Les nouvelles plateformes basées sur la blockchain mettent les agriculteurs en contact avec un grand nombre d’acheteurs. Elles leur assurent un paiement automatique et un meilleur accès au financement.
Les contrats intelligents reposant sur la blockchain peuvent transformer le commerce des produits agricoles de base en instaurant un climat de confiance entre les acheteurs et les vendeurs, en encourageant les banques à financer les transactions et en donnant aux agriculteurs les moyens d'obtenir un prix équitable pour leurs produits. Les entreprises de technologie, les banques et les bourses de produits de base ont déjà investi dans une multitude de plateformes et de projets agricoles pilotes dans les pays ACP.
La technologie des registres distribués (voir encadré) trouve de nombreuses applications théoriques dans le domaine du commerce et du financement des produits agricoles de base, explique Max Mattern, auteur d'un récent document du CGAP. En permettant à plusieurs parties de visualiser les actifs agricoles, cette technologie introduit de la transparence dans le commerce des produits de base. Elle permet de convertir les transactions portant sur ces actifs au format numérique, de sorte que ces transactions puissent être utilisées à titre de garantie pour les prêteurs. Les contrats intelligents permettent également de transférer automatiquement la propriété des actifs en cas de défaillance. Les registres peuvent par ailleurs être utilisés pour suivre et tracer l’origine et l’expédition des produits, de même que pour générer et stocker les données des acheteurs et des vendeurs relatives au crédit et améliorer ainsi l’accès au financement, souligne Max Mattern.
La Sterling Bank fait équipe avec Binkabi
En 2018, la start-up nigériane Binkabi s'est associée à Afex, la bourse locale de produits de base, et à la Sterling Bank afin de créer un système de négociation automatisé et basé sur la blockchain. Après avoir déposé leurs récoltes dans les entrepôts d’Afex, les agriculteurs reçoivent un récépissé attestant leur propriété. Ce “reçu” est converti en un jeton numérique qui permet aux agriculteurs de vendre, sur la plateforme de Binkabi, leurs produits à un groupe élargi d’acheteurs qui effectuent les paiements auprès de la Sterling Bank. La banque accepte aussi les jetons à titre de garantie pour des prêts d’un montant entre 50 et 70 % de la valeur de la production des agriculteurs.
La Sterling Bank s'est engagée à dégager au moins 10 milliards de nairas (24,1 millions d'euros) pour financer des cultures telles que le maïs, le riz et le soja via la plateforme Binkabi. C'est la première fois que la banque accepte de consentir des prêts sur la seule base de récépissés d’entrepôt. Ceci s’explique en partie par la certitude offerte par les contrats intelligents basés sur la blockchain, qui sont automatiquement annulés en cas de défaillance d'une partie, le jeton étant restitué au vendeur.
Comme l’explique Quan Le, fondateur et PDG de Binkabi, après la récolte, les agriculteurs, qui sont dans l’obligation de rembourser le financement reçu pour les intrants, cherchent souvent à vendre au plus vite. Les vendeurs sont alors plus nombreux que les acheteurs, ce qui tire les prix à la baisse. Avec un accès à un financement initial, les agriculteurs peuvent attendre que le prix de leurs produits entreposés remonte.
Si les courtiers perçoivent souvent une commission de plus de 5 % de la valeur de la vente, le taux de lancement de Binkabi est de 1,25 %, supporté de manière égale par l’acheteur et le vendeur. Grâce au récépissé électronique, les acheteurs et les prêteurs sont certains de ne faire aucun paiement et de ne consentir aucun prêt sur des produits déjà vendus.
Plus de 100 agriculteurs ont rejoint la plateforme Binkabi depuis le lancement du projet pilote avec Afex, en décembre 2018. Binkabi s'est aussi associée à la société locale d'engrais TAK Agro pour l'aider à acquérir une licence pour une autre bourse de produits agricoles qui sera gérée sur la même plateforme. Selon Quan Le, le montant total des transactions sur la plateforme atteindra entre 4,4 et 8,8 millions d'euros cette année. La phase de déploiement prendra toutefois un certain temps.
Un développement rapide pour la plateforme Agrikore
Des contrats intelligents sont aussi utilisés par le fournisseur de paiements numériques Cellulant, grâce à sa plateforme Agrikore. Cofondateur et PDG de Cellulant, Bojaji Akinboro explique : les acheteurs rédigent des contrats à l’aide d’un contrat-type Agrikore et s’engagent à payer un certain montant pour une quantité déterminée d’un produit agricole donné. Ces contrats sont ensuite publiés et portés à la connaissance des agriculteurs qui peuvent alors s’engager par SMS à honorer les contrats de leur choix. Comme les acheteurs financent les contrats à l'avance, les vendeurs sont automatiquement payés une fois la livraison effectuée. Les entreprises de logistique, les entrepôts, les assureurs et les banques peuvent s’engager au titre du même contrat intelligent.
Lors des deux premiers mois suivant son lancement à l’échelle pilote, en novembre 2017, la plateforme Agrikore a facilité les échanges agricoles à hauteur de 1,7 million d’euros. Ce chiffre a grimpé à près de 17,5 millions d'euros en 2018, car les agriculteurs et les acheteurs clés, comme Olam Nigeria, se sont rapidement familiarisés avec cette technologie. Agrikore veut franchir le cap des 262 millions d’euros en 2020. D’ici là, d’autres banques auront rejoint la plateforme. Deux banques en sont déjà aux négociations finales.
Dépasser l’effet de mode
Toutefois, il convient de ne pas se laisser aveugler par l’effet de mode et d’identifier aussi les limites de l’utilisation de la blockchain dans le commerce des produits de base, met en garde Max Mattern. Les litiges concernant la qualité des produits livrés nécessiteront toujours un règlement externe. Cependant, la technologie va évoluer et permettre de s’attaquer à des problèmes plus “concrets” à mesure que les gouvernements mettront en place des cadres juridiques et réglementaires dans ce domaine. Ce n’est qu’alors que le potentiel de la blockchain dans le commerce des produits agricoles de base pourra être pleinement exploité, conclut-il.
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La technologie des registres distribués, mode d'emploi
Les transactions économiques à l’échelle mondiale ont toujours nécessité des registres qui enregistrent les contrats, les paiements ou la propriété des actifs. Jusqu’il y a peu, ces données étaient consignées sur papier. Elles pouvaient être volées, disparaître ou être enregistrées plusieurs fois. La technologie de la blockchain permet de distribuer un registre ou une base de données décentralisée entre plusieurs participants qui ont accès aux données enregistrées et en possèdent une copie identique. Toutes les modifications apportées au registre sont copiées en temps quasi réel, ce qui accélère les transactions, la signature ou le règlement des contrats. Les données sont stockées avec précision et en toute sécurité à l’aide de la cryptographie, ce qui réduit le risque de cyberattaque ou qu’une entité modifie les données à l’insu des autres participants. Le registre distribué ne peut être modifié qu’avec l’accord de tous les participants. Les actifs peuvent donc être enregistrés, certifiés et transférés sans que l’intervention d’une autorité centrale soit nécessaire.