Amélioration génétique animale
La croissance démographique et une demande de plus en plus importante en protéines avec l’élévation du niveau de vie des populations des pays du Sud imposent de développer la production animale. Un véritable défi pour de nombreux pays ACP. L’amélioration génétique animale est une réponse nécessaire mais pas suffisante.
Dans les pays ACP, l’élevage revêt une importance socioéconomique majeure. Il contribue de manière significative aux moyens d’existence de la population et joue un rôle central pour la sécurité alimentaire et dans le développement rural. Il revêt fréquemment une dimension socio-culturelle de premier ordre.
La demande mondiale en protéines animales doublerait d’ici 2040 sous l’effet combiné de la croissance démographique, de l’urbanisation et du changement de mode de consommation, selon le rapport de la FAO “La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture en 2009”. D’ici 30 ans, plus de 50 % de la croissance de la demande en lait, viande et œufs émanera des pays en développement. Et depuis 30 ans, en Chine, la consommation moyenne de viande par habitant a été multipliée par plus de quatre. L’Afrique empruntera, sans aucun doute, la même voie, la FAO anticipant, là aussi, un doublement de la consommation de viande par habitant d’ici 2050.
Il ne fait, donc, aucun doute que les pays concernés devront accroître considérablement leur production animale. D’ores et déjà, l’Afrique est riche en ressources fourragères et dispose d’un important cheptel mais elle demeure importatrice nette de produits d’origine animale à l’exception des cuirs et peaux. Ceci dit, sa consommation en viande, per capita, demeure faible non seulement parce que sa croissance démographique est la plus élevée au monde, mais aussi parce que les races élevées sont peu productives, les épizooties fréquentes, la disponibilité en aliments du bétail faible, sans oublier des politiques sectorielles souvent défaillantes, note la FAO. Il s’agit aussi de pays pauvres ! Toutefois, des progrès appréciables ont été réalisés dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Botswana, le Kenya ou la Namibie.
L’amélioration génétique animale est-elle une des solutions pour accroître la production animale dans les pays ACP ? De multiples espèces animales sont concernées, des bovins, des caprins, des ovins, des porcs, des volailles et des poissons, et les systèmes d’élevage sont aussi très diversifiés : extensif, intensif, pastoraux, agropastoraux, périurbains. Les projets d’amélioration génétique sont aussi divers, mais deux grandes voies se dégagent avec, pour chacune d’entre elles, différentes méthodes : d’une part, la conservation et l’amélioration génétique des races locales par sélection et, d’autre part, le changement du patrimoine génétique des animaux, en introduisant des gênes extérieurs par croisement ou autres avec des outils qui ont considérablement évolués ces dernières années.
“Rien ne sert d’avoir des animaux à haut potentiel génétique si les conditions d’élevage sont telles que ce potentiel ne puisse s’exprimer”, affirme le professeur Ahmadou Lamine Ndiaye, directeur honoraire de l’Ecole inter Etats des sciences et médecine vétérinaires de Dakar (EISMV) et président de l’Académie africaine des sciences. Depuis des années, on parle d’amélioration génétique en jouant sur les croisements, en important et adaptant des races plus productives des zones tempérées. Mais avec des résultats souvent mitigés car l’amélioration génétique est étroitement liée aux conditions et modes d’élevage. Introduire une race performante ne suffit pas ; il faut aussi une meilleure alimentation, des soins, qu’ils soient vétérinaires ou autres, permettant de juguler des épidémies, des bâtiments adaptés au climat.
“Les vaches locales produisent entre 1 et 3 litres de lait par jour dans le sud du Sahel. Avec une vache locale croisée avec une race améliorée, on peut espérer entre 12 et 15 l/jour. Et si on opère un transfert embryonnaire (race pure souche laitière), 20 à 22 l /j peuvent être espérés de la vache issue de ce transfert. Seulement, les besoins de ces animaux-là ne sont pas les mêmes: il faut les suralimenter”, souligne José Baechler, président mondial de Race Brune.
L’ introduction de Race Brune principalement par insémination artificielle des vaches de races locales au Burkina Faso ou au Niger a nécessité au préalable d’initier les éleveurs à la production fourragère et autres produits nécessaires. Ceci requiert, certes, de la formation mais aussi un changement de mode de vie : l’éleveur doit se sédentariser et arrêter la transhumance. “C’est un choix sociétal très exigeant, très important et qu’ils ne comprennent pas toujours facilement”, indique José Baechler. Cela implique aussi pour l’éleveur de séparer les mâles des femelles pour éviter des accouplements qui supprimeraient le bénéfice génétique. Un véritable changement de mentalité.
Nouvel environnement
La production laitière a été considérablement augmentée grâce notamment à la multiplication des croisements. C’est une dynamique générale en Afrique, impulsée par une amélioration des conditions d’alimentation, de marché et de technicité.
Ainsi, au Kenya, la production de lait a été multipliée par deux en dix ans (5,2 milliards de litres en 2012) grâce à l’amélioration des races laitières par insémination artificielle, la création d’espaces dédiés aux cultures fourragères et la structuration de la filière notamment en regroupant les producteurs en coopératives. Aujourd’hui le pays est autosuffisant en lait et 80 % de la production est assurée par de petits éleveurs. La politique d’approvisionnement a aussi été favorable à la production: les droits d’importation sur le lait en poudre ont été relevés de 60 % en 2005.
À Madagascar, la ferme laitière Armor de Fifamanor diffuse la race Pie Rouge Norvégienne (PRN) depuis 1972. Elle l’a d’abord fait à travers des stations de monte puis par insémination artificielle (IA) auprès des éleveurs de la région de Vakinankaratra. Quelque 3 500 vaches de race pure et 10 000 métisses ont été produites, contribuant ainsi à augmenter significativement la production et la productivité de lait. Le centre ne cache toutefois pas des difficultés à plusieurs niveaux : des animaux mal nourris, le coût de l’IA pour l’éleveur, une certaine mortalité embryonnaire ou des maladies entraînant un avortement. En outre, la collecte et le prix du lait dans le Vakinankaratra ne satisfont pas les éleveurs ce qui a conduit à une diminution de la production ces dernières années, les éleveurs étant moins motivés pour pratiquer l’IA et utiliser des taureaux de pure race. Toutefois, le modèle génétique ne semble pas remis en cause, c’est plus le contexte économique du pays qui s’est dégradé et impacte négativement la filière.
“Dans la banlieue de Dakar, des hauts fonctionnaires ou investisseurs créent des fermes modèles en stabulation et en intensif, important des semences bovines exotiques. L’élevage en race pure constitue un investissement important et il est nécessaire de réunir certaines conditions comme la production de fourrage et l’existence d’un marché pour écouler les produits laitiers”, souligne Ahmadou Lamine Ndiaye.
Alimenter un marché urbain demandeur et solvable n’est pas réservé qu’aux laiteries périurbaines. Autour des villes se multiplient des systèmes avicoles intensifs et semi-industriels avec des races améliorées pour la production d’œufs et de viande.
Dans les zones rurales demeure le système avicole traditionnel qui utilise surtout des races locales de volaille. Toutefois des projets sont menés, comme dans la vallée du fleuve Sénégal, pour améliorer les performances de ces élevages familiaux en introduisant des “coqs raceurs” et en les croisant avec des volailles de races locales. Ces croisements s’accompagnent d’une amélioration de l’habitat, d’un plan de prophylaxie sanitaire et de la fabrication d’aliments à base de produits locaux. Une amélioration génétique est significative à condition que l’on puisse maîtriser les épizooties, comme la maladie de Newcastle très meurtrière en Afrique. L’alimentation et une valorisation des produits par le marché sont les autres conditions de réussite.
Des ressources génétiques locales à préserver
Dans les pays ACP, comme ailleurs, il existe un large éventail de ressources génétiques animales particulièrement adaptées aux conditions locales. Confrontées à un certain nombre de contraintes pathologiques, climatiques, elles se sont développées par mutation et sélection naturelles et se révèlent adaptées et résistances.
Un des rares programmes importants d’amélioration génétique de race locale en Afrique est le Projet de gestion durable du bétail ruminant endémique en Afrique de l’Ouest (Progebe). Son but est de conserver le bétail local – composé de bovins taurins Ndama, de moutons Djallonké et de chèvres naines trypanotolérants – qui vit dans les zones subhumides et humides de Gambie, Guinée, Mali et Sénégal où sévit la mouche tsé-tsé, vecteur des trypanosomoses animales.
“Conserver ne signifie pas laisser en l’état. Au contraire, il s’agit de donner plus de valeur et de compétitivité à ce bétail et faciliter son accès au marché”, souligne Mamadou Diop, coordinateur national de Progebe-Sénégal. Cela consiste à préserver l’environnement de l’animal, mais aussi d’améliorer sa productivité par un meilleur accès aux services de santé animale, aux pâturages et à l’eau ainsi qu’à des géniteurs améliorés. En partenariat avec l’Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA) et à travers le Centre de recherches zootechniques de Kolda (CRZ-K), la sélection du taurin Ndama a été relancée fin 2009 avec l’implication active des éleveurs dans le processus de sélection. Aujourd’hui, 14 géniteurs ont été diffusés auprès des éleveurs, une vingtaine devrait l’être en 2014.
Très fréquemment, le faible niveau de production est attribué à un problème de productivité de la race locale. Mais comme pour les races exotiques ou croisées, l’amélioration des conditions d’élevage permet aussi aux races locales d’avoir une productivité supérieure.
La révolution génomique
“Selon l’état des lieux des ressources zoogénétiques de la FAO (2007), à l’échelle mondiale, près de 40 % des races animales domestiques sont peu connues, et 30 % sont considérées comme en danger. Or pour améliorer les races locales, il faut avant tout bien les inventorier, les préserver et les caractériser. Nous avons maintenant des outils pour caractériser de plus en plus finement ces populations, de manière à rechercher dans leur génome ce qui détermine leurs caractères d’adaptation et de production”, indique Michel Naves, ingénieur de recherches en génétique animale à l’Unité de Recherches Zootechniques du centre Antilles-Guyane de l’Inra. C’est ce qu’on appelle le génotypage, dont un des enjeux importants est la sélection d’animaux plus robustes et plus efficients. Les caractères d’adaptation présents chez les races locales sont particulièrement importants pour le développement des systèmes de production. Cela concerne avant tout la résistance aux maladies et aux parasites, dont les effets sur la santé animale sont particulièrement dramatiques. Cela concerne aussi l’adaptation au changement climatique, grâce par exemple à l’identification de gênes de tolérance à la chaleur, notamment chez les porcs. “Les races locales, surtout tropicales, qui sont assujetties à des variations saisonnières très importantes, sont souvent capables de mobiliser des réserves en période de disette et de les reconstituer lorsque les fourrages sont plus abondants, ou également de valoriser des ressources alimentaires diversifiées. Ces caractéristiques peuvent être intéressantes dans le contexte de changement climatique que nous connaissons où à des épisodes de grande sécheresse succèdent des épisodes extrêmes de pluviométrie, ce qui entraine un très grande variabilité de l’offre alimentaire, en quantité et en qualité”, observe Michel Naves.
Les nouveaux outils basés sur le génotypage – et plus encore le séquençage à haut débit – vont permettre des avancées majeures dans les 5 à 10 prochaines années quant à la sélection des ressources génétiques. “Cela concernera aussi bien la caractérisation génétique des populations (la ‘cartographie’ de leur génome), la recherche de ‘signatures de sélection’ (la trace laissée dans le génome par les processus de sélection naturelle), la recherche de marqueurs génétiques liés aux processus biologiques d’adaptation ou de production, l’amélioration génétique, à travers la sélection d’animaux plus performants, le pilotage des essais de croisement ou la gestion de la consanguinité”, confirme Michel Naves. De la haute technologie qui n’est pas encore accessible aux pays du Sud, mais les évolutions sont rapides. “Il y a 5 ou 10 ans, avoir la séquence complète d’un bovin prenait plusieurs mois et coûtait des dizaines de milliers d’euros. Aujourd’hui, en 15 à 30 jours et pour 3 000 euros on a le résultat”, constate Michel Naves.
Avec les avancées de la génomique, les choix en matière d’amélioration génétique ne devraient plus se réduire à la simple alternative entre la sélection d’une race locale, plus sure mais beaucoup plus lente, et l’introduction d’une race exotique, plus rapide mais aussi plus risquée et plus fragile. Ainsi, on pourra “emprunter” certaines caractéristiques aux races locales pour améliorer la race plus productive afin qu’elle soit plus adaptée aux contraintes locales, ou rechercher chez les races locales les caractéristiques permettant d’améliorer leur productivité sans altérer leur adaptation. Utiliser les potentialités des races locales contribue d’ailleurs à maintenir la diversité génétique aujourd’hui menacée.