Pour créer des entreprises à grande valeur ajoutée, les femmes africaines ont besoin d'accéder à des marchés durables, à des informations fiables, à des solutions de financement innovantes, et à la technologie. Le Réseau des femmes africaines dans l'agroalimentaire (AWAN-AFRIKA) est une structure indépendante qui leur facilite l'accès à ces supports. L’organisme implanté à Nairobi au Kenya regroupe sur sa plateforme quelque 400 femmes entrepreneures dans l’agrobusiness dont le chiffre d’affaires des entreprises est supérieur à 20 000 dollars. Béatrice Gakuba, directrice exécutive d'AWAN-AFRICA, revient pour «La Tribune Afrique» sur une stratégie qui entend faire émerger un réseau d’entrepreneures, loin des clichés habituels de la femme rurale cantonnée à de petites productions familiales.
La Tribune Afrique : Alors qu'en Afrique l'on se focalise sur l'aide aux femmes rurales qui constituent la majorité des productrices du secteur, l'initiative AWAN-AFRIKA vise plutôt à accompagner les entrepreneures agricoles de la moyenne entreprise. Comment expliquez-vous ce choix ?
Béatrice Gakuba : Notre plateforme «Value4Her connect» a été à l'origine un projet financé dans le cadre des ACP par l'Union européenne pour l'Afrique, le Pacifique et les Caraïbes. Pour l'Afrique, il y a eu deux partenaires : AWAN-AFRIKA et AWIEF. AWAN-AFRIKA -Réseau des femmes africaines dans l'agroalimentaire- dont je suis la directrice exécutive est la première plateforme de networking des femmes africaines dans l'agrobusiness. Le programme soutenu par le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA ACP-UE), #Value4Her vise à renforcer les entreprises agroalimentaires dirigées par des femmes en Afrique.
Nos membres sont des championnes locales de l'agrobusiness dans 33 pays africains et elles évoluent sur toute la chaîne de valeur allant de la production à l'exportation en passant par la transformation locale. L'initiative est née à la suite d'une analyse de différentes études sur les femmes entrepreneures dans l'agriculture. En Afrique, les femmes constituent 70% de la main-d'œuvre agricole dans le milieu rural, il est de ce fait impossible de parler d'agriculture sans les placer au centre de tout. La plupart des partenaires au développement et autres ONG se focalisent sur des femmes dans les petits business. Maintenant, le maillon manquant reste les femmes entrepreneures agricoles dans la tranche des moyennes entreprises. Selon nos critères, ce sont des entreprises avec un capital à partir de 20 000 dollars et plus. Mais pour ce qui est des membres de notre plateforme, le capital est à partir de 50 000 dollars. Ces femmes sont pour l'instant au nombre de 400 sur notre plateforme de networking «Value4Her connect» . Nous espérons avoir d'ici la fin de l'année au moins 5 000 adhérentes en couvrant toute l'Afrique. Nous nous servons des nouvelles technologies pour fournir à nos membres des informations en ligne sur les marchés, les standards, les acheteurs, les vendeurs, les agrégateurs, les produits et les prix, mais aussi leur permettre de communiquer et de commercer entre eux.
Nos études ont montré que les femmes interrogées sur leurs besoins pour se développer parlent essentiellement de deux choses : de capital et de marché. Mais savons aussi que nous devons les accompagner, les préparer pour avoir des produits de bonne qualité, les apprendre à rédiger des contrats de production et de vente. Et cela dans le but d'accéder aux marchés. Nous leur guidons également dans la recherche de fonds auprès des investisseurs et des institutions financières qui donnent des produits financiers accessibles et disponibles à des taux d'intérêt intéressants. Nous les formons aussi à la gestion financière.
L'initiative cible en priorité les femmes agricultrices de la moyenne entreprise. Quels sont les autres conditions et critères pour intégrer le réseau des femmes africaines de l'agroalimentaire (AWAN-AFRIKA) ?
Nous sommes ouvertes à tout le monde. Nous menons actuellement une campagne de communication avec l'objectif d'avoir 15 millions de femmes et de jeunes africains connectés sur notre plateforme d'ici 2020. Un chiffre tout de même limité si l'on prend en compte la taille de la population africaine estimée à 1,2 milliard de personnes, mais c'est juste un début. Nous avons développé un système africain de commerce à l'image de grandes chaînes de distribution B2B et de commerce en ligne qui va faciliter l'échange de nos produits africains, diversifiés et de grande qualité. Lors des expositions de notre dernière conférence qui s'est tenue du 13 au 14 juin à Nairobi, nous avons eu des produits agricoles proposés par des femmes entrepreneures dans le domaine de l'agriculture qui répondent à des standards internationaux avec tous les critères requis pour conquérir des marchés internationaux.
Concrètement, comment se déroule ce modèle de commerce ?
D'abord notre slogan c'est : «Women doing business with women» où les femmes achètent aux femmes. AWAN regroupe principalement des femmes avec de moyennes entreprises sur toute la chaîne de production agricole : production, transformation et distribution. L'idée c'est d'exploiter cette complémentarité en les permettant de commercer entre elles, de s'approvisionner en matières premières et de vendre leurs produits, via notamment le réseau de distribution de leurs camarades à l'autre bout de la chaine de valeur sur tout le Continent. A terme, nous ciblons les femmes du monde entier comme clientèle. Même si nous accordons une grande place au commerce intra-africain, les femmes, quelle que soit leur région -Asie, Europe, Amérique- peuvent se connecter sur notre plateforme, pour échanger, se renseigner en vue d'acheter des produits agricoles africains. A notre niveau sur la plateforme, nous pouvons les renseigner, les orienter sur les modalités selon les pays, les produits, les régimes de changes, les monnaies locales, les spécificités réglementaires, comme les types de contrats à faire. Ce qui donnera lieu un vaste réseau de femmes de l'agrobusiness au niveau mondial, centré sur l'Afrique et qui permettra aux Africaines de développer des entreprises d'envergures dans le secteur. En dehors de l'agriculture, nous voudrions également étendre nos activités et notre champ d'intervention à tout ce qui est transformation des ressources halieutiques, une activité principalement occupée par les femmes en Afrique. Bien que concentré sur le développement des femmes africaines du secteur agricole, AWAN-AFRIKA n'exclut pas les autres secteurs et les membres peuvent aussi commercer avec tous les clients potentiels : Hommes et femmes de toutes les régions du monde.
Le réseau AWAN mise en grande partie sur le développement d'une chaîne de valeur agricole intégrée en Afrique. Quelles sont les perspectives ouvertes par le lancement de la Zone de libre- échange continentale en Afrique (ZLECA) pour les femmes dans l'agrobusiness ?
Avec l'ouverture prônée par la ZLECA, nous allons développer le commerce de femmes à femmes sur le Continent africain. Ce qui est à la base de notre stratégie. La ZLECA devrait améliorer la possibilité de circuler librement et mettre fin au harcèlement douanier. L'accord va changer beaucoup de choses. Nous avons tous vu les chiffres avancés et qui sont impressionnants. Le commerce intra-africain grâce à la ZLECA va augmenter de 17% à 60 % d'ici 2021, et nous pensons qu'au moins la moitié devrait être pour et par les femmes en termes de bénéfices et de production. Les femmes représentent près de 50% de la population africaine donc leur part dans l'économie devrait être proportionnelle ou proche de ce pourcentage. La ZLECA va faciliter le commerce de nos membres entre elles-mêmes, avant d'exporter, sachant que ces dernières sont aussi des exportatrices en dehors du Continent. Aujourd'hui, leurs productions sont capables de rivaliser avec tous les produits au niveau international. Notre dernière conférence les 13 et 14 juin au Kenya a été marquée par l'exposition de produits capables d'être complétifs face à la production mondiale en termes de standards, de qualité, d'emballages, etc. C'est une rencontre qui a été marquée par la présence des investisseurs, des acheteurs, mais le plus important des échanges a été du fait des participants entre elles-mêmes.
Quelle est la prochaine étape pour les Africaines de l'agroalimentaire afin d'implanter durablement leur projet ?
Dans les prochaines années, nous voudrions nous positionner en une grande plateforme de commerce à l'image d'Amazone, d'Airbnb, mais à l'Africaine où tous les produits seront exposés. Les femmes africaines productrices, entrepreneures seront ainsi sur notre plateforme pour vendre leurs produits et des entreprises du monde entier pourraient s'y approvisionner. C'est le rôle de cette plateforme de networking d'AWAN. Nous misons beaucoup sur le marché africain qui devrait permettre de générer des millions, voire des milliards de dollars de chiffres d'affaires dans les prochaines années. Des objectifs tout à fait réalisables d'après nos projections, mais c'est un travail qui nécessite de la communication sur les opportunités de création d'emplois pour les jeunes et les femmes. Aussi, nous voudrions avoir plus de femmes africaines dans les pays du nord au niveau de notre réseau et sessions de formation. Elles sont encore très minoritaires dans les effectifs d'AWAN. Nous avons de ce fait prévu des rencontres pour mieux intégrer les femmes de l'agrobusiness de cette partie de l'Afrique pour montrer la production africaine dans toute sa diversité. Nos disparités régionales sont aussi nos forces.
Si l'on prend le cas de l'huile d'argan produite à Essaouira au Maroc, elle est souvent exportée à l'état brut pour être transformée en Europe avant d'être réexportée vers l'Afrique. Avec la ZLECA, l'Afrique est devenue le plus grand marché au monde et nous avons aussi quelque chose que l'on ne trouve nulle part ailleurs : l'hospitalité. D'ailleurs en Afrique quelque soient les régions ou pays d'origine des femmes, elles s'appellent toujours «ma sœur». Cette convivialité, cette bienveillance nous devons la transformer en une énergie positive au service de la coopération et du développement économique. C'est ce que les femmes du réseau AWAN essaient de faire.
Maimouna Dia