Traçabilité numérique
En 2013, les normes strictes appliquées aux exportations vers l’Union européenne ont engendré une hausse du nombre de produits rejetés en provenance du Kenya. Un système de traçabilité numérique aide à reconstruire le secteur, en assurant une responsabilité précise, du champ à l’exportation.
Plus de 3 000 cultivateurs kényans de fruits et légumes sous contrat pour l’exportation – petits exploitants pour la majorité d’entre eux – ont adopté un système numérique dans le cloud qui suit les produits de la ferme à l’assiette, ce qui assure la responsabilité vis-à-vis des consommateurs tout en réduisant les produits non conformes à l’export. Connue sous le nom de Système national de traçabilité de l’horticulture (National Horticulture Traceability System), l’innovation a été introduite par le ministère de l’Agriculture avec le soutien financier de l’USAID en septembre 2016. L’objectif était de rétablir la confiance dans les exportations du Kenya sur les marchés internationaux, où les normes de production alimentaire deviennent de plus en plus rigoureuses.
Ce système a été mis au point à la suite d’une vague d’interceptions de produits kényans aux frontières de l’Union européenne en 2013 et de l’annulation consécutive de diverses importations – les haricots verts et les petits pois, en particulier, contenaient des taux élevés de résidus de produits agrochimiques et de pesticides. Faute d’avoir tenu compte des nombreux avertissements de l’Union, vers laquelle il exporte 80 % de ses produits horticoles, le Kenya a été frappé par un ordre d’inspection obligatoire de 10 % des arrivages de haricots verts et de petits pois à tous les points d’entrée. “Ce fut l’un des moments les plus dommageables pour le secteur horticole”, explique Jane Ngige, PDG du Conseil kényan de l’horticulture. “Au moins 10 % de nos produits devaient être contrôlés. Les conséquences financières se sont avérées colossales car nos exportateurs ont été contraints de payer pour ces inspections.”Résultat, au cours de cette seule année, 50 % des petits agriculteurs kényans ont perdu leur emploi à la suite de la résiliation de leur contrat avec les exportateurs, et le secteur horticole a perdu 29 millions d’euros en coûts de test des pesticides.
Le système de traçabilité est capable de stocker les données d’un million d’agriculteurs et comprend trois éléments : une application mobile qui enregistre les données des agriculteurs et des opérations agricoles, un portail web permettant l’échange d’informations entre les acteurs du secteur, y compris les instances de régulation, et une fonction d’impression de codes-barres qui, lorsqu’ils sont scannés, donnent accès à toutes les informations stockées concernant le produit et l’agriculteur concerné.
Dès qu’un agriculteur livre des produits à un point de collecte, le système enregistre ses données – y compris le nom, la localisation de la ferme, les intrants utilisés et les informations sur la plantation et la récolte. Le système saisit ensuite les données du produit fourni, dont sa qualité au moment de la livraison. Le processus crée ainsi une étiquette contenant un code unique et traçable, apposé sur chaque lot de produits. L’ensemble de ces données est automatiquement mis à jour sur le portail web, où elles sont stockées et peuvent être consultées à tout moment.
Le système a également permis aux agronomes, qui se rendent chez les agriculteurs pour suivre leurs activités agricoles, de réduire leur temps de visite et leur charge de travail. Auparavant, ils passaient en moyenne deux heures dans chaque ferme pour consigner les données sur des fichiers papier et encoder les informations dans le système à la fin de chaque journée. Désormais, les visites ne durent qu’une vingtaine de minutes et les données sont téléchargées directement dans le système. Le nombre d’exploitations qu’un agronome peut couvrir en une journée a donc triplé et sa capacité à identifier les problèmes de production, comme la surutilisation des pesticides, s’est améliorée.
“La traçabilité est une question de responsabilité et de transparence”, explique Steve New, responsable de la Kenya Agricultural Value Chain Enterprise, qui a soutenu le programme en organisant le déploiement de l’application auprès des agriculteurs. “Nous avons développé ce système pour nous assurer de pouvoir localiser facilement, rapidement et précisément un problème chez le producteur concerné tout en garantissant aux marchés notre engagement à respecter les bonnes pratiques agricoles tout au long de la chaîne de valeur.”
Patrick Kirimi, petit exploitant agricole qui cultive des haricots verts pour l’exportation depuis huit ans, a été parmi les plus touchés par les interceptions de 2013. “Un jour, on nous a dit que nos produits ne seraient plus exportés parce qu’ils contenaient beaucoup de produits chimiques”, se souvient-il. Par la suite, Patrick Kirimi a adhéré au système de traçabilité par l’intermédiaire d’un groupe d’agriculteurs auquel il appartenait. “Le projet m’a immédiatement enthousiasmé – surtout lorsque nous avons appris que chaque agriculteur était responsable de ce qu’il cultivait et qu’il serait tenu responsable individuellement au cas où le produit était de mauvaise qualité. Cela signifie aussi que je peux facilement surveiller mes produits au fil de leur croissance pour m’assurer qu’ils répondent aux normes internationales.”
Selon Jane Ngige, le système a réduit les interceptions de plus de 90 %, un progrès attribuable à l’ouverture de toute la chaîne de valeur de la filière aux acheteurs, qui sont désormais en mesure de suivre la façon dont les aliments sont cultivés et acheminés jusque chez eux.