Le défi alimentaire de l’Afrique est au croisement de la plupart des grands défis du continent ; et c’est d’abord aux agriculteurs, aux consommateurs et aux responsables africains de le relever.
Défi économique en effet : aujourd’hui, 20 % de l’alimentation est importée, ce qui représente entre 30 et 50 milliards de dollars par an (entre 26 et 44 milliards d’euros). Selon l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri), l’addition pourrait s’élever à 150 milliards de dollars en 2030. Ces chiffres sont alarmants : quelles exportations pourront permettre de payer une telle facture ?
Défi social aussi, car les hémorragies paysannes, dont nous constatons déjà l’impact sur les villes et les zones périurbaines et, au-delà, sur les flux migratoires, sont un puissant facteur de déstabilisation nationale et d’insécurité internationale.
Défi culturel, car l’alimentation est l’un des fondements de la culture des peuples. La world food est l’une des premières acculturations qui détournent les citoyens du « pays d’en-dedans ». Défi environnemental enfin, car ce sont bien les paysans qui gèrent l’essentiel des ressources naturelles et qui sont les premiers à souffrir d’une dégradation de ces ressources.
C’est d’abord aux milliers d’agriculteurs, pasteurs, pêcheurs africains et leurs organisations de relever le défi alimentaire du continent. Mais en ont-ils aujourd’hui les moyens ? Dans le contexte actuel, les agriculteurs sont face à des batailles bien difficiles, et même perdues d’avance dans certains cas. En cause : un accès inégal aux ressources, des technologies souvent inadaptées à leurs situations économiques et écologiques, des compétitions sur les marchés avec des concurrents autrement équipés et encouragés…
Un travail agricole très mal rémunéré
Eux ne sont pas soutenus comme le sont les agriculteurs des pays du Nord. Dans leur grande majorité, ils sont pauvres, le travail agricole étant très mal rémunéré en Afrique. Ils ne bénéficient d’aucun mécanisme d’aide au revenu ou d’assurance contre les aléas. Il leur est par ailleurs difficile d’investir dans des innovations, car les crédits agricoles publics sont rares et les banques ne se bousculent pas non plus pour les accompagner. Même le microcrédit, avec ses taux élevés, n’est guère adapté à la production agricole.
Les agricultures africaines ont aujourd’hui besoin d’une triple révolution copernicienne. D’abord, sur le plan technique, il est impératif d’inverser la logique consistant à « artificialiser » les milieux naturels à grand renfort de produits chimiques et d’énergies non renouvelables pour les adapter à des plantes et à des animaux sélectionnés pour leur très haute productivité. Il faut au contraire que les plantes et les animaux s’adaptent aux milieux et que les systèmes agricoles s’organisent pour bénéficier des services écologiques offerts gratuitement par la nature.
Il faut ensuite inverser le discrédit entretenu contre les produits locaux et faire valoir au contraire leur caractère identitaire. Pour ce faire, il faut bien sûr que ces produits soient accessibles, de qualité, et correspondent aux besoins des consommateurs, notamment urbains. Enfin, sur le plan politique, il faut que le commerce international serve le développement national, et non l’inverse.
Ibrahima Coulibaly et Henri Rouillé d'Orfeuil