L’Afrique, dont 40 % de la population vit dans les villes, est maintenant plus urbanisée que l’Inde (30 %) et presque autant que la Chine (45 %). D’ici 2016, plus de 500 millions d’Africains vivront dans des zones urbaines et plus de 65 villes compteront plus d’un million d’habitants, contre 52 en 2011.
Cette évolution est capitale pour la grande distribution. Le rapport Rise of the African consumer de McKinsey prévoit qu’en Afrique, les dépenses annuelles de consommation devraient dépasser 1,3 billion d’euros en 2015 contre 810 milliards d’euros en 2008.
Toutefois, si l’urbanisation et l’augmentation des revenus créent des opportunités pour les entreprises agroalimentaires les zones urbaines ne peuvent être considérées comme un marché unique et uniforme. Les préférences et besoins des consommateurs varient considérablement en fonction de leurs revenus disponibles et de leur situation géographique. Ainsi, la création de stratégies de commercialisation et conditionnement adaptées exige la réalisation d’études de marché détaillées.
La Banque mondiale estime que le marché alimentaire africain représentera 950 milliards d’euros d’ici 2030. Au cours des vingt dernières années, la multiplication des supermarchés et la hausse des ventes d’aliments emballés ont transformé le secteur du commerce de détail alimentaire. Une tendance qui ne montre aucun signe d’essoufflement, les ventes d’aliments emballés ayant enregistré une croissance à deux chiffres en 2013 et 2014.
Le plus grand marché d’Afrique subsaharienne se situe au Nigeria, où une population urbaine croissante stimule la demande en produits prêts à consommer tels que le yaourt à boire, les pâtisseries et les snacks sucrés et salés. La modernisation des goûts des consommateurs urbains nigérians et la hausse de la demande en produits emballés, standardisés et de meilleure qualité ont été accompagnées d’un développement rapide des supermarchés et des hypermarchés. Ainsi, bien que les marchés ouverts et kiosques y soient le canal traditionnel de vente pour les aliments emballés, comme ailleurs en Afrique, de nombreux consommateurs semblent préférer la facilité d’un unique grand magasin répondant à tous leurs besoins domestiques, leurs offrant des prix attractifs grâce aux volumes importants et leur permettant de comparer facilement les diverses marques.
Privilégier les produits locaux
La dépendance accrue de l’Afrique à l’égard des importations alimentaires et les entreprises étrangères qui cherchent à investir dans les marchés urbains poussent de nombreux pays africains à accroître l’offre de produits locaux. Le Sénégal, par exemple, est l’un des pays qui dépend le plus des importations alimentaires, notamment pour le riz, une denrée de base. En 2011, le riz représentait presque 40 % du total des importations agricoles en volume du pays et le riz importé satisfaisait environ 60 % de la consommation domestique. Une situation, qui a incité le gouvernement sénégalais a redoublé d’efforts et d’investissements pour développer la production locale. De son côté, le secteur privé a beaucoup travaillé sur l’emballage et l’image de marque du riz local considéré par de nombreux consommateurs comme étant de qualité inférieure à celui importé.
Un projet de recherche sur les préférences des consommateurs a souligné que l’emballage était l’un des facteurs clés de l’achat du riz : 47 % des femmes reconnaissent les marques par leurs couleurs et/ou leurs symboles plutôt que par leur nom. En outre, les acheteurs sont prêts à payer jusqu’à 17 % de plus pour leur marque préférée. Mais les consommateurs urbains ne forment pas un groupe homogène (voir Point de vue page 17). Au Sénégal, les marques locales sont plus populaires chez les femmes plus pauvres, qui ne se préoccupent pas vraiment des marques et achètent traditionnellement du riz local. En revanche, les femmes plus aisées ont tendance à s’intéresser davantage aux marques et préfèrent les marques internationales.
Faisant appel à la citoyenneté des consommateurs en ne conditionnant que des produits fabriqués localement, la chaîne de supermarchés Nakumatt, en Afrique de l’Est a lancé en 2013 sa propre marque “Blue Label”, qui offre des produits variés avec un bon rapport qualité-prix. La marque propose des produits de tous les jours comme des haricots, de la farine et des détergents ménagers, ainsi
que des «produits plaisir» à grignoter tels que du popcorn et des chips aromatisées au citron et chili. Nakumatt commercialise aussi les produits en petit format, en reconditionnant des denrées comme le sucre, la farine et les céréales sous sa marque Blue Label. La chaîne se lance ainsi dans ce qu’on appelle familièrement l’économie “kadogo” («très petit» en swahili) et répond à la demande des consommateurs qui veulent pouvoir acheter leurs produits en grandes, moyennes et petites quantités.
Au Zimbabwe, pour attirer les consommateurs et contrer la concurrence des importations moins chères, le gouvernement a lancé en 2011 l’initiative “Buy Zimbabwe”. À l’époque, le pays importait pour 5,6 milliards d’euros de denrées et en exportait pour 3,75 milliards d’euros. Un tel écart a poussé le gouvernement à privilégier les producteurs locaux de biens et de services. L’initiative a permis la formation de partenariats avec 60 entreprises qui ont adopté de nouvelles méthodes de commercialisation. Par exemple, Irvine, un producteur local de poulets, a changé sa technique pour sceller ses emballages, allongeant ainsi la fraîcheur de ses produits. Olivine Industries a adopté une stratégie de commercialisation différente en réintroduisant d’anciennes lignes de produits qui avaient gagné la confiance des consommateurs (huiles de cuisson, etc.) pour les attirer à nouveau en positionnant ces produits sur la qualité.
Suite à la campagne “Buy Zimbabwe”, déclinée dans les magasins, dans les rallyes ou encore sur le Web, les détaillants ont observé qu’environ 50 % des produits stockés sont maintenant d’origine locale. Si bien qu’en 2014 le Zimbabwe a réduit sa facture d’importations de 1,5 milliard d’euros par rapport à 2013. “De nombreuses organisations ont compris l’importance du conditionnement, et à quel point l’apparence du produit influence les habitudes d’achat du consommateur”, souligne Vandudzai Zirebwa, un économiste travaillant pour “Buy Zimbabwe”. “Certains de nos partenaires qui se sont montrés innovants répondent maintenant aux normes internationales de conditionnement et cela s’est traduit par une augmentation des ventes. D’autres toutefois ont encore du chemin à faire parce qu’ils sont soumis à un budget plus restreint mais nous encourageons les entreprises à viser haut et investir dans la recherche et le développement.” (voir aussi l’encadré Rester dans la tendance)
Des opportunités pour les agriculteurs ?
L’essentiel de la commercialisation et du conditionnement des produits alimentaires se fait dans le segment supérieur de la chaîne de valeur. Mais qu’en est-il des agriculteurs qui tentent de pénétrer les marchés urbains ? En Zambie, l’ONG Self Help Africa a encouragé de petits agriculteurs à mettre en place un système de transformation et de conditionnement du manioc pour développer leurs opportunités commerciales. Avant 2010, la plupart des agriculteurs de Kaoma, dans la Province occidentale, vendait leur manioc pilé au marché à un
prix qui dépendait du bon vouloir de l’acheteur. Grâce aux formations dispensées par Self Help Africa et des agents de vulgarisation du ministère de l’Agriculture, les agriculteurs et agricultrices ont appris à transformer et conditionner leur manioc afin de pouvoir fixer eux-mêmes les quantités et leur prix de vente. Rassemblés sous le nom de Kaoma Cassava Processing, ils conditionnent maintenant leur farine en sacs de deux et cinq kilos qu’ils vendent à prix fixe. Avec l’augmentation de la demande des consommateurs urbains en farine de manioc, leur produit présenté dans un emballage attrayant est même vendu par les supermarchés Shoprite.
L’amélioration de l’organisation a permis à un plus grand nombre d’agriculteurs zambiens d’approvisionner des chaînes d’épicerie. Près de Lusaka, par exemple, une station de conditionnement indépendante, qui fournit le détaillant “Pick’n Pay”, regroupe la production horticole d’environ 60 agriculteurs formés aux normes de qualité. Dans la station, les légumes et les fruits sont préparés et conditionnés (y compris le découpage et l’emballage) pour être présentés dans les rayons des supermarchés. La distance demeure toutefois un problème pour les agriculteurs des zones les plus éloignées car le coût du carburant et du transport de la ferme à la station de conditionnement ponctionne encore considérablement leurs profits. Au Kenya, une autre approche adoptée par Farm Concern International privilégie la création de “villages commerciaux” permettant aux petits exploitants agricoles de grouper leurs efforts et produits et de répondre ainsi à l’accroissement de la demande du marché, y compris dans les zones urbaines (voir Spore 172, Des affaires aux petits oignons).
Les difficultés des petits États insulaires
Dans les Caraïbes et le Pacifique, les populations urbaines sont évidemment bien moins importantes qu’en Afrique. Néanmoins, la FAO signale que les magasins d’alimentation dans les petits États insulaires vendent de plus en plus de produits transformés importés qui évincent les aliments plus sains produits localement. Une situation qui nuit à long terme à la santé des insulaires.
Plus de 30 % de la population des Caraïbes est obèse et les maladies liées à l’obésité, comme le diabète et l’hypertension, coûteraient près d’un milliard d’euros par an aux économies de ces États. Si les producteurs locaux de denrées alimentaires doivent fournir les marchés urbains et touristiques en pleine expansion et diminuer la demande en produits importés, il faudra mettre en place une approche multisectorielle axée sur les politiques qui s’appuiera sur les secteurs public et privé. Cela sera toutefois particulièrement difficile dans le Pacifique. En effet, la plupart des pays ne dispose pas, à l’heure actuelle, de ressources et de compétences techniques nécessaires pour transformer et conditionner les aliments locaux pour qu’ils répondent aux attentes des marchés urbains. Face à ce problème, la FAO a indiqué que les recettes provenant de l’augmentation des droits et taxes sur les produits alimentaires « malsains » importés devraient être investies dans de vastes campagnes de sensibilisation à la nutrition ainsi que dans l’amélioration de la compétitivité et de la disponibilité d’aliments nutritifs locaux.