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Indispensable fourrage

Dossier

Nourrir le bétail en Afrique

Dans les 20 ans à venir, la demande en viande et lait dans les pays émergents va doubler. Ceci ouvre d’importantes perspectives pour les éleveurs. La disponibilité en fourrages et aliments pour le bétail de qualité – ainsi que l’accessibilité à ces produits – reste toutefois une contrainte majeure.

Avec la forte croissance démographique, la consommation de protéines animales augmente rapidement en Afrique. Les éleveurs en Afrique ne sont toutefois pas capables, aujourd’hui, de répondre à cette demande croissante. Une des difficultés majeures touche à la fourniture en quantité et en qualité satisfaisantes des aliments du bétail.

L’un des facteurs clés pour, à l’avenir, réussir à nourrir les animaux d’élevage en Afrique est la différence des besoins alimentaires entre les divers types d’animaux. Les animaux monogastriques, comme les porcs et la volaille, élevés commercialement sont essentiellement nourris avec des concentrés produits par les usines d’aliments pour bétail. La rapidité de la croissance démographique augmente toutefois la concurrence entre humains et animaux pour les céréales. Si les céréales de moindre qualité sont généralement réservées aux animaux, l’importance de la demande maintient les prix à un niveau élevé et dans la plupart des pays, l’alimentation des animaux représente jusqu’à 65 % des coûts de production de la volaille. Face à ce problème, des usines d’aliments pour bétail innovent que cela soit dans la manière dont elles travaillent avec les agriculteurs qui fournissent les céréales (voir le reportage) ou en utilisant des ingrédients alternatifs, dont des sous-produits agroindustriels.

En revanche, les principaux aliments utilisés pour nourrir les ruminants, bovins, ovins et caprins, sont des résidus de récolte, des fourrages herbacés et des arbustes fourragers, bien que certains concentrés soient employés pour alimenter des bovins laitiers et de boucherie. Un enjeu clé de la recherche consistera donc à mieux intégrer agriculture et élevage dans des systèmes agro-pastoraux efficaces. Le développement de l’industrie laitière au Kenya, par exemple, montre comment cette intégration permet d’intensifier simultanément la production animale et végétale.

Le fourrage améliore la production laitière et les revenus

Au Kenya, environ 1,8 million petits exploitants agricoles, qui ne possèdent qu’une à deux vaches, fournissent plus de 80 % du lait. La plupart des vaches laitières sont gardées en enclos dans des systèmes de “zéro-pâturage” et leur alimentation comprend divers fourrages grossiers et de petites quantités de concentrés. Le napier ou herbe à éléphant (Pennisetum purpureum) est traditionnellement une importante source de fourrage. “Nous utilisons le napier car il est nutritif et très productif”, indique Patrick Mogoko, un agriculteur de Kiambu près de Nairobi. “Sans le napier qui pousse dans mon exploitation, mes vaches mourraient probablement de faim.” Malheureusement, alors que les agriculteurs apprécient sa productivité élevée, une maladie fongique, la maladie du charbon (Ustilago kamerunensis), a détruit près de 50% du napier au début des années 90.

Pour résoudre ce problème, l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI), en collaboration avec l’organisation de recherche Kenya Agricultural and Livestock Research Organisation, a utilisé sa banque de gènes de napier pour développer des variétés résistantes au charbon. Deux variétés prometteuses, Kakamega 1 et 2, ont été homologuées en 2004 et multipliées rapidement, d’abord par des institutions gouvernementales puis par des groupements de producteurs afin de répondre à une demande croissante. En 2007, 16 % des agriculteurs des zones touchées utilisaient une variété résistante à la maladie. Toutefois, ne disposer que de deux variétés est risqué et les agriculteurs estiment que les variétés Kakamenga ne sont pas aussi productives que les meilleures variétés locales. L’ILRI a donc collaboré avec le programme de sélection du napier de l’institut brésilien de recherche agronomique, l’EMBRAPA. À partir des variétés résistantes à la maladie de l’ILRI, l’EMBRAPA développe des lignées améliorées qui résistent à la maladie et ont une grande valeur alimentaire.

Une autre réussite remarquable de la recherche a été l’introduction, par le Centre international pour la recherche en agroforesterie (ICRAF) et ses partenaires, d’arbres légumineux fourragers dans les systèmes agro-pastoraux. Très nutritifs pour le bétail, ces arbres améliorent également la fertilité du sol en fixant l’azote atmosphérique. Dans les hautes terres du Kenya, d’Ouganda, du Rwanda et de Tanzanie, plus de 200 000 agriculteurs peuvent maintenant utiliser jusqu’à neuf espèces d’arbres légumineux fourragers différents comme Calliandra calothyrsus, Sesbania sesban et Leucaena leucocephala. Avec l’accroissement des disponibilités en fourrage et des rendements du lait, les revenus des petits agriculteurs ruraux ont augmenté de 25 à 100 € par ménage et par an (selon le niveau d’engagement dans ces pratiques). En outre, nombreuses sont les femmes qui ont mis en place des pépinières d’arbres fourragers afin de se procurer des revenus supplémentaires.

Une alternative résiduelle

Dans de nombreuses régions d’Afrique, les feuilles et tiges sèches de céréales comme le blé, le maïs et le sorgho fournissent environ 70 % de la matière sèche disponible pour nourrir les animaux d’élevage. Au Niger, par exemple, les résidus de pâturages et de cultures constituent jusqu’à 90 % de l’alimentation des grands ruminants. Toutefois, ces résidus, et en particulier ceux des céréales, ont souvent une faible valeur nutritionnelle. Ces dernières décennies, les recherches visant à améliorer la valeur nutritive des fourrages ont souvent mis l’accent sur la nécessité d’un traitement post-récolte des résidus de cultures. En revanche, l’ILRI et les centres du CGIAR associés ont mis l’accent sur la sélection variétale afin de développer pour les systèmes agro-pastoraux des cultivars à double fin pour améliorer simultanément les rendements des céréales et des résidus et la qualité générale du fourrage. Ces cultivars concernent un large éventail de céréales et légumineuses (maïs, riz, sorgho, mil, orge, niébé et arachide). Pour la seule Afrique de l’Ouest, jusqu’à 1,4 million d’hectares pourraient être cultivés en intercalant des variétés de niébé à double fin et avoir des retombées directes pour plus de neuf millions de personnes, selon l’ILRI.

Les fanes de patate douce sont une autre source d’alimentation précieuse pour le bétail. Elles offrent davantage de protéines et de matière sèche par unité de surface que d’autres cultures. En Chine, 25 à 30 % des patates douces sont actuellement utilisés pour nourrir les animaux. Ce potentiel n’a pas encore été exploité en Afrique subsaharienne. Toutefois des éleveurs kenyans et ougandais de porcs les utilisent en complément d’aliments achetés. Pour faire face aux pénuries de la saison sèche, les chercheurs ont mis au point un tube d’ensilage amélioré. “Cette technologie permet aux agriculteurs de préparer autant de produits ensilés qu’ils le souhaitent selon la quantité de fanes de patates douces et de racines non commerciales dont ils disposent sur leurs exploitations. Ils peuvent ainsi utiliser au mieux leurs ressources d’aliments pour le bétail qui autrement auraient été gaspillées”, indique Ben Lukuyu, nutritionniste à l’ILRI spécialisé dans l’alimentation animale.

L’utilisation des sous-produits agroindustriels est un autre domaine en expansion pour le bétail. Par exemple, Mifugo Feed Enterprise, créée en 2011 par de jeunes entrepreneurs tanzaniens, produit des aliments pour le bétail, fabriqués à partir des sous-produits du brassage de la bière disponibles toute l’année. Au Nigeria, la Banque mondiale a soutenu un projet primé d’utilisation des déchets du manioc pour nourrir les chèvres. Une technologie simple de séchage basée sur l’utilisation de feuilles de plastique noir et produisant des aliments à un coût abordable a été présentée aux petits exploitants agricoles de l’État d’Osun. Pour chaque tonne de racine de manioc mangée ou transformée, environ 300 kg de pelures sont généralement gaspillés, mais une fois séchées, les pelures peuvent être conservées jusqu’à six mois.

Perspectives d’avenir

Face à une large gamme d’aliments nouveaux et améliorés disponibles, les agriculteurs ont de plus en plus de mal à faire leur choix. Pour les aider, le projet de développement laitier d’Afrique de l’Est (EADD) a réalisé un manuel très complet, Feeding dairy cattle in East Africa, qui décrit, parmi diverses options, la gestion des pâturages, la production de fourrage et les compléments alimentaires. Une encyclopédie des aliments pour bétail, Feedipedia (voir encadré) est aussi disponible en ligne. Un outil simple d’aide à la décision, Techfit, a également été mis au point par l’ILRI et ses partenaires. Utilisant une démarche participative pour relier au contexte local les exigences des technologies et approches possibles en matière d’aliments pour le bétail, Techfit propose une liste des meilleures options pour l’alimentation du bétail. Celles-ci peuvent ensuite être testées pour voir dans quelle mesure elles conviennent aux conditions locales. Un outil complémentaire, FEAST (outil d’évaluation des aliments pour le bétail), a été créé pour aider les chercheurs et les praticiens du développement à évaluer la disponibilité des ressources locales d’aliments en collaboration avec les agriculteurs et les autres intervenants concernés. La sélection de cultures fourragères susceptibles de favoriser la productivité et la viabilité globale d’un système mixte de production végétale et animale, par exemple en tant qu’élément d’un programme de rotation des cultures, sera une condition essentielle pour améliorer de nombreuses exploitations agricoles.