Enseignement supérieur
Les universités ACP sont en pleine mutation ! Elles s’efforcent d’offrir un enseignement supérieur adapté à la prochaine génération de diplômés auxquels se poseront les défis de développement du 21e siècle. Pour y parvenir, les innovations se multiplient dans toutes les régions grâce à la réforme des programmes, la mise en place de partenariats et l’utilisation des TIC.
Dans les pays ACP, l’enseignement agricole de niveau universitaire se trouve à la croisée des chemins Tout à la fois, la demande pour un enseignement supérieur de qualité n’a jamais été aussi importante alors que les contraintes financières sont énormes. Pour relever le défi de l’augmentation nécessaire de la production agricole dans un contexte de diminution des ressources naturelles, de concurrence sur les marchés locaux et internationaux et d’insécurité alimentaire dans les régions ACP, les pays doivent être prêts à investir dans leur capital humain afin de favoriser leur développement. Pour surmonter les obstacles, il faudra améliorer la pertinence de l’enseignement et former des diplômés plus performants. Et il sera indispensable de recruter davantage de femmes et de préparer les étudiants à assumer des postes de dirigeants.
En 2010, les ministres africains se sont engagés, dans le cadre du Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), à augmenter l’investissement dans l’enseignement agricole supérieur et à en restaurer la qualité. Ils ont convenu que les institutions d’enseignement supérieur devaient jouer un rôle plus important en matière de développement en resserrant leurs liens avec les organismes publics concernés et les communautés agricoles. Un engagement qui a été réitéré en novembre 2012 à la première Assemblée Générale de l’Association pour le renforcement de la recherche agricole en Afrique centrale et de l’Est (ASARECA).
Alors que les universités africaines sont bien placées pour développer la capacité agricole, elles doivent d’abord favoriser davantage l’innovation, la technologie, les institutions et le développement agricoles. “Les universités devraient considérer que l’agriculture est un important domaine de recherche et affecter du personnel et consacrer des ressources au développement de nouvelles techniques utiles pour les populations et les écosystèmes”, écrit Calestous Juma, Professeur à Harvard et auteur de The New Harvest : Agricultural Innovation in Africa. “La recherche universitaire doit rester proche des agriculteurs et de leur style de vie pour favoriser une croissance agricole plus productive.”
Des changements au niveau institutionnel seront déterminants pour que les universités soient en mesure de répondre aux besoins du développement et être utiles aux petits agriculteurs, aux politiques et autres acteurs des secteurs agricole et rural. Toutefois, pour réaliser de tels changements, il leur faudra acquérir “un certain nombre de nouvelles compétences, dont la résolution interdisciplinaire des problèmes, la prise en considération des intérêts exprimés par de multiples acteurs et des approches participatives en matière d’innovation”, déclare Arjen Wals, Professeur à l’Université et Centre de recherche de Wageningen.
Avancées positives
En 2008, le rapport de l’Évaluation internationale des sciences et technologies agricoles pour le développement (Afrique subsaharienne) a préconisé que les programmes de formation et recherche du niveau supérieur soient élaborés avec le plus grand soin. Depuis 2003, le Forum régional universitaire pour le renforcement des capacités dans le domaine de l’agriculture (RUFORUM) s’efforce, en collaboration avec divers acteurs, de libérer le potentiel de plusieurs universités d’Afrique subsaharienne. Le RUFORUM, en s’appuyant sur un renforcement coopératif des capacités, vise à permettre aux universités de s’adapter à l’évolution des besoins de l’agriculture africaine et de former une nouvelle génération de diplômés aguerris à l’innovation.
Le projet Opportunités d’innovation et de transformation pour les étudiants diplômés (GO4IT) – qui fait partie du portefeuille du RUFORUM – s’efforce de combler les lacunes de trois universités africaines en matière de capacité d’innovation. Dans le cadre de cette initiative, l’Université Egerton (Kenya), l’Université d’agronomie et des ressources naturelles de Lilongwe (LUANAR, Malawi) et l’Université Makerere (Ouganda) ont remis en question et modifié leur enseignement, leur recherche et leurs méthodes de sensibilisation pour former des diplômés qui seront en mesure de catalyser les innovations agricoles.
Selon James Sitima, chef du Département de l’enseignement agricole et de la communication pour le développement de la LUANAR, le concept de l’innovation en agriculture, avant l’initiative GO4IT, se limitait au développement des technologies locales. Pour parvenir à un changement, l’approche du projet GO4IT a consisté à encourager des études participatives pour déterminer les lacunes des programmes et les besoins des parties prenantes. L’enseignement est devenu interactif, avec des séances de réflexion et des exercices de travail en groupe s’appuyant sur l’expérience des étudiants. “Le cours a élargi ma connaissance et ma compréhension des systèmes d’innovation. Je sais maintenant comment gérer un partenariat multipartite et faire en sorte qu’il fonctionne dans ma communauté”, déclare Steve Bondo Longwe, un étudiant formé par la LUANAR. Mais pour parvenir à des transformations profondes, il est maintenant indispensable que les enseignements tirés du projet GO4IT soient adoptés à l’échelle de l’université.
Le Réseau africain pour l’enseignement en agriculture, agroforesterie et ressources naturelles (ANAFE) vise également à soutenir le développement institutionnel de l’intérieur. Son programme de Renforcement des capacités stratégiques africaines pour un impact sur le développement (SASACID) cherche à renforcer les capacités de 16 institutions pilotes à travers l ’Afrique. Le SASACID se concentre sur l’auto-évaluation institutionnelle pour remédier aux insuffisances de la réforme des programmes, y compris en matière de qualité de la prestation des cours. Le programme vise à favoriser l’application d’une gestion axée sur les résultats pour renforcer la vocation des universités africaines à servir leurs communautés.
Partenariats régionaux et internationaux
Alors que les universités ploient sous la pression d’une population étudiante toujours plus nombreuse et doivent répondre aux besoins en termes de développement, le Professeur Etienne Ehouan Ehile, Secrétaire général de l’Association des universités africaines (AUA), constate que l’enseignement supérieur a été négligé ces dernières années. Il l’a été au profit de la scolarisation de base sur laquelle les gouvernements ont porté leur action. “Bien qu’évidemment l’éducation de base soit essentielle, il n’est pas possible de répondre aux objectifs de développement en Afrique sans un enseignement supérieur de qualité”, avertit M. Ehile. L’accès à l’enseignement supérieur est toutefois inégalement réparti.
Reconnaissant la nécessité de repenser et de soutenir l’enseignement supérieur en Afrique à l’échelle régionale, l’AUA, en partenariat avec la Banque mondiale, a lancé en juillet 2013 un appel à propositions visant à mettre en place des “Centres africains d’excellence en sciences et technologie”. Le projet vise à développer jusqu’à dix centres régionaux pour consolider l’expertise scientifique en agriculture et dans d’autres secteurs, tels que les mines et la santé. Une approche régionale permettra de concentrer les ressources et de partager les connaissances entre tous les pays. “Cette initiative est essentielle pour le développement socio-économique de l’Afrique par sa contribution potentielle à l’économie du savoir, la croissance et le développement”, soutient le professeur Ehile.
Dans les Caraïbes, l’appui régional à l’éducation est assuré par l’initiative Campus ouvert de l’Université des Antilles (UWI). Travaillant avec les 16 Etats anglophones des Caraïbes, le Campus cherche à améliorer davantage la qualité de l’enseignement ouvert, souple, à distance et en ligne grâce au lancement de son Espace universitaire virtuel unique (SVUS). Ainsi, grâce aux TIC, y compris la vidéo-conférence, les étudiants de tous les campus pourront suivre les enseignements d’un ensemble unique de cours universitaires. Selon Pauline Francis-Cobley, coordinatrice de programmes au SVUS, “le SVUS est un mode de fonctionnement qui est rendu possible par la technologie et qui redéfinit la manière dont l’UWI dispensera ses services à la région et au monde”.
Réussites locales
Ces nouvelles initiatives régionales ouvrent certainement des perspectives très intéressantes pour la prochaine génération de diplômés ACP. Mais, il ne faut pas pour autant sous-estimer la capacité des actions nationales existantes à améliorer la situation des communautés rurales. Dans le nord du Ghana, le gouvernement a créé, il y a plus de 20 ans (1992), l’Université des études du développement (UDS). Cette université privilégie un apprentissage pratique axé sur les communautés et est sensible aux questions de genre, à la résolution de problèmes et à l’interaction. Au cours du dernier trimestre universitaire, les étudiants vivent et travaillent avec les communautés rurales pour déterminer et exploiter les opportunités de développement. Les effets d’une telle approche apparaissent clairement dans le nombre de diplômés de l’UDS qui continuent à travailler avec les communautés rurales.
L’Université rurale africaine a adopté une démarche semblable en mettant toutefois l’accent sur le rôle des femmes dans le développement (voir le reportage aux pages 18 et 19). Elle axe son action sur la formation de femmes responsables susceptibles de réussir des carrières dans l’agriculture et sur l’implication des communautés pour satisfaire les besoins identifiés à l’échelle locale. Sur les berges du Lac Volta, au Ghana, la création d’une école de formation en agroalimentaire dans l’exploitation agricole commerciale Africa Atlantic permettra aux étudiants d’acquérir les compétences concrètes nécessaires pour mettre la recherche en pratique et stimuler l’innovation et l’esprit d’entreprise. Dans l’ouest du Kenya, l’acquisition en 2012 d’une usine textile abandonnée par l’Université Moi est le premier cas d’université publique possédant et exploitant une usine essentiellement à des fins pédagogiques.
L’initiative UNiBRAIN, gérée par le Forum pour la recherche agricole en Afrique en collaboration avec l’ANAFE, a également pour objectif d’encourager les jeunes diplômés à s’engager dans le secteur agroalimentaire. Axée sur les produits de base comme l’élevage, le poisson, le café et la banane, cette initiative propose des stages dans le secteur agroalimentaire et de s’y faire des contacts.
L’Association des écoles de commerce africaines (AABS) a également mis en place un Consortium agroalimentaire (AAC) visant à soutenir l’enseignement de la gestion des agroentreprises en Afrique. L’AAC, composé de membres de l’AABS, d’autres établissements universitaires et de partenaires internationaux concernés (dont le CTA), offre des programmes sur mesure permettant de doter les professionnels de l’agroalimentaire de compétences en commerce, gestion et encadrement dans un certain nombre de chaînes de valeur. Le Programme de gestion des entreprises agroalimentaires a été lancé en octobre 2013 au Ghana, en partenariat avec l’Institut ghanéen de gestion et d’administration publique et au Nigeria en collaboration avec l’Ecole de commerce de Lagos ; la Tanzanie suivra au début de 2014.
Ces avancées encourageantes montrent qu’une transformation de l’enseignement agricole supérieur est réellement possible. Cette transformation, avec le renforcement de l’engagement des universités dans la lutte pour la sécurité alimentaire, exige que soient sensibilisés à cette cause un grand nombre d’hommes et femmes dévoués qui en comprennent les besoins concrets et soient résolus à contribuer au développement de l’Afrique. À cet égard, le processus de transformation devrait également être renforcé de l’intérieur par un appui au développement institutionnel. Des progrès prometteurs ont été accomplis en matière de réforme des programmes, de partenariats et de participation, mais il faut maintenant que les plans d’action nationaux s’engagent à accorder une plus grande priorité à l’enseignement supérieur mis au service du développement.