Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.
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Coopératives : ensemble pour un avenir meilleur

Dossier

Analyse

Les coopératives de nouvelle génération valorisent la production agricole et autonomisent les petits producteurs, grâce à l’intégration des chaînes de valeur, aux partenariats public-privé et aux services d’appui aux entreprises. De nombreux enseignements peuvent être tirés de leurs actions.

Dans un monde toujours plus axé sur les marchés, les coopératives de nouvelle génération peuvent offrir aux petits producteurs les conseils et appuis nécessaires pour produire mieux et plus régulièrement, et attirer les acheteurs réguliers d’un large éventail de marchés.

Les coopératives peuvent renforcer les maillons verticaux et horizontaux des chaînes de valeur qui réagissent aux incitations des marchés. Parce que les besoins des marchés évoluent, il faut aider le mouvement coopératif mondial à revitaliser les structures de gouvernance et les stratégies commerciales pendant cette période de transition.

Histoire des coopératives 

Les coopératives agricoles existent sous différentes formes depuis plus de cent ans. Le cheminement de la ferme au marché peut être ardu et sinueux et de nombreux groupes ont connu des problèmes de corruption, de manque de transparence, d’ingérence de l’État et/ou de bailleurs de fonds, ce qui a entravé leur viabilité.

Un nouveau modèle de coopératives lié à la spécialisation de l’agriculture et au développement des chaînes de valeur est toutefois en train d’émerger. Les nouvelles coopératives sont conçues pour offrir aux agriculteurs, dès le départ, des liens plus fiables et profitables avec les marchés. Elles proposent souvent des services commerciaux et financiers à leurs membres. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), dans un document d’information sur le développement des chaînes de valeur, elles peuvent aussi aider leurs membres à accéder aux institutions financières existantes et à des prestataires de services commerciaux pour leur permettre d’obtenir un meilleur arrangement.

Certaines de ces nouvelles coopératives se forment à l’initiative des grandes entreprises comme les firmes agroalimentaires qui doivent travailler avec des groupes d’agriculteurs, mais d’autres sont créées au sein des communautés, quand des producteurs se regroupent pour accéder à un marché. Souvent les membres fondateurs ont des antécédents communs – ils sont de la même région et produisent les mêmes cultures.

Dans l’ensemble, les coopératives ont eu un impact positif sur l’innovation technologique, la productivité et l’efficience technique des agriculteurs. En Éthiopie, les coopératives laitières commerciales ont amélioré l’accès des agriculteurs à l’insémination artificielle et aux vaches de races croisées, stimulant ainsi la productivité laitière. Autre effet important et positif, les coopératives ont poussé les agriculteurs éthiopiens à adopter et utiliser des semences et engrais. Ces avantages ne touchent pas seulement les adhérents des coopératives ; des effets d’entraînement sur les autres exploitations de la région sont souvent à noter, comme l’adoption de technologies durables.

Un changement de paradigme

À quoi ce passage de l’ancienne à la nouvelle génération de coopératives est-il dû ? Selon le Professeur Michael Cook, spécialiste des coopératives agricoles à l’Université du Missouri, une nouvelle génération de coopératives est apparue aux États-Unis dans les années 1990 et au début des années 2000 en réaction à la crise agricole des années 1980, lorsque les agriculteurs les plus progressistes ont souhaité continuer à bénéficier des avantages de l’action collective tout en améliorant les règles et politiques d’organisation interne des coopératives traditionnelles. La crise des années 1980 se poursuivant, les rivalités se sont accrues dans cet environnement compétitif. “En gros, les coopératives de nouvelle génération ont exigé de leurs membres des investissements initiaux plus importants, ce qui les a incités à davantage suivre les nouvelles règles d’approvisionnement, en qualité et en quantité. Ces règles ont aussi contribué à équilibrer l’offre et la demande et à réduire ainsi la volatilité des prix des denrées de base.”

Les nouvelles coopératives peuvent encourager les jeunes qui étaient prêts à abandonner l’agriculture, pour les promesses d’une vie urbaine différente, à rester dans ce secteur. L’âge moyen des agriculteurs africains est d’environ 50-55 ans, selon Pierre Van Hedel, directeur de la Fondation Rabobank, qui déclare : “Les jeunes trouvent la perspective de vendre des téléphones portables dans les grandes villes beaucoup plus moderne et attrayante, mais ce marché est déjà presque saturé. Les jeunes générations devraient être davantage encouragées à poursuivre une carrière dans l’agriculture et cela suppose qu’ils puissent acheter et vendre leurs produits par le biais d’une coopérative.” “Si leurs exploitations sont un peu plus grandes, ils peuvent remplacer le travail manuel par des machines et commencer à utiliser des technologies plus modernes, dont des prévisions météorologiques plus précises, des semences et espèces animales supérieures et des techniques d’analyse des sols”, précise-t-il. Les nouvelles coopératives peuvent assurer la fourniture de ces intrants.

L’OIT indique, dans une brochure sur les coopératives en Afrique, que l’adhésion à une coopérative peut aussi être bénéfique aux femmes. Leur participation aux coopératives agricoles traditionnelles a été limitée par les pratiques foncières, la répartition des rôles et les types d’emplois agricoles disponibles. Selon l’OIT, toutefois, “les femmes s’organisent de plus en plus en coopératives pour la production agricole”, ce qui profite à la productivité, aux revenus et à la qualité de vie des membres et des communautés. En Tanzanie, l’OIT, l’Agence suédoise de coopération internationale au développement (SIDA) et CoopAFRICA ont soutenu la société coopérative laitière des femmes de Nronga dans le cadre d’un projet sur le VIH/sida. L’OIT a aidé 400 éleveuses à tenir des registres du lait vendu et utilisé par la famille et à adopter d’autres pratiques commerciales rentables. Elles ont ainsi pu mieux comprendre leur activité et chercher de nouveaux marchés. “Les femmes n’ont plus peur de prendre des risques et de créer de nouvelles entreprises”, souligne l’OIT.

Il est probablement trop tôt pour savoir si les nouvelles coopératives fonctionneront mieux que les précédentes. Gian Nicola Francesconi, conseiller technique senior pour le développement de l’agrobusiness coopératif du CTA, estime qu’en Afrique les coopératives de nouvelle génération en sont encore à un stade initial de développement. Elles émergent mais sont encore loin de représenter une réussite. “Nous savons que les organisations traditionnelles ou communautaires ont souvent échoué à soutenir le secteur de l’agrobusiness et l’emploi rural. Les coopératives traditionnelles ont contribué à créer un syndrome de dépendance dans les communautés rurales d’Afrique en servant essentiellement d’intermédiaires passifs pour la distribution des subventions gouvernementales et non gouvernementales. Il est toutefois difficile d’imaginer comment les petits agriculteurs des pays en développement pourraient sortir de la pauvreté sans s’organiser ni agir collectivement. Les coopératives de nouvelle génération peuvent rassembler les investissements des agriculteurs pour proposer des ressources humaines et physiques permettant une valorisation de la production agricole”, explique G. N. Francesconi.

Les enjeux sur le terrain

L’adhésion à une coopérative peut changer la manière dont les petits agriculteurs commercialisent leurs produits. Ils peuvent en obtenir de meilleurs prix, en profitant des installations d’entreposage améliorées gérées par la coopérative et d’une aide à la commercialisation. Lancer une coopérative de nouvelle génération est toutefois plus facile à dire qu’à faire. Les agriculteurs doivent en effet consentir d’importants investissements initiaux pour employer des gestionnaires professionnels et acquérir des actifs générateurs de valeur, un engagement difficile puisque les petits agriculteurs ruraux sont généralement confrontés à de graves problèmes de liquidités. “L’autre difficulté est que les coopératives de nouvelle génération exigent une évolution des coutumes rurales vers l’assouplissement des principes coopératifs traditionnels en matière d’inclusion, d’équité et de mécénat – soit l’appui que les coopératives accordent inconditionnellement à leurs membres”, indique G. N. Francesconi. “Les réformes juridiques, tout comme la formation et le mentorat, peuvent favoriser et faciliter l’évolution des coutumes rurales et de la gouvernance des coopératives”, ajoute-t-il.

Les coopératives agricoles ont souvent du mal à passer du stade d’association paysanne ou communautaire à celui d’organisation axée sur les consommateurs ou les marchés. Il faut une nouvelle stratégie qui tienne compte des chaînes de valeur émergentes pour les produits agroalimentaires et de leurs exigences. Les producteurs doivent satisfaire aux objectifs en termes de volume et de qualité et respecter les délais. Ensuite, les coopératives agricoles doivent s’intégrer aux chaînes de valeur émergentes. Les partenariats public-privé (PPP) peuvent faciliter ce processus, en particulier ceux engagés entre des compagnies privées achetant la production des coopératives et des ONG possédant une solide expérience du développement rural. Les ONG peuvent contribuer à mettre en place et renforcer une gestion professionnelle, et même à financer ces postes, mais cela devrait rester un arrangement à court terme puisqu’il importe que les coopératives deviennent autosuffisantes.

Il est possible d’obtenir l’aide d’ONG, de bailleurs de fonds et de gouvernements lorsqu’ils acceptent de prendre à leur compte une part des risques et des coûts liés aux investissements initiaux. Les fonds publics affectés au développement peuvent être utilisés pour financer des investissements et les maintenir jusqu’à ce que les agriculteurs de la coopérative puissent et veuillent gérer eux-mêmes ces coûts.

Les entreprises agroalimentaires africaines signent de plus en plus souvent des contrats avec les petits agriculteurs pour leur production. Ces entreprises privées sont en mesure d’améliorer les capacités productives et économiques de leurs agriculteurs, ainsi que leur accès aux intrants agricoles et aux marchés. Pour qu’agriculteurs et acheteurs forment des maillons durables d’une chaîne de valeur, il est indispensable que les organisations de producteurs soient renforcées.

Des formations pour les dirigeants

La formation des dirigeants est vitale pour que les agriculteurs tirent le meilleur parti de leurs coopératives. Les dirigeants et gestionnaires doivent savoir anticiper les éventuels problèmes organisationnels et prendre les précautions nécessaires pour garantir que les agriculteurs membres restent mobilisés et unis. Les coopératives agricoles sont des organisations complexes, mais en Afrique elles sont souvent dirigées par des agriculteurs pauvres dont l’expérience entrepreneuriale et organisationnelle est limitée. Les services de vulgarisation s’étant jusqu’alors concentrés sur la comptabilité, la planification commerciale et les technologies agricoles, les stages de direction de coopérative sont conçus pour renforcer les capacités des dirigeants et gestionnaires de coopératives.

Au Malawi, un stage de direction de coopérative auquel ont participé plus de 200 dirigeants, gestionnaires et acteurs de coopératives agricoles locales a beaucoup porté sur le renforcement des capacités. Ces événements rassemblant des acteurs publics et privés favorisent et facilitent les nouveaux investissements à impact social et environnemental qui permettront l’essor des coopératives de nouvelle génération. Les recommandations du stage traitaient de divers sujets s’adressant essentiellement aux décideurs, comme le ministre du Commerce, pour favoriser un soutien aux coopératives agroalimentaires. Les événements sont organisés par le projet Améliorer le développement grâce aux coopératives (EDC), en collaboration avec Oxfam, et fournissent une tribune pour débattre des questions stratégiques et résoudre les difficultés communes. L’accent est mis sur le renforcement de l’encadrement, de la gouvernance et de la gestion des coopératives agricoles. EDC propose des formations, du mentorat et des expériences d’apprentissage mutuel à des groupes d’au moins 200 dirigeants et gestionnaires de coopératives agricoles. Ces événements servent aussi à recueillir des données supplémentaires au sein des coopératives pour alimenter de futures recherches et orienter les débats sur les politiques parmi les gouvernements, bailleurs de fonds et investisseurs (voir le reportage à Madagascar).

La voie à suivre

Les coopératives de nouvelle génération peuvent offrir d’importants avantages aux agriculteurs du monde entier, et en particulier à ceux des pays en développement. Une étude de l'EDC a montré que des mesures économiques d’incitation s’imposent pour accroître le nombre de coopératives agricoles en Afrique et la productivité, efficacité et viabilité de leurs membres. Ces mesures seules ne suffiront toutefois pas à augmenter les volumes de produits vendus. L’analyse du CTA indique que les incitations économiques doivent être mieux ciblées pour encourager le développement sélectif des coopératives grâce à des règles d’adhésion précises, des droits et un objectif commun. Il faut réglementer l’accès aux coopératives, par exemple par des droits d’entrée, et faciliter les procédures de retrait de l’association. Les membres doivent pouvoir participer au processus décisionnel, avoir une bonne compréhension des avantages liés à l’appartenance à la coopérative, participer aux choix concernant les volumes et prix des produits à vendre, et pouvoir exprimer leurs opinions à l’occasion de débats au sein de comités réguliers et d’autres tribunes.