Innovation
Dans les pays ACP, l’utilisation d’appareils connectés entre eux en est encore à un stade expérimental. Néanmoins, les projets se multiplient et la tendance mondiale montre que cette technologie offre des opportunités de développement incontournables.
L'Internet des Objets (IdO), qui définit l'interconnexion des équipements, en est encore à ses balbutiements en Afrique, dans les Caraïbes et le Pacifique. C’est d’autant plus le cas dans le secteur agricole et le monde rural où la pénétration des technologies de l'information et de la communication (TIC) est généralement plus faible que dans d'autres secteurs d'activité. En revanche, une tendance lourde existe bien ailleurs dans le monde, notamment dans l'Union européenne et plus encore aux États-Unis. Selon une étude de la multinationale européenne Schneider Electric, “au cours des vingt dernières années, plus de 3 milliards de personnes sont devenues connectées via leur ordinateur, leur tablette ou leur smartphone. Au cours des cinq prochaines années, 50 milliards d'articles (ou “objets”) seront connectés à Internet et partageront des données en continu”.
Dans les pays ACP, l’IdO en est encore à une “phase expérimentale”, souligne Ken Lohento, coordinateur de programmes TIC au CTA, mais ces régions du monde devraient elles aussi connaître un développement important de cette technologie. Thomas Chalumeau, directeur de la stratégie et du développement chez Orange au Proche-Orient et en Afrique, soulignait ainsi, dans un document publié en 2017 : “Les connexions émanant des objets connectés augmentent de plus de 30 % par an en Afrique depuis 2015. […] Chez Orange, nous estimons qu’il existe un potentiel de commercialisation de plus de 12 millions de cartes SIM machine-to-machine (M2M) d’ici 2020. Ces cartes SIM font communiquer des objets électroniques (alarmes, voitures, compteurs…) avec des serveurs informatiques ou entre eux. […] Dans l’agriculture, les capteurs à distance peuvent surveiller la croissance des cultures, l’humidité du sol et les niveaux des réservoirs d’eau. Les capteurs sur les équipements aident les fermiers à gérer leurs véhicules, réduisent le temps d’utilisation des tracteurs ainsi que la consommation de carburant. À terme, les agriculteurs s’appuieront sur des drones ou des tracteurs connectés pour surveiller la qualité de l’eau, identifier la date optimale de récolte, etc.”
La lente pénétration du monde rural
Cela prendra néanmoins du temps. “De façon générale, je pense qu'il n'y aura pas de saut technologique brutal comme on a pu le connaître dans la téléphonie mobile en Afrique, car l'agriculture est un secteur où l'adoption de la technologie est plutôt lente parce qu'on est confronté à des facteurs sociologiques, technologiques, financiers”, explique Ken Lohento. “La plupart des acteurs, notamment les paysans, se heurtent à plusieurs difficultés dans les milieux ruraux : l'électricité, les infrastructures, les télécommunications mais également le pouvoir d'achat qui est faible. Nombre de petits agriculteurs ne sont pas solvables et n'ont pas les moyens financiers pour adopter ce genre de technologies. La téléphone mobile, elle, ne coûte pas cher et c'est pour ça qu'il y a eu un grand saut à ce niveau.”
Ce qui fait dire aussi à l'expert du CTA que la pénétration des TIC, en particulier de l’IdO, se fera de façon très sélective. Les pays africains économiquement les plus avancés, comme l'Afrique du Sud, en seront dotés plus vite et largement, Ainsi, début 2017, l'entreprise de téléphonie mobile Vodafone, en collaboration avec la GIZ allemande et la société de conseil Manstrat Agricultural Intelligence, ont investi 1,4 million d’euros dans une plateforme de l'“Agriculteur connecté” avec un logiciel pour le téléphone mobile et pour le cloud, afin de relier des milliers de petits fermiers en Afrique du Sud à la chaîne de valeur agricole, leur ouvrant les portes de l'information, des services et des marchés et leur permettant d'être inclus dans la boucle de l'approvisionnement alimentaire.
Des avancées considérables – souvent à titre expérimental – existent néanmoins dans des pays comme le Ghana, le Kenya, le Nigeria, le Rwanda, le Sénégal et, dans une moindre mesure, la Côte d'Ivoire. Parmi les plus importants, WAZI UP est un programme lancé début 2016, financé par l’Union européenne et coordonné par l'italien Create-Net, incluant 12 partenaires venant de quatre pays d’Afrique (Burkina Faso, Ghana, Togo et Sénégal) et d'Europe (Allemagne, France, Italie et Portugal). Au Ghana, par exemple, deux fermes aquacoles, une petite et une grande, Lazarus Farms et Kumah Farms, cultivant des tilapias et des poissons-chats, ont été connectées afin d'être informées en temps réel de la qualité de l'eau de leurs bassins, qui affecte directement la croissance et la santé des poissons, et par conséquence les rendements et les revenus des éleveurs. Les deux fermes ont ainsi réduit certaines pertes et augmenté leurs bénéfices.
Le Kenya en pointe
Le Kenya est sans doute l’un des pays les plus actifs et précurseurs en matière d'IdO. UjuziKilimo fait souvent parler d’elle en proposant au monde agricole son système analytique de mesure des caractéristiques des sols grâce à des capteurs, ce qui permet d'envoyer des conseils par SMS aux agriculteurs. De son côté, l’entreprise Illuminum Greenhouse met en place des serres utilisant des panneaux solaires et des capteurs afin de contrôler et de maintenir des conditions optimales de production agricole, notamment grâce à des kits automatisés d'irrigation au goutte-à-goutte qui fournissent exactement la quantité d'eau dont la plante a besoin à un moment donné. Autre initiative intéressante : dans le cadre du projet EZ-Farm, IBM Research a installé dans un certain nombre de fermes des capteurs pour collecter des informations sur le niveau d'eau des réservoirs, le taux d'humidité dans les sols, le niveau de photosynthèse des plantes. “Ces données sont acheminées en toute sécurité à la Fondation IdO. Là, un moteur analytique au sein d’IBM Bluemix mesure l’état de santé de la plante et identifie des schémas d'utilisation d'eau, puis des enseignements sont retransmis aux agriculteurs impliqués via une application sur une tablette ou un smartphone”, explique Kala Fleming, manager Eau, agriculture et santé chez IBM Research.
Des filières plus avancées que d'autres
D’après Ken Lohento, la pénétration de l’IdO se fera plus rapidement dans les filières d'exportation, plus exposées et perméables aux nouvelles technologies que les fermes se consacrant aux cultures de subsistance. En l’occurrence, la filière élevage est en avance. “C'est un secteur dans lequel on utilise déjà l'IdO, notamment avec la puce Radio fréquence identification (RFID), qui permet de savoir quand la gestation peut être accélérée ou quand la bête a besoin de tel type de produit pour s'alimenter”, explique l'expert du CTA. Une piste à suivre pour le reste du secteur agricole du continent.
Élevage : la puce RFID précurseur de l'IdO
Le recours à la puce RFID, qui utilise des champs électromagnétiques pour suivre et identifier des objets ou des animaux, se généralise en Afrique et, depuis plusieurs années, avec un usage technologique plus ou moins poussé, allant parfois jusqu'à l'IdO. Ainsi, dès 2010, le Sénégal a lancé son programme d'identification par puce des chevaux et des ânes. L’année dernière, on en a ainsi recensé 27 000.
Au Nigeria, la compagnie sud-africaine de téléphonie MTN a lancé en 2016 un projet de “puçage” du bétail, permettant d‘identifier et d'améliorer la traçabilité des animaux, ouvrant ainsi des opportunités d'exportation.
Au Kenya, la pratique déjà assez largement répandue a franchi une étape lorsqu'en août dernier l'américain RippleNami a été sélectionné par la Banque centrale du Kenya et l'association des vétérinaires pour créer une plateforme blockchain de visualisation en temps réel de la cartographie de la filière élevage en intégrant des données (Pour plus d’informations sur les blockchains, lire Innovation numérique : La révolution annoncée des technologies blockchain.) “La capacité à visualiser géographiquement l'enregistrement des animaux, les fermes, les exploitations, les locaux et les troupeaux nous permet d'identifier les zones à risques, de créer des zones libres de toutes maladies et d'assurer la traçabilité du bétail pour la sécurité du commerce et de l'alimentation. La garantie d'être en possession du bétail permettra à l'éleveur d'obtenir un meilleur prix pour ses bêtes et d'emprunter pour assurer sa croissance”, a expliqué Kahariri Samuel, président de l'Association des vétérinaires du Kenya.