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l’agriculture pour renforcer la résilience

Tendances

États fragiles

Face à l’augmentation du nombre de mal-nourris dans le monde depuis 2014, le développement agricole apparaît de plus en plus comme un outil efficace pour accroître la résilience des communautés vulnérables dans les États fragiles.

Le terme “État fragile” est fréquemment utilisé malgré l’absence de définition universellement reconnue. L’Organisation de coopération et de développement économiques définit la fragilité des États comme “la conjonction d’une exposition à des risques et d’une capacité insuffisante de la part de l’État, d’un système ou d’une communauté, à gérer, absorber ou atténuer ces risques”. Les deux formes les plus communes des risques évoqués dans cette définition sont les chocs climatiques et les conflits.

Parmi les symptômes de fragilité figurent les niveaux élevés de pauvreté et de déplacement, l’éclatement des institutions, la corruption, la déliquescence des infrastructures, la faible productivité, l’endettement important et la violence. Non résolue, la fragilité des États peut déboucher sur des urgences humanitaires et des crises alimentaires. En 2017, près de 124 millions de personnes dans 51 pays et territoires du monde entier ont dû faire face à des niveaux critiques d’insécurité alimentaire nécessitant une action humanitaire d’urgence. L’an dernier, en Afrique, plus de 37 millions de personnes dans 11 pays ont été confrontées à une insécurité alimentaire aiguë en raison des conflits et de l’instabilité.

Lors du Briefing de Bruxelles sur le Développement intitulé L’agriculture, moteur de reconstruction économique et de développement dans les États fragiles, en juin 2018,le professeur en études de développement à la London School of Economics James Putzel a rappelé que “la fragilité d’un État est une condition temporelle et non une catégorie statique”. L’accent doit donc être mis sur l’identification des facteurs qui fragilisent les États ou, au contraire, accroissent leur résilience.

Le rôle de l'agriculture dans les processus de paix

Depuis quelques années, l’agriculture est de plus en plus reconnue pour son rôle dans les processus de paix et la résilience au sein des États fragiles. En 2017, la communication de l’UE intitulée Une approche stratégique de la résilience dans l'action extérieure de l'UE a souligné la nécessité de s’éloigner du confinement des crises pour s’orienter vers une approche à long terme, plus structurelle, des vulnérabilités. “La nourriture ne se limite pas à sauver des vies : elle constitue aussi un excellent instrument pour le développement et le processus de paix”, explique Bing Zhao, directeur du programme Purchase for Progress (P4P) et coordinateur mondial du PAM.

Dans les pays en butte à des crises prolongées, jusqu’à deux tiers des emplois et un tiers du PIB sont liés à l’agriculture. Les investissements dans le secteur peuvent donc influer sur la résilience des populations vulnérables. D’après le Dr Alexandros Ragoussis de la Société financière internationale (IFC), “l’agriculture est deux à quatre fois plus efficace qu’un investissement dans tout autre secteur d'activité pour sortir les gens de la pauvreté extrême”.

Au Soudan du Sud, dans l’État de l’Equatoria, l’ONG Cordaid a travaillé avec deux communautés agropastorales qui se battaient régulièrement pour des pâtures, afin de former un comité conjoint de jeunes, de femmes et d’agriculteurs des deux communautés. Ensemble, ils ont cultivé 12 hectares et construit un entrepôt pour le stockage de leur production. Ils produisent à présent un excédent alimentaire qu’ils vendent en Ouganda. “Le dialogue et la coopération peuvent rétablir les relations défectueuses entre communautés rivales”, déclare la gestionnaire de programme de Cordaid, Harma Rademaker.

Accroître les capacités d’atténuation des risques

Pour éviter que des situations fragiles ne dégénèrent en crises et assurer la convalescence durable des populations vulnérables, les communautés rurales doivent pouvoir maîtriser et anticiper les risques de crises et de catastrophes, mais aussi élaborer des stratégies permettant de minimaliser l’impact de ces risques sur la production alimentaire. “Quand les gens accroissent leurs connaissances et apprennent à gérer les risques en matière de catastrophes, ils sont mieux à même de surmonter les difficultés et de restaurer leurs moyens de subsistance en cas de sécheresse grave, par exemple”, explique Harma Rademaker.

Le programme de réduction des risques de catastrophe de Cordaid (CMDRR – Community Managed Disaster Risk Reduction) – qui aide les communautés à développer des actions conjointes pour une résilience accrue – a permis à 2 350 ménages affectés par les conflits au Soudan du Sud de restaurer leur production agricole et d’aménager plus de 100 points de distribution d’eau à des fins de consommation et d’utilisation domestique. Dans le même ordre d’idées, le Somalia Resilience Program (SomReP) se concentre sur le renforcement des capacités et la planification du développement local, afin d’accroître la résilience des ménages vulnérables en Somalie. Une étude menée par World Vision, l’une des sept ONG actives dans SomReP, a identifié deux caractéristiques clés des ménages somaliens pouvant être considérés comme bénéficiant d’une meilleure sécurité alimentaire et d’une plus grande capacité à surmonter les crises. D’une part, ces ménages tendaient à faire partie d’un plan d’épargne collectif et, d’autre part, ils avaient généralement accès à des alertes précoces.

Les déplacements à grande échelle suite à des sécheresses et conflits récurrents ont largement contribué à l’insécurité alimentaire en Somalie, bien que l’agriculture représente encore jusqu’à 75 % du PIB du pays et donne du travail à 46 % de la population. En plus de SomReP, l’Initiative Résilience - Organismes ayant leur siège à Rome – qui regroupe le PAM, la FAO et le Fonds international de développement agricole – offre notamment aux communautés rurales somaliennes des formations et conseils axés sur la production durable de cultures et de bétail ainsi que sur la gestion postrécolte. Elle dispense aussi des formations professionnelles permettant de diversifier leurs revenus. Les bénéficiaires ont ainsi enregistré une croissance de leurs revenus de l’ordre de 118 % et 38 % affirment être plus résilients et mieux armés contre les sécheresses prolongées.

Relier les agriculteurs aux marchés

Une fois à même de produire des excédents, les agriculteurs doivent avoir accès aux marchés et sources de financement, qui font défaut dans les États fragiles. Dans le cadre du Programme mondial pour l'agriculture et la sécurité alimentaire, la Banque mondiale et six de ses partenaires en développement ont récolté des dons à hauteur de 1,35 milliard de dollars (1,16 milliard d’euros) pour faire face aux contraintes de crédit des agriculteurs. “L’argent ne sera pas un moteur de changement à lui seul”, prévient Alexandros Ragoussis. L’IFC apporte aussi son soutien aux agriculteurs et coopératives sous la forme de services consultatifs poussés et d’un accès aux marchés internationaux. L’organisation garantit aux États fragiles et en proie aux conflits une part du commerce transfrontalier trois fois plus importante que dans tout autre contexte de pays à faibles revenus.

L'ouverture d’un marché adapté aux petits exploitants est également au cœur du programme P4P du PAM qui, depuis son lancement en 2008, a acheté pour 214 millions d’euros d’aliments aux petits agriculteurs. “Nous sommes convaincus que c'est seulement en aidant les petits exploitants au sein de la chaîne de valeur et en favorisant leur participation aux marchés que nous leur donnerons les moyens de devenir plus autonomes et que nous les encouragerons à créer un système alimentaire durable et inclusif”, explique Bing Zhao.

En dix ans, le programme P4P a soutenu plus de 2 millions de petits exploitants dans plus de 60 pays. En Zambie, Harriet Chabala a ainsi reçu un prêt de sa coopérative locale en reconnaissance de son potentiel entrepreneurial et en tant que fournisseur régulier de fèves au PAM. L’agricultrice a pu acheter un tricycle qui lui permet de circuler sur des routes en mauvais état. Elle achemine ainsi des produits et des gens vers les villes et marchés, moyennant rétribution. Harriet Chabala estime pouvoir rembourser le prêt d’ici un an. Par ailleurs, elle a augmenté sa production de fèves de 50 % en deux ans.

Soutenir les coopératives d’agriculteurs

Au Burundi, la Confédération des associations des producteurs agricoles pour le développement (CAPAD) est née après la guerre civile au Burundi, en 2000, avec l’objectif d'aider les agriculteurs déplacés à revenir cultiver les terres. Même si la situation du pays ne s’est pas stabilisée –2,6 millions de personnes étaient en situation de crise humanitaire entre octobre et décembre 2017 – l’introduction de méthodes agricoles efficaces et bien intégrées peut tripler les récoltes, surtout si les agriculteurs sont encouragés à investir via une coopération mutuelle et un partage des connaissances, d’après l’Université de Wageningen.

La CAPAD aide 117 000 ménages agricoles au Burundi à investir dans l’optimisation de leur productivité et à accroître leur résilience face aux situations de crise. Entre 2002 et 2014, la CAPAD a aidé les petits exploitants à augmenter leur rendement de 30 à 50 % et a contribué au développement socio-économique de plus de 12 000 femmes et jeunes hommes déplacés en créant des emplois temporaires et permanents.

“Ce que fait la CAPAD montre comment les organisations paysannes peuvent contribuer au rétablissement de la paix et au développement économique via une production agrégée”, affirme Isolina Boto, manager du siège bruxellois du CTA, partenaire de la CAPAD. Une nouvelle collaboration entre le CTA et AgriCord devrait permettre à la CAPAD d’enregistrer ses membres à l’aide d’outils TIC afin de cartographier numériquement les différentes coopératives, ainsi que les récoltes qu’elles produisent et vendent. Mieux informée sur les activités de ses membres, l’organisation pourra optimiser l’utilisation des semences et engrais, tout en augmentant l’accès à de nouveaux marchés et sources de financement.

Mobilisation des gouvernements locaux

L’instabilité politique de nombreux États fragiles rend la collaboration avec les autorités et gouvernements locaux particulièrement difficile. Le Dr Annick Sezibera, secrétaire exécutive de la CAPAD, souligne la capacité de la CAPAD à demeurer politiquement neutre, tout en entretenant un dialogue régulier avec le gouvernement. Cette position a permis à l’organisation de plaider en faveur d’une législation et de stratégies qui soutiennent l’agriculture, tout en résistant aux manipulations des partis politiques et en évitant une expulsion du Burundi durant la crise de 2015, quand la plupart des autres organisations de la société civile ont dû quitter le pays.

Maintenir le dialogue avec les autorités locales dans les États fragiles permet aux organisations de rester informées de la situation politique et d’anticiper tout conflit, de manière à s’adapter à l’évolution de la situation. Il est également utile de collaborer avec des gouvernements afin de développer des plans d’action d’urgence pour la gestion des catastrophes ainsi que de plaider pour et influencer des politiques, pratiques et investissements à l'échelon national. “Nous travaillons toujours avec les gouvernements locaux car il est important d’obtenir leur soutien”, explique Harma Rademaker.

Un fossé à combler

Parmi les plus vulnérables aux chocs climatiques, aux catastrophes météorologiques, à la mauvaise gouvernance, aux conflits et aux fluctuations du marché, les petits agriculteurs produisent l’essentiel des aliments à l’échelle mondiale. Les soutenir est donc impératif pour réduire le risque de crise alimentaire. “Nous devons mieux comprendre les aspects spécifiques de la fragilité que l’agriculture peut aborder de façon inclusive et veiller à renforcer les projets favorables à l’intégration interne. Il est essentiel de promouvoir les investissements et les marchés à long terme, qui bénéficient aux petits exploitants dans les États fragiles”, souligne Isolina Boto.

Le rapport 2017 du Centre for EU Studies sur le thème Improving European Coordination in Fragile States conclut que les partenaires de développement doivent combler le fossé entre stratégies humanitaires et de développement, afin de soutenir des stratégies nationales de résilience basées sur l’évaluation et la planification coordonnées des besoins. L’agriculture joue un rôle central de stimulation de la croissance économique et de réduction de la pauvreté dans les États fragiles, via la mise en œuvre de technologies sensibles aux risques et de pratiques durables.

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