistes et des restaurants – en évitant de transporter ses salades, tomates et concombres – des denrées fragiles et désormais disponibles toute l’année – sur de longues distances, ce qui réduit d’autant les prix. Après des difficultés liées à l’approvisionnement en énergie, l’entreprise est passée au tout solaire cette année, ce qui lui évite de subir les fréquentes coupures d’électricité et d’utiliser des générateurs.

Lors du Briefing de Bruxelles consacré au sujet, Henk de Zeeuw de la fondation RUAF a expliqué que, dans la plupart des villes africaines, entre 20 et 30 % de la population sont déjà impliqués dans l’agriculture urbaine, dont 70 % génèrent un revenu de cette activité. Investir dans l’agriculture urbaine peut donc avoir des impacts considérables. “Chaque dollar investi dans la production urbaine de nourriture générera de 1,4 à 2,6 dollars de revenus pour les entreprises du secteur alimentaire : dans les transports, la transformation, la production de compost, etc.”