Tendances
Les transferts d'argent vers les pays d'origine n'ont cessé d'augmenter depuis dix ans. Avec le soutien des gouvernements et une législation favorable, l'agriculture peut bénéficier de cet apport financier considérable et de l'expertise de la diaspora.
En 2007, l’Afrique recevait 37,3 milliards d’euros de ses ressortissants vivant à l’étranger. Dix ans plus tard, 51 milliards d’euros transitent vers le continent, soit une hausse de 36 % des transferts, d’après un rapport du Fonds international de développement agricole (FIDA). Pour 19 pays africains, les sommes reçues de la diaspora représentent plus de 3 % de leur PIB. Dans certains cas, ces flux financiers atteignent des proportions considérables : 31 % du PIB du Liberia, 22 % pour la Gambie. 20 % pour les Comores, 18 % pour le Lesotho et 14 % pour le Sénégal. Cela dit, quelle part de ces sommes est investie dans l’agriculture et des projets d’agrobusiness ?
“Les données montrent que les familles dépensent l’argent envoyé par la diaspora d’abord dans les secteurs de première nécessité : la nourriture, les vêtements et, ensuite seulement, l’éducation et la santé. Finalement, certaines achètent des terres, d’autres améliorent des fermes ou leur équipement agricole”, indique Sonia Plaza, spécialiste de la diaspora à la Banque mondiale. Le Kenya, le Nigeria, le Sénégal et l’Ouganda sont les principaux pays où l’argent de la diaspora sert à l’achat de terres.
Pedro de Vasconcelos, coordinateur pour le FIDA du programme de soutien aux virements de la diaspora (Financing Facility for Remittances, FFR), nuance : “Bien qu’on estime que les fonds utilisés à des fins agricoles dans les zones rurales sont relativement faibles – 5 % du total des fonds transférés par la diaspora –, ils représentent quatre fois l’aide publique au développement (official development assistance, ODA) destinée à l’agriculture.”
Aide institutionnelle
Cela se traduit par des initiatives à petite échelle, comme avec Shadreck Benati, installé en Afrique du Sud et membre d’un groupe de soutien aux petits agriculteurs de sa région d’origine, au Malawi. Le jeune homme envoie régulièrement de l’argent à ses frères afin que ceux-ci achètent des intrants. En retour, ces derniers vendent une partie de leur récolte de légumes et utilisent les bénéfices pour améliorer le quotidien de la famille, envoyer les enfants à l’école ou aller chez le médecin.
Avec une aide institutionnelle, l’apport de la diaspora peut avoir un impact plus important. Au Somaliland, un État autoproclamé indépendant de la Corne de l’Afrique, le climat aride et l’accès difficile au financement rendent la contribution de la diaspora indispensable à la survie des populations rurales. Le Somali AgriFood Fund – un partenariat entre le FIDA, l’initiative à but non lucratif Shuraako et l’organisation BiD Network – a mis en place un modèle d’investissement agricole impliquant la diaspora à hauteur de 20 % minimum du budget total. L’entreprise de fruits et légume Barwaaqo Marketing and Catering Services Company a ainsi pu, avec un fonds d’investissement de 83 500 € réunis en majorité par la diaspora, un investisseur local et le FIDA, acquérir un système d’irrigation à énergie solaire, une chambre froide supplémentaire, et mieux équiper ses membres. Entre 2016 et 2017, sa production a augmenté et sa distribution a été étendue à de nouveaux marchés. De 2 800-4 250 € de revenus par mois, la coopérative est passée à 14 200-28 400 €. Au final, 72 emplois ont été créés.
Dans les pays ACP, les gouvernements tentent souvent d’attirer leurs concitoyens de l’étranger, pas seulement pour leur argent.
Le Kenya a ainsi effectué un premier pas en direction de la diaspora en 2014 en publiant un document général – Diaspora policy – énumérant les efforts à produire sur le plan des démarches administratives, des transferts de fonds ou de la disponibilité de données sur les marchés afin de faciliter la participation de la diaspora au développement du pays. De son côté, l’Éthiopie simplifie l’obtention de permis de séjour de longue durée pour les personnes d’“ascendance éthiopienne” et allège les taxes sur l’importation de matériel industriel. Depuis quelques années, l’Ouganda réitère ses appels à la diaspora à investir dans l’agriculture afin de développer l’industrie du pays.
Cet appel a été entendu par Andy Agaba, basé à Cambridge, aux États-Unis, et fondateur en 2012 de Hiinga Inc. et Bantu Coffee, deux entreprises sociales tournées vers l’agriculture. La première fournit des financements à des coopératives et des caisses rurales de crédit dans plus de huit districts et est devenue une référence nationale dans le secteur. Quant à Bantu Coffee, elle reverse les bénéfices de ses ventes de café à des communautés rurales et est la seule marque africaine à défier les marques américaines de café aux États-Unis. Au départ, Andy Agaba ambitionnait de connecter le marché ougandais au monde.
Autre exemple de réussite, au Kenya : établi aux États-Unis depuis 2008, Tony Kiragu, vétérinaire de métier, s’est lancé en 2014 dans une ferme de volaille – Kuku Nature Farm – à Naivasha, au nord-ouest de Nairobi. Son incubateur mène à terme 50 000 œufs en trois semaines, pour une valeur marchande de 67 000 € et permet de fournir en poulets les éleveurs de la région. Fort de ce succès, Tony Kiragu s’est réinstallé au Kenya en 2015.
Tous deux insistent : les opportunités d’investissement dans l’agriculture sont nombreuses, à condition d’avoir un capital et un environnement favorable.
Des investisseurs à part
Dans les Caraïbes, le gouvernement de la Jamaïque peut compter sur une diaspora organisée. Une task force a ainsi été mise en place spécifiquement pour l’agriculture. “L’engagement de la diaspora en Jamaïque est prolifique dans d’autres domaines de développement, par exemple l’éducation et la santé. Il y a une opportunité pour la diaspora de jouer un rôle actif dans le secteur agricole”, affirme Kimone Gooden, à la tête de l’Agriculture task force dont l’essentiel des membres vit aux États-Unis. “Il y a moins de dix agriculteurs certifiés biologiques dans le pays. Nous voulons aider les agriculteurs à comprendre l’opportunité de pénétrer un marché à 0,83 milliard d’euros, sans compter les bénéfices pour la santé et l’environnement. Nous organisons donc des ateliers pour aider les agriculteurs à obtenir la certification et les mettre en contact avec les marchés.”
Pour la diaspora, l’agriculture représente un marché intéressant, soutient Pedro de Vasconcelos, parce qu’investir dans ce secteur permet “d’assurer la sécurité alimentaire et la protection de leurs familles dans les pays d’origine, ou bien d’accroître les profits générés sur les marchés agricoles grâce au commerce domestique ou étranger”.
La diaspora représente une catégorie d’investisseurs à part, indique le FIDA, dans une note de travail sur le Sénégal et le Maroc : ils sont attachés à leur territoire, ils acquièrent des connaissances à l’étranger et savent mobiliser des partenaires financiers ou techniques. Quand elle n’envoie pas des fonds aux familles, la diaspora investit de deux façons : directement, à titre individuel ou collectif, dans des projets de développement économique dans les régions d’origine, ou bien indirectement, sous la forme d’une épargne au profit des familles sur place. Dans tous les cas, les objectifs à long terme sont variés : retour au pays, commerce avec le pays d’accueil, complément de revenus…
Reste que la diaspora bute souvent sur les mêmes obstacles : manque d’informations et de données sur les filières ainsi que sur les procédures de création d’une entreprise, accès difficile aux financements, manque d’infrastructures de base comme l’électricité ou les routes. “Pour que les gens de la diaspora s’impliquent, il faut faire appel à leur expérience, leur formation, soutenir les jeunes… Surtout pour quelqu’un qui n’a pas été dans son pays pendant des années”, résume Nii Simmons, fondateur de DAIN Network, une entreprise de conseil en agrobusiness. “Ceci dit, les opportunités d’investissement sont bien plus grandes que les défis.”