Agriculture de précision
Les technologies intelligentes et les méthodes de pointe pour la collecte de données font chuter le coût de l’agriculture de précision, dopent les rendements des cultures et aident tous les agriculteurs, depuis les petits exploitants jusqu’aux géants commerciaux.
À l’échelle mondiale, il devient urgent de trouver de meilleures méthodes de production alimentaire, pourtant on dénombre pas moins de 500 millions d’exploitations de 0,4 hectare de par le monde. “Le défi auquel le monde est confronté – qui ne concerne donc pas uniquement l’Afrique – est qu’il n’y a pas assez de nourriture pour assurer notre avenir à tous”, explique Marc Gower, responsable des dynamiques chez Microsoft Afrique du Sud. Dans ce contexte, comment arriverons-nous à doubler la production agricole pour nourrir une population estimée à 10 milliards d’ici 2050 ?
Casser le coût de l’agriculture de précision
Comme dans de nombreux secteurs, la technologie a acquis une place de premier plan dans les activités de l’agro-industrie. Selon BIS Research, une firme de recherche sur les marchés mondiaux, le marché de l’agriculture intelligente devrait atteindre une valeur de près de 21 milliards d’euros d’ici 2022. L’agriculture de précision consiste à rendre la production agricole plus efficace grâce à l’utilisation de la technologie. Des capteurs intelligents jusqu’à l’énergie solaire, en passant par les drones, l’intelligence artificielle et même les véhicules autonomes, l’adoption de l’agriculture de précision permet de prendre des décisions plus éclairées.
L’apprentissage automatique joue un rôle clé pour réduire les coûts de l’agriculture de précision. En appliquant l’intelligence artificielle à des algorithmes, Microsoft peut prévoir comment un sol réagira dans différentes conditions. Il y a quelques années, 30 capteurs différents auraient été nécessaires pour collecter ces informations sur une parcelle. Aujourd’hui, grâce aux algorithmes intelligents, Microsoft peut, à l’aide d’un seul capteur, recueillir des données équivalentes sur des zones beaucoup plus vastes. En d’autres termes, les agriculteurs peuvent maintenant exploiter des champs très étendus comme s’il s’agissait d’un groupe de petites parcelles, grâce aux technologies d’observation, de mesure et d’apprentissage automatique en temps réel, ce qui a pour effet d’augmenter l’efficacité des cultures et de la ferme et, en fin de compte, de casser les coûts supportés par les petits exploitants.
“Cette dynamique commence à faire baisser considérablement le coût de l’agriculture de précision”, explique Marc Gower. “Une fois que nous commençons à collecter de plus en plus de données des capteurs et que nous y appliquons l’intelligence artificielle, nous finissons par pouvoir nous passer tout à fait du capteur et n’utiliser que quelques points de données pour prévoir avec précision les variables agricole clés.”
Des drones et des données
Les drones aussi sont à même de changer le visage de l’agriculture de précision et devenir des outils essentiels pour la capture des données agricoles. Aerobotics, une entreprise établie au Cap, utilise un logiciel pour drone spécifiquement conçu pour les exploitations forestières et viticoles qui avertit les agriculteurs dès les premiers signes d’une présence de nuisibles ou de maladies, ce qui leur permet de minimaliser les dommages potentiels. En utilisant la technologie des drones, cette entreprise a recueilli des informations sur plus de 25 millions d’arbres à travers l’Afrique. “Compte tenu des données et des conclusions que nous pouvons produire concernant chaque arbre jusqu’à la canopée, d’une part, et du niveau élevé de coût et de perte impliqué par le remplacement d’un arbre à cause de nuisibles ou de maladies, d’autre part, nous estimons que notre technologie présente le plus grand intérêt pour les exploitations forestières et viticoles”, assure Benji Meltzer, cofondateur d’Aerobotics.
Aerobotics travaille maintenant à la création de modèles qui mettront les drones et l’agriculture de précision à la portée des petites exploitations par l’intermédiaire d’organisations plus vastes qui peuvent mettre des ressources en commun afin de rendre cette technologie abordable et modulable. Par exemple, des coopératives, des prêteurs et des banques commencent à utiliser Aerobotics, ses données et ses conclusions, pour prendre des décisions plus intelligentes quand il s’agit de financer des agriculteurs et des organisations ou d’assurer des cultures.
“L’agriculture est par nature un secteur orienté sur les données, et les agriculteurs comprennent que plus ils disposent de données précises sur leurs cultures, plus ils auront un bon rendement en fin de saison”, ajoute Benji Meltzer.
Le paysage digital de l'Afrique
Du haut débit de meilleure qualité ?
Pour assurer le développement des petites exploitations, il est essentiel de collecter des données sur les cultures (entre autres), mais l’agriculture de précision a besoin de connectivité. Même dans les pays les plus développés, l’accès au haut débit et aux technologies satellitaires est limité, coûteux et pas nécessairement possible pour tout le monde. Selon la Banque mondiale, il existe une “fracture numérique” évidente. La preuve : à peine 35 % de la population mondiale a accès à Internet.
Dans le but d’accroître l’efficacité de l’agriculture et de faciliter la vie des agriculteurs, tout en dopant la production agricole, Microsoft a lancé FarmBeats dans le cadre de la Plateforme d’agriculture numérique de l’entreprise en 2019. FarmBeats est une initiative qui étudie la façon dont ce géant mondial de la technologie peut faciliter la diffusion de l’agriculture de précision tant au niveau des communautés que des agriculteurs individuels. Avec FarmBeats, Microsoft utilise le TV White Space (TVWS) pour connecter les agriculteurs et leur équipement au cloud de Microsoft, lequel stocke et analyse les données et effectue des calculs pour offrir des informations cruciales qui leur permettent d’accroître leurs productions. Le TVWS est constitué par les vides que les réseaux de télévision laissent entre les canaux pour servir de zones tampons. Cet espace étant similaire à celui utilisé par la 4G, il peut aussi servir à diffuser à grande échelle l’Internet à haut débit.
Le haut débit peut traverser deux murs et connaît donc des limites, mais le TVWS peut parcourir jusqu’à 10 km à travers les bâtiments, la végétation et d’autres obstacles. Qui plus est, les téléphones, tablettes et ordinateurs peuvent tous profiter du TVWS pour accéder à l’Internet sans fil par l’intermédiaire de centrales fixes ou portatives. En bref, le TVWS peut servir à livrer des services Internet à haut débit abordables à tout endroit captant des émissions de télévision. Le TVWS est une forme de connectivité à Internet abordable, non soumise à licence et qui peut être déployée presque partout sans gros investissement d’infrastructure.
Des espaces non réglementés
Les pays africains ont été particulièrement critiqués par les défenseurs des fréquences TVWS pour leur sous-utilisation de ce système. Pourquoi ? Parce que le potentiel offert par le TVWS pour fournir des services Internet à haut débit au coût abordable jusque dans les zones les plus rurales nous permettra de réduire d’encore un cran la fracture numérique, qui empêche souvent les petits exploitants agricoles d’atteindre la rentabilité. “Dans toute l’Afrique, l’utilisation du TVWS se heurte à de lourdes contraintes en raison des obstacles législatifs”, constate Marc Gower. “C’est un chantier en cours mais [Microsoft] a des raisons de croire que nous surmonterons ces obstacles d’ici peu.”
Chaque pays a son propre ensemble de lois et de réglementations, ainsi qu’un organisme de contrôle qui doit légaliser l’utilisation par les agriculteurs de la largeur de bande non exploitée, mais la situation n’est pas si simple. Les entreprises de drones pour technologies agricoles, par exemple, rencontrent des défis similaires pour faire fonctionner et voler leurs drones.
“Pour cette raison, nous n’utilisons pas les drones nous-mêmes mais engageons un réseau de pilotes de drones dans le monde entier, qui pilotent ces appareils et capturent les données pour nous”, indique Benji Meltzer.
Cultiver dans le nuage
Toutefois, pour accéder aux données agricoles mondiales et appliquer des algorithmes intelligents à bon escient, les agriculteurs ont besoin d’une plateforme de connaissances facile d’accès. C’est là que l’informatique en nuage – ou cloud computing en anglais – entre en jeu. L'infrastructure dans le cloud élimine la nécessité d’un matériel informatique onéreux, ainsi que les complications et les coûts qui l’accompagnent. Cela signifie que même les plus petites exploitations peuvent accéder aux plateformes agricoles ultramodernes basées sur les données.
“Le cloud est un puissant facilitateur pour les petites exploitations. Alors que, par le passé, l’accès aux capacités informatiques massives était la chasse gardée de géants tels que IBM et Oracle, le cloud a ouvert ce domaine à tous les acteurs”, explique Kevin Derman, PDG de Kaskade.cloud, une société africaine qui aide les entreprises à évoluer vers le cloud. Selon Kevin Derman, il ne s’agit pas uniquement d'une question de puissance ou d’infrastructure informatique. “En combinant les données agricoles d’une parcelle avec celles d’autres petites exploitations de la même région, les données prennent subitement une signification concrète”, ajoute-t-il. “Les résultats obtenus peuvent alors orienter les décisions que tous les agriculteurs prennent dans la région. Ils peuvent influencer le choix des cultures à semer pour la saison suivante, leur régime d’apport d’engrais ou même le prix de vente de leurs produits.”
L’entreprise de technologies agricoles John Deere investit, dans le monde entier, des milliards de dollars dans l’agriculture de précision. Quand un agriculteur moissonne à l’aide d’une de ses machines, par exemple, des capteurs mesurent le rendement au même moment et transmettent cette information au cloud. Les données mondiales stockées dans la plateforme de cloud computing de John Deere proviennent donc d’exploitations de nombreux types différents.
La création d’un ensemble toujours plus vaste de données de référence permet aux fermes de toute taille d’exploiter les données de John Deere pour améliorer leurs pratiques agricoles. C’est là un moyen d’apprentissage mutuel qui permet ensuite de développer des solutions pratiques et spécifiques à l’exploitation – comme la prévision des rendements – pour doper les résultats.
Remettre les produits africains dans tous les rayons
Au Ghana, la société AcquahMeyer Drone Tech conçoit et fabrique des drones qui répondent à des problèmes spécifiques. “Pour l’instant, nous proposons des drones pulvérisateurs permettant de répandre des produits agrochimiques et un modèle de drone conçu pour effaroucher les oiseaux qui s’alimentent dans les cultures. Nous fabriquons aussi des drones équipés de capteurs multispectraux pour l’analyse des cultures et des sols”, explique Eric Acquah, fondateur et PDG d’AcquahMeyer.
Eric Acquah estime que les technologies telles que les drones feront revenir les jeunes Africains vers l’agriculture et remettront les aliments de leur continent dans tous les rayons. Son entreprise, avec l’appui du CTA, a déjà convaincu 480 agriculteurs d’utiliser sa technologie de drones. “Dans le temps, les denrées alimentaires africaines remplissaient les étagères des magasins discount en Europe, mais elles ont fini par en être bannies parce qu’elles ne répondaient pas aux normes de sécurité alimentaire du marché européen”, déplore Eric Acquah. En interprétant mieux les données des cultures, AcquahMeyer a réduit les quantités de pesticides répandues par les agriculteurs, tout en leur permettant d’obtenir de meilleurs rendements et d’améliorer la qualité générale de leurs cultures. “Nous aidons les agriculteurs à rendre leurs denrées exportables et à obtenir de meilleurs prix pour leurs produits”, se réjouit Eric Acquah.
L’application des technologies de précision pour offrir des solutions précises aux défis agricoles propres à l’Afrique aidera les petits exploitants à prospérer. À Kisumu, dans l’ouest du Kenya, l’entreprise Futurepump s’est donné pour mission de remplacer les pompes à eau fonctionnant aux hydrocarbures et de réduire la lourde charge de travail exigée par l’irrigation dans les petites exploitations.
Au Kenya, environ 70 % de l’irrigation est effectuée par irrigation de surface, 22 % par des asperseurs et seulement 8 % par irrigation goutte-à-goutte, bien que cette dernière technique réduise de 70 à 90 % la consommation d’eau comparativement aux méthodes de surface. Les pompes Futurepump d’irrigation à énergie solaire, efficaces et durables, sont spécialement conçues pour offrir aux petits exploitants une alternative durable pour leurs besoins d’irrigation, surtout en saison sèche, quand l’irrigation permet de substantielles augmentations de revenus et que les méthodes traditionnelles s’avèrent inefficaces, coûteuses et non durables.
“L’énergie solaire est abondante sous les tropiques, en particulier lors de la saison sèche, quand les cultures ont le plus besoin d’être arrosées. De ce point de vue, notre technologie est tout ce qu’il y a de plus rationnelle”, explique Helen Davies, directrice du marketing et de la communication chez Futurepump. “Le prix du PV [photovoltaïque] solaire a fondu au cours de la dernière décennie. Comme source d’énergie, les panneaux solaires sont maintenant assez bon marché pour offrir une solution viable à nos clients petits agriculteurs à faible revenu.”
La Futurepump est une pompe d'irrigation portative mais robuste, conçue pour les petits exploitants : facile à amener et à installer sur le terrain, elle peut alimenter à la fois des asperseurs et un système d’irrigation goutte-à-goutte. Une fois mise en place, elle fonctionne sans surveillance, ce qui laisse à l’agriculteur le temps de se consacrer à d’autres tâches. “Ces agriculteurs sont maintenant capables de produire des cultures de plus grande valeur sur leurs terres”, assure Helen Davies. “Nous avons déjà vendu plus de 6 000 pompes solaires à de petits exploitants, dont chacun subvient aux besoins d’une famille de six personnes, en moyenne.”
Illuminum Greenhouses exploite une technologie d’irrigation automatique connectée au téléphone du petit exploitant, ce qui lui permet de surveiller à distance sa production végétale. Selon Taita Ngetich, cofondateur et PDG d’Illuminum Greenhouses, l’âge moyen de l’agriculteur kényan est de 60 ans, une situation qui s’explique en grande partie par la teneur du discours tenu en matière d’agriculture. Comme beaucoup d’autres, Taita Ngetich croit que l’agribusiness a le potentiel, plus que tout autre secteur, de réduire la pauvreté et de dynamiser la croissance économique, mais aussi que la réalisation du potentiel de croissance de l’agriculture en Afrique a besoin d’innovation et d’une hausse considérable des niveaux de productivité, historiquement faibles. “Nous devons changer ce discours en utilisant les mécanismes et les outils que nos jeunes connaissent et comprennent. Nous devons intégrer la technologie dans toute la chaîne de valeur agricole et expliquer aux jeunes qu’ils doivent voir cette technologie comme une opportunité de faire des affaires et non comme une culture”, recommande-t-il.
L’agriculture, une affaire concrète avec des résultats concrets
En cette époque de modernité, les pratiques agricoles d’antan n’ont plus de raison d’être. La ferme à technologies intelligentes d’aujourd’hui est celle dont l’exploitant utilise les technologies pour collecter de meilleures données et conclusions sur le terrain et s’en sert pour prendre des décisions éclairées. Une ferme où l’on tire parti de solutions technologiques sur mesure pour répondre à ses besoins spécifiques. Ce sont ces décisions fondées sur des données qui rendent les méthodes agricoles plus efficaces, améliorent la qualité de chaque récolte et, au final, donnent un coup de fouet à la production agricole, transformant les petites exploitations en entreprises d’agribusiness commercialement florissantes.