Cinq grandes tendances influencent de plus en plus nettement les perspectives de développement en matière d’alimentation et de nutrition sur le continent africain. Ensemble, elles dessinent un avenir incertain pour les marchés agroalimentaires.
Première tendance : l’urbanisation galopante. La population urbaine croît à un rythme effréné en Afrique subsaharienne. Selon les estimations, les villes devraient accueillir plus de la moitié de la population totale d’ici une dizaine d’années. De 1950 à nos jours, la proportion de citadins est passée de 14 % à 40 %. La pauvreté est un problème énorme dans les villes africaines. Selon les Perspectives économiques en Afrique (publiées par la Banque africaine de développement, l’Organisation de coopération et de développement économiques et le Programme des Nations Unies pour le développement), 62 % de la population urbaine d’Afrique subsaharienne vit dans des bidonvilles. Les populations pauvres en milieu urbain doivent faire face à des difficultés considérables, comme les risques alimentaires et sanitaires liés aux mauvaises conditions de vie et à la surpopulation.
Deuxième tendance : la pénétration des supermarchés. Les citadins font de plus en plus leurs achats dans les commerces de détail, bien que certains produits alimentaires soient toujours achetés sur les marchés ou dans la rue. Les consommateurs urbains de la classe moyenne, qui connaissent une hausse de leurs revenus, préfèrent aussi acheter des aliments plus riches en nutriments et en vitamines : légumes, légumineuses, produits laitiers, volaille, œufs et poisson. Ils préfèrent faire leurs achats dans des supermarchés, que ce soit par facilité ou pour des raisons de soi-disant sécurité alimentaire. Les petits exploitants ont des difficultés à vendre leurs produits aux supermarchés s’ils ne peuvent satisfaire aux critères de quantité et de qualité. D’autres producteurs livrent à des supermarchés dans le cadre de contrats agricoles.
Troisième tendance : le changement de régime alimentaire. Dans les villes, les gens ont tendance à exercer plusieurs emplois à la fois et à dépendre davantage des denrées achetées en magasin. Au lieu de consommer des aliments de base traditionnels et des racines amylacées (manioc, igname), ils consomment de plus en plus de produits importés et transformés. L’urbanisation rapide a également modifié les habitudes alimentaires, entraînant une demande croissante de produits de base importés, en particulier le blé et le riz, mais aussi la pomme de terre. L’ingestion de sucre, d’acides gras trans et de sel augmente donc globalement, car les régimes alimentaires contiennent davantage d’aliments transformés, de plats préparés et de boissons gazeuses.
Quatrième tendance : le triple fardeau de la malnutrition. L’augmentation des maladies non transmissibles liées au régime alimentaire est due à la coexistence des facteurs suivants : sous-alimentation chronique (retards de croissance, émaciation), déficiences en micronutriments (principalement en fer, en zinc et en vitamine A) et augmentation du surpoids et de l’obésité. Les personnes défavorisées qui n’ont qu’un accès limité à une nourriture saine et à un régime équilibré seront plus exposées aux risques de sous-alimentation et de surpoids tout au long de leur vie. En Afrique subsaharienne, 28 % des enfants de moins de 5 ans sont en insuffisance pondérale modérée ou grave et 38 % d’entre eux enregistrent un retard de croissance. Ces chiffres n’ont pas changé de façon significative depuis 1990. Pendant ce temps, la prévalence globale de l’obésité a doublé depuis 1980 dans les pays africains.
Cinquième tendance : la facture des importations alimentaires à la hausse. L’Afrique dépense actuellement 35 milliards de dollars en importations alimentaires. Selon les estimations, les importations atteindront 110 milliards de dollars d’ici 2025. Le continent importe environ 28 % de ses besoins en calories. Les principaux produits importés sont le blé (58 % des besoins), le riz (41 %) et les huiles (54 %). Plus de 40 % des articles vendus dans les supermarchés sont importés. Les aliments locaux sont produits loin des centres de consommation urbains et le coût du transport local est parfois plus élevé que celui du fret international. De surcroît, les taux de change surévalués ont tendance à favoriser les importations par rapport aux achats locaux.
Ces cinq grandes tendances dessinent un avenir incertain pour les marchés agroalimentaires africains. Alors que la demande urbaine en produits importés et transformés augmente rapidement, les producteurs locaux ne peuvent répondre que partiellement à ces opportunités. Les liens entre producteurs et commerçants demeurent relativement faibles et le changement de régime alimentaire observé aura plutôt tendance à se traduire par une augmentation des importations.