L’évolution rapide des technologies mobiles permet aux agriculteurs isolés d’accéder aux informations et de les partager, même avec des téléphones portables de base. Le perfectionnement des connexions améliore l’accès des agriculteurs aux connaissances, marchés, services financiers et sanitaires et à des chaînes d’approvisionnement plus productives et transparentes.
Le développement des communications favorise des approches plus commerciales de l’agriculture car il permet aux producteurs de mieux évaluer les risques, accéder aux intrants, fixer les prix et décider quand vendre leurs produits. En outre – plutôt que d’agir individuellement – les agriculteurs connectés bénéficient de décisions stratégiques prises collectivement.Néanmoins, ce monde riche en informations n’est pas sans défis puisque les agroentreprises doivent faire face aux changements climatiques et à la volatilité des prix agricoles.Alors comment analyser la “connectivité” des agriculteurs ? On peut définir les agriculteurs comme étant connectés horizontalement les uns aux autres, verticalement aux autres acteurs ou globalement en tant qu’éléments d’un système intégrant le contexte et la complexité de ces connexions.Au cours des dernières décennies, les connexions étaient souvent linéaires et plutôt limitées. Les agriculteurs pouvaient recevoir des conseils en matière de vulgarisation, mais peu d’informations sur les marchés. La mise en place de coopératives et d’organisations de producteurs leur a permis de partager leurs expériences, d’agir en collaboration et de vendre collectivement, mais les connexions étaient plutôt passives et les échanges d’informations lents. Si les agriculteurs restent au bas de la chaîne d’information, il leur est impossible d’optimiser leur productivité et de mieux gérer leurs entreprises.Pour aider les agriculteurs à se connecter aux autres, les acteurs du développement ont mis l’accent sur l’accès à l’information et le renforcement des liens au sein de la chaîne de valeur afin d’améliorer les débouchés et les prix. Toutefois, pour faciliter la décision en fonction des risques climatiques et commerciaux et des opportunités de cultiver/élever le bon produit au bon moment et au bon prix, les agriculteurs ont besoin d’un accès immédiat à davantage de connaissances.
Passer au mobile
Avoir accès à des prévisions météorologiques fiables est essentiel pour les producteurs, pour prendre les bonnes décisions pour le calendrier de leurs activités agricoles, de la production à la récolte. Dans les tropiques, les prévisions les plus fiables ne sont toutefois précises qu’à 40 %. Le climat tropical est localisé et les modèles climatiques classiques n’ont pas réussi à offrir la précision dont les agriculteurs ont besoin. Toutefois, ISKATM – un nouveau service de prévisions météorologiques lancé en Afrique de l’Ouest et développé par l’entreprise suédoise Ignitia – propose des prévisions localisées par GPS pour les deux jours, le mois et la saison à venir, qui sont envoyées aux clients par SMS. Au cours de la première campagne agricole, en 2014, plus de 80 000 agriculteurs ghanéens se sont abonnés au service ISKA et 97 % d’entre eux ont renouvelé leur abonnement la saison suivante. Tandis que le taux de pénétration de la téléphonie mobile en Afrique de l’Ouest (à l’exception du Nigeria et du Mali) avoisine les 100 %, la plupart des producteurs n’ont que des téléphones de base. C’est pourquoi, pour plus de simplicité, le service de SMS d’ISKA utilise sept mots-clés en fonction des prévisions. “Les messages sont élaborés afin que les agriculteurs alphabètes comme analphabètes puissent en tirer des informations utiles après une très légère formation”, indique Lizzie Merrill, de la société Ignitia. Chaque prévision étant adaptée à la localisation GPS de l’agriculteur, ISKA enregistre un taux de réussite de 84 % par rapport aux prévisions globales. Les agriculteurs paient environ 0,035 € par jour pour ce service, qu’ils règlent par micro-versements à partir d’un compte mobile prépayé. “En traitant mes champs au bon moment, j’ai pu voir mes rendements augmenter de 40 %”, se félicite Stephen Andoh, un cacaoculteur de l’ouest du Ghana. Il ajoute : “Les prévisions météorologiques d’ISKA nous ont aidés, moi et les producteurs des environs, à prendre les bonnes décisions au bon moment. Nous avons eu beaucoup plus de pluie cette saison et les prévisions nous ont aidés à mieux protéger nos cultures.” Avec le déploiement prévu d’ISKA au Mali, puis en Côte d’Ivoire et au Sénégal, près de 1,2 million d’agriculteurs devraient pouvoir accéder au service d’ici fin 2017.Les SMS sont de plus en plus utilisés pour transférer l’information aux agriculteurs par le biais d’un vaste éventail d’applications mobiles. Mais Farmerline, une entreprise ghanéenne qui propose des services consultatifs aux petits producteurs et autres acteurs du monde rural, a adopté une approche différente. Son service communique des informations agricoles pertinentes (alertes météorologiques, meilleures pratiques agricoles, conseils financiers et prix du marché) par des messages vocaux en langues locales. Dans les zones rurales, où il est souvent difficile d’accéder aux services de vulgarisation, Farmerline fournit un contenu adapté aux conditions locales qui est traduit, enregistré et envoyé directement par messagerie vocale aux téléphones portables des agriculteurs.“Nous avons eu des difficultés avec la volatilité des prix, mais grâce à l’abonnement à ce service les producteurs peuvent maintenant plus facilement s’informer sur les marchés locaux”, déclare Nana Kwaku Siaw, qui pratique l’aquaculture. “Les agriculteurs ghanéens sont encouragés à se lancer dans la pisciculture pour fournir une source alternative de protéines à la population. Je peux maintenant accéder à l’information dont j’ai besoin sur ce qu’il faut faire et à quel moment.” En plus des messages vocaux, Farmerline dispose d’une équipe d’assistance qui répond aux questions des agriculteurs. À l’échelle régionale, l’entreprise assiste aussi les firmes agroalimentaires internationales, les gouvernements et les agroentreprises en matière de communication en gestion agricole, de collecte des données et de traçabilité afin d’assurer une meilleure gestion et connexion avec plus de 200 000 agriculteurs et acteurs des chaînes de valeur dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest.
De paysan à paysan
Les TIC sont de plus en plus importantes pour relier les producteurs et fournir des informations. Toutefois, les circuits traditionnels (audio, radio et vidéo) utilisés de manière novatrice – y compris en association avec les TIC – continuent à jouer un rôle vital dans la communication.Pour inspirer les agriculteurs, Access Agriculture utilise des vidéos de formation “de paysan à paysan” en langue locale. Sur le site web de l’organisation, plus de 700 vidéos peuvent être téléchargées en 60 langues différentes. Le producteur ghanéen Yakubu Rahman témoigne : “La vidéo a été filmée au Mali, mais elle me parle dans une langue que je comprends.” Pour les agriculteurs des zones où l’électricité, Internet et le réseau de téléphonie mobile sont peu fiables ou indisponibles, les vidéos sont accessibles grâce à un “projecteur intelligent”. “Le kit comprend un projecteur et un haut-parleur alimentés par une batterie solaire rechargeable. Il tient dans un sac à dos, ce qui permet à toutes les personnes exerçant une activité de vulgarisation de le transporter aisément”, s’enthousiasme Bob Muchina, président du Forum sur les services de conseil agricole récemment créé au Kenya. Au Malawi, les vidéos peuvent être téléchargées directement sur les téléphones portables des agriculteurs dans des “points vidéo” (voir encadré). Dans toute l’Afrique, l’ONG Radios rurales internationales (RRI) favorise une méthode d’apprentissage semblable, d’agriculteur à agriculteur, en aidant les stations de radio locales et communautaires à développer des programmes pour l’écoute collective. L’une des principales technologies participatives utilisées par RRI est un système interactif de réponse vocale. Ce système permet aux agriculteurs d’accéder à d’importants messages et alertes, de réécouter les programmes radio et de partager leurs expériences de terrain en laissant des messages vocaux aux stations de radio.
Redéfinir le maillon intermédiaire
Les TIC contribuent à maintenir l’engagement des jeunes dans l’agriculture. “J’utilise Internet tous les jours, et en particulier les réseaux de médias sociaux, pour obtenir des informations et communiquer avec le secteur agricole”, observe Devica Sookoo, une jeune productrice de melons de 25 ans, directrice de la Société agricole de Trinité-et-Tobago. “J’espère inciter d’autres jeunes à s’engager dans l’agriculture en partageant mes connaissances et expériences, bonnes comme mauvaises.” Elle ajoute : “Grâce à la formation du Réseau des agriculteurs caribéens (CaFAN), j’ai aussi appris que les médias sociaux sont un excellent outil pour m’aider à commercialiser mes produits et attirer directement la clientèle.” (voir le reportage : Le marché en ligne – une connexion pratique).Parallèlement à la commercialisation sur les médias sociaux, des plateformes numériques interactives plus sophistiquées permettent aux agriculteurs d’être mieux connectés. La plateforme “e-granary” de la Fédération des agriculteurs de l’Afrique de l’Est (EAFF) relie les producteurs aux acheteurs. “Chaque agriculteur affiche la quantité de riz qu’il veut vendre et à quel prix. Lorsque les négociants ont reçu l’information, ils nous (les agriculteurs) appellent”, précise William Juma, un riziculteur de Busia, dans l’ouest du Kenya. “Cette plateforme contribue aussi à stabiliser les prix des céréales. Après la récolte, les producteurs établissent un prix équitable fondé sur nos dépenses de production, qui nous procure des bénéfices tout en restant favorable à nos acheteurs.” La plateforme a été développée et élargie à toute la région, et les agriculteurs pourront désormais être reliés à des services financiers et d’assurance. (voir le point de vue : Créer des liens : une approche visionnaire) Au fur et à mesure de l’évolution des nouvelles technologies, le rôle de “l’intermédiaire” – celui qui achète aux producteurs et vend aux consommateurs – peut s’adapter aux nouvelles dynamiques et offrir des services qui améliorent la commercialisation collective, la stabilité des prix et la négociation. Ainsi, Tech4farmers, en Ouganda, est un prestataire de services qui gère une bourse numérique d’échange de marchandises et un système de récépissés d’entrepôt pour 6 300 agriculteurs et 87 entreprises. Les récépissés d’entrepôt sont remis comme garantie des grains et céréales qui bénéficient d’un stockage sécurisé. “La couverture des transactions que permettent les échanges en ligne de Tech4farmers diminue nos risques commerciaux et augmente les retours sur investissements car les transactions sont garanties par les banques”, déclare Hajji Ahmed Naleba, riziculteur dans le district de Butaleja. Ce mécanisme de financement favorise la transparence dans les chaînes de valeur, limite les ventes parallèles et améliore la traçabilité des produits puisque agriculteurs et entreprises peuvent librement échanger leurs récépissés sur la bourse numérique.“Le fait d’être connecté permet d’avoir accès en temps opportun aux informations cruciales et appuis nécessaires pour mener pleinement son activité agricole comme une entreprise”, conclut le directeur général de Tech4farmers, Deogratius Afimani. Néanmoins, pour que tous les producteurs soient connectés, les défis auxquels ils sont confrontés nécessitent des innovations permanentes dans les TIC et un appui stratégique approprié.