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Le potentiel de la digitalisation agricole africaine décrypté

Tendances

Un rapport inédit du CTA et de Dalberg met en lumière le marché inexploité des services digitaux susceptibles de transformer l’agriculture en Afrique.

© WeAgri

Rapport du CTA

Pour la première fois, un rapport du CTA compile et met en lumière des données précises et actualisées sur les solutions digitales permettant à l’agriculture africaine de relever les défis de sa transformation.

En Afrique, où 80 % de la nourriture est toujours produite par de petits producteurs, les technologies et innovations digitales pourraient provoquer une nouvelle révolution. Comme le souligne une étude du CTA et de Dalberg Advisors, qui fournit la première analyse de ce genre, la digitalisation peut changer la donne. Le document met en lumière près de 400 solutions digitales et relève que 33 millions de petits producteurs du continent y sont inscrits, avec une croissance annuelle de 45 % du nombre d’inscriptions depuis 2012. Néanmoins, plus de 90 % du marché des services digitaux qui aident les agriculteurs africains demeure inexploité, avec un chiffre d’affaires évalué à 127 millions d’euros sur un marché potentiel de 2,3 milliards d’euros.

Ces données donnent un avant-goût des révélations contenues dans le Rapport sur la digitalisation de l’agriculture africaine (en anglais), préparé par le CTA et Dalberg Advisors et présenté le 21 juin lors de la Conférence ministérielle de l’UA et l’UE, à Rome. Cet imposant rapport de plus de 200 pages offre une idée précise de l’émergence récente du numérique dans l’agriculture africaine. Il présente aussi une distribution géographique des applications et de leurs fournisseurs : ONG, gouvernements, secteur privé... Par ailleurs, en plus d’analyser le paysage des innovations digitales D4Ag et de fournir un aperçu de l’utilisation actuelle de ces solutions dans l’agriculture sur le continent (principalement l’Afrique subsaharienne), le rapport offre aussi des prévision pour la période 2025-2030 – une première pour le secteur agricole.

Alors que la qualité des données s’améliore, le rapport note que le nombre d’entrepreneurs développant de nouvelles solutions digitales pour l’agriculture augmente de façon exponentielle. “En 2013, lorsque le CTA a organisé une grande conférence internationale sur les technologies de l’information et de la communication pour l’agriculture au Rwanda, il se passait peu de choses dans ce domaine. Mais ces cinq ou six dernières années ont vu une augmentation très importante des nouvelles solutions digitales apparaissant sur le marché”, relève Michael Hailu, directeur du CTA, dans un récent entretien avec Spore.

Un baromètre de l’agriculture digitale

Le rapport du CTA et de Dalberg dresse ainsi une sorte d’état zéro qui sera remis à jour tous les ans ou tous les deux ans, comme un baromètre : à quoi ressemble l’écosystème digital dans l’agriculture africaine, qui en sont les acteurs principaux, quels impacts ont les différentes solutions, leurs perspectives de croissance, leurs utilisateurs réels... Les différents opérateurs disposent désormais d’une base compilant des données consolidées, toujours plus pertinentes que des données isolées ou spécifiques à tel ou tel sujet.

En tout, 17 institutions se sont coordonnées au sein d’un comité consultatif pour établir une méthodologie, collecter les données et les mettre en forme. Ils ont classé les solutions digitales destinées à l’agriculture en cinq grandes catégories primaires (conseil, contacts commerciaux, accès au financement, gestion de la chaîne de valeur, intelligence macro), subdivisées en catégories secondaires. Les experts proposent, de surcroît, d’utiliser de nouveaux termes – comme middleware – pour qualifier les infrastructures de données nécessaires au déploiement de solutions digitales concrètes comme les drones, les stations météorologiques, les équipements de diagnostic de qualité des sols, des maladies et des plants, ainsi que les capteurs de champ. Le rapport présente ce que les solutions digitales ont permis à ce jour, dresse des perspectives de croissance à court et moyen terme, et surtout analyse les bénéfices possibles si le plein potentiel du secteur était réalisé au niveau des différents opérateurs.

Fracture numérique

Malgré de considérables résultats dans la transformation digitale, l’un des messages clés de l’analyse confirme la fracture numérique régulièrement dénoncée par les experts : les femmes sont sous-représentées, ne comptant que pour un quart des inscrits aux solutions digitales, bien qu’elles représentent près de la moitié de la main-d’œuvre agricole en Afrique subsaharienne. Sachant qu’en Afrique un mégabyte de données mobiles coûte en moyenne 10 % du revenu moyen mensuel, les femmes qui gagnent souvent moins que les hommes sont laissées de côté. Pourtant, les solutions digitales pourraient accentuer leur capacité à produire et vendre plus et de meilleure qualité.

De leur côté, les jeunes sont surreprésentés parmi les utilisateurs (65 %). Le numérique constitue d’ailleurs un levier pour les attirer ou les maintenir en agriculture. Cette donnée indique néanmoins un important fossé entre générations qui doit être dépassé afin d’impliquer une proportion significative d’agriculteurs parmi les plus âgés.

Autre tendance remarquable relevée dans le rapport : les utilisateurs sont beaucoup plus nombreux en Afrique de l’Est, avec le Kenya en tête, tandis que les solutions se trouvent en plus grand nombre à l’Ouest du continent. L’Afrique centrale et l’Afrique australe restent globalement moins représentées. Enfin, malgré un grand nombre d’acteurs qui composent ce jeune marché, une quinzaine de solutions digitales, principalement dans l’univers du conseil, dominent le marché avec 70 % des agriculteurs enregistrés.

Passer à grande échelle

Les auteurs du rapport se sont concentrés sur le nombre d’utilisateurs enregistrés, ce qui intéresse les donateurs. Mais ils n’ignorent pas pour autant la réalité de la situation : le nombre d’utilisateurs actifs est bien plus bas. Plus d’un tiers des utilisateurs interrogés pour l’étude déclarent avoir déjà utilisé au moins une forme de technologie avancée (drones, capteurs de champ, big data ou apprentissage machine). Néanmoins, près de 60 % des personnes interrogées assurent qu’elles prévoient d’intégrer ce type de technologies à leurs opérations d’ici trois ans. “Ce rapport indique que, malgré les défis, les facteurs économiques s’améliorent rapidement, avec une poignée d’acteurs commençant à développer des affaires viables à grande échelle. Pour atteindre le plein potentiel, les entreprises auront désormais besoin de se concentrer sur la conversion de leur base clientèle en utilisateurs réels afin que ces modèles économiques portent leurs fruits”, déclare Michael Hailu.

Toutefois, l’étude souligne que les investissements dans la digitalisation pour l’agriculture ont été, à ce jour, isolés, dispersés et fragmentaires, avec des efforts de passage à l’échelle dupliqués sans que cela soit nécessaire, ce qui a entraîné un manque d’efficacité et a ralenti la croissance à long terme et à large échelle. “Alors que l’opportunité est immense, le rapport ne fait preuve d’aucune naïveté sur les défis à relever et le travail considérable requis par les entreprises d’agribusiness, les gouvernements, les donateurs et les investisseurs afin de maximiser les impacts transformateurs de l’agriculture digitale dans les années à venir”, affirme Michael Tsan, de Dalberg Advisors et co-leader du département Pratiques digitales et utilisation des données.

La nécessaire implication de tous les acteurs

Tous les résultats soulignés dans ce rapport montrent à quel point il est essentiel que toutes les parties prenantes investissent dans le digital destiné à l’agriculture, des bailleurs de fonds aux grandes entreprises technologiques, en passant par l’agro-industrie. Les investissements dans le secteur proviennent principalement des donateurs, mais le secteur privé rattrape son retard.

Les recommandations formulées dans le rapport seront essentielles pour le développement de politiques appropriées aux niveaux national, régional et continental, de même que pour le développement des ressources humaines, des infrastructures publiques et des régulations. “Les recommandations quant aux actions concrètes à mettre en œuvre ont le potentiel de transformer le secteur agricole”, estime Ben Addom, un des rédacteurs du rapport et chef de l’équipe TIC pour l’agriculture au CTA, notamment la constitution d’une alliance de l’ensemble des acteurs.

Pour Enock Chikava, directeur adjoint du département Développement agricole de la Fondation Bill & Melinda Gates, les pays doivent commencer par avoir une vision claire de leur agriculture et du potentiel de sa digitalisation. “Une fois cette vision définie, il est nécessaire de disposer d’infrastructures. Vous ne pouvez pas vous lancer dans l’agriculture numérique si les infrastructures ne permettent aucune connectivité. Nous avons donc besoin de réglementations et de politiques pour encourager les investissements de la part du secteur privé”, a-t-il déclaré dans une interview avec Spore.

Néanmoins, Enock Chikava ne se voile pas la face et incite à la prudence afin que ce qui fonde l’intérêt de la digitalisation soit respecté : “Si les données déjà collectées, standardisées et analysées restent entre les mains et sous le contrôle d’une minorité, cela va à l’encontre de l’objectif même de la digitalisation. Il faut que les données soient largement partagées pour que les nouveaux arrivants ne doivent pas consacrer autant de temps et d’efforts pour recueillir le même type de données.”

“La digitalisation change la donne dans la transformation de la petite agriculture”, confirme Michael Hailu. Il poursuit : “Mais, il faut lui accorder l’importance qu’elle mérite dans les politiques et les investissements. Les gouvernements devraient considérer la digitalisation comme un domaine primordial qui pourra avoir une forte incidence sur la transformation de l’agriculture, l’amélioration de la productivité, le renforcement de la résilience face aux changements climatiques et la création d’opportunités pour les jeunes et les femmes. Les gouvernements devraient sérieusement s’intéresser aux bénéfices qu’ils pourraient tirer de la digitalisation dans le cadre de leurs stratégies de transformation de l’agriculture.”        

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