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De nouveaux outils pour améliorer l'agriculture et l'élevage

Dossier

Dans un contexte de changement climatique et de rapide croissance démographique mondiale, quelles sont les innovations biotechnologiques qui permettront d'améliorer les cultures et l'élevage ?

La plupart des cultures modernes ne ressemblent pas à leurs ancêtres à l'état sauvage ; même les cultures les plus basiques procèdent d’une forme de manipulation génétique anthropique. La banane moderne, par exemple, a une longue histoire de modification génétique. Il semble que les premières bananes ont été cultivées il y a environ 7 000 ans en Asie du Sud-Est. Le premier ancêtre de la banane est Musa acuminate, une plante portant des gousses semblables à des gombos. Un croisement éventuel avec M. balbisiana a créé les plantains qui, suite à des modifications successives sur des milliers d’années, ont donné les fruits jaunes/verts auxquels nous sommes habitués.

La domestication et le développement des plantes et animaux permettant la production des aliments que nous consommons aujourd’hui ont jusqu’à récemment reposé essentiellement sur l’amélioration sélective – un long processus de croisement de variétés végétales et animales et de sélection de caractères particuliers comme la productivité, la résistance aux maladies, la tolérance aux stress abiotiques et la qualité. Les agriculteurs utilisent aussi la production asexuée depuis des siècles pour améliorer leurs cultures. Les bananes domestiques, par exemple, ont depuis longtemps perdu les graines qui permettaient à leurs ancêtres sauvages de se reproduire – ainsi les bananes que nous mangeons aujourd’hui sont-elles produites de manière asexuée, par multiplication végétative, la nouvelle plante étant génétiquement identique à la plante-mère.

Alors, puisque toutes nos cultures modernes ont été génétiquement modifiées dans une certaine mesure, comment définissons-nous la biotechnologie ? La définition classique est l’utilisation de systèmes et organismes vivants pour développer ou fabriquer des produits. Toutefois, il existe une définition plus moderne et inclusive, employée dans la Convention sur la diversité biologique, qui englobe toute application technologique utilisant des systèmes biologiques, organismes vivants ou leurs dérivés pour fabriquer des produits ou processus utiles. La biotechnologie moderne résulte de la révolution de la biologie cellulaire et moléculaire qui s’est produite dans la seconde moitié du xxe siècle et a permis l’émergence de divers outils basés sur la manipulation et le transfert génétiques, utilisés par les chercheurs pour comprendre et modifier le patrimoine génétique des cultures et animaux d’élevage. Par conséquent, la biotechnologie n’est pas juste du génie génétique et, bien que les organismes génétiquement modifiés (OGM) suscitent des réactions complexes et continuent à être largement débattus, quelques-unes des techniques les moins controversées permettent d’avancer considérablement dans la production de cultures et races d’animaux d’élevage plus tolérantes et résistantes aux stress biotiques (ravageurs, maladies) et abiotiques (sécheresses, températures élevées, etc.).

La révolution des marqueurs

Par exemple, ces dernières décennies, la sélection végétale et animale a été radicalement transformée par le développement de la sélection assistée par marqueurs (SAM), qui accélère l’identification des caractères souhaités grâce à l’utilisation d’un gène marqueur (ou séquence génétique) unique étroitement lié au gène d’intérêt. L'intérêt de la SAM réside dans sa capacité à identifier la présence d’un caractère dans des plants ou même des semences, ce qui permet un processus de sélection bien plus rapide et moins coûteux puisque de nouvelles variétés peuvent être commercialisées en quatre générations quand les processus conventionnels en demandaient dix. En Afrique, d’importants résultats ont été obtenus dans l’amélioration de la résistance au virus de la striure du maïs (VSM), la plus grave maladie virale des cultures sur le continent qui provoque des pertes dépassant cinq millions de tonnes par an dans les zones touchées. Avant la SAM, il fallait cultiver les plants et les exposer à des insectes porteurs du virus pour identifier la résistance, un processus trop long et coûteux pour les programmes nationaux d’amélioration. Les techniques de SAM ont donc permis d’identifier rapidement des gènes résistants au VSM et une résistance durable a maintenant été rétrocroisée dans des germoplasmes adaptés à divers environnements africains. La diffusion de ces variétés est encore en cours. En mai 2016, par exemple, trois lignées commerciales à rendement élevé résistantes au VSM, à la rouille et à Striga hermonthica ont été enregistrées au Nigeria et distribuées par Monsanto.

Bien que la SAM soit déjà couramment utilisée par les entreprises privées de semences, son utilisation plus générale dans le secteur public, en particulier dans les pays en développement, rencontre encore certaines difficultés. Parmi celles-ci figurent les coûts élevés, l’insuffisance des infrastructures et capacités et le manque de marqueurs faciles à utiliser pour les sélectionneurs. Plusieurs réussites sont toutefois à noter en Afrique, dont l’utilisation de la SAM au Soudan pour lutter contre le Striga dans le sorgho et développer une résistance à la maladie de la mosaïque du manioc (MMM), qui peut provoquer jusqu’à 90 % de pertes de rendement. En outre, comme de nouveaux outils et technologies permettent d’appliquer la SAM à l’ensemble du génome plutôt qu’à de petits segments, le nombre d’espèces végétales dont les génomes ont été séquencés augmente constamment. La SAM devrait donc être de plus en plus largement adoptée. Concernant l’opposition à la transgenèse (OGM), la SAM, qui soulève moins de préoccupations liées à la sécurité, est acceptée par le grand public et autorisée dans l’agriculture biologique.

Diverses formes de modification génétique

Il faut toutefois faire des distinctions importantes concernant les OGM et leur application à l’amélioration des cultures et de l’élevage. Le génie génétique permet le transfert direct de gènes d’un organisme à un autre. Cette technique, appelée transgenèse, consiste à prélever un gène dans un organisme et à l’insérer dans le code génétique d’une culture particulière pour lui apporter une résistance ou tolérance au stress. Par exemple, des variétés végétales peuvent être conçues pour exprimer un gène bactérien (ex. : issu deBacillus thuringiensis, une bactérie du sol couramment utilisée comme pesticide biologique) qui contrôle certains insectes ravageurs, comme dans le cas du coton Bt. Les applications conférant une résistance aux maladies bactériennes et virales sont parmi les plus réussies. Par exemple, une résistance virale peut être obtenue en transférant certains gènes viraux qui interfèrent avec la réplication virale normale et inhibent la propagation de l’infection, comme pour le manioc résistant à la MMM.

En Afrique, l’Ouganda dispose d’un programme transgénique particulièrement diversifié, surtout pour la banane mais aussi pour d’autres cultures de base. Malgré ces recherches reconnues, l’Ouganda est le seul pays d’Afrique menant des essais au champ en milieu confiné (ECMC) pour des cultures GM sans législation sur la biosécurité (voir p. 26, Un riche patrimoine biotechnologique). À l’inverse, le Burkina Faso est l’un des trois pays africains qui commercialisent des cultures GM : il est très connu pour son coton Bt développé par Monsanto, qu’il cultive et vend depuis 2008. Toutefois, des préoccupations croissantes quant à la qualité du coton et la rentabilité réduite des cultures GM par rapport au coton conventionnel ont poussé la plus grande association nationale de producteurs de coton à recommander l’abandon de ces cultures. Dans le cas du coton Bt, il reste à voir si les agriculteurs pourront faire face aux attaques du ver de la capsule avec les pratiques conventionnelles tout en maintenant les rendements (voir p. 24, Coton OGM : abandon ou repli temporaire ?).

En 2015, 28 pays dans le monde produisaient des cultures GM sur 179,7 millions d’hectares – soit plus de 10 % des terres arables ; l’Argentine, le Brésil et les États-Unis sont les plus gros producteurs de cultures GM. Aux États-Unis, plus de 90 % du soja et du maïs sont GM. En Europe, une seule culture GM est autorisée et produite – un type de maïs résistant à la pyrale d’Europe. En Afrique, des cultures GM, surtout du coton Bt, sont produites en Afrique du Sud (2,3 millions d’hectares), au Burkino Faso (0,4 million d’hectares) et au Soudan (0,1 million d’hectares). Des ECMC ont toutefois été menés pour diverses cultures GM au Ghana, au Kenya, au Malawi, au Nigeria, en Ouganda, en Tanzanie et au Zimbabwe (voir infographie).

Toutes les cultures GM ne sont pas produites par des techniques transgéniques. Par exemple, la pomme de terre résistante au mildiou (Phytophthora infestans) a été créée par cisgenèse, un processus qui prélève des gènes résistants chez des plantes apparentées sauvages. “Nous avons transféré des gènes de plantes sauvages apparentées à la pomme de terre – Solanum bulbocastanum et S. venturii – dans des variétés appréciées des agriculteurs et obtenu d’excellents résultats”, a déclaré le Dr Andrew Kiggundu, directeur du Centre national de biotechnologie agricole de l’Ouganda à Kawanda. L’avantage de cette technique est qu’elle ne transfère que les gènes désirés, sans le phénomène d’“entraînement génétique” qui se produit dans la sélection conventionnelle et nécessite plusieurs générations de rétrocroisements pour éliminer le matériel génétique indésirable. Le principal objectif de la cisgenèse est de transférer des gènes de résistance aux maladies aux variétés vulnérables afin de réduire sensiblement l’application de pesticides, comme pour le mildiou. Aux États-Unis, la cisgenèse est pour l’instant régie par la même législation sur les OGM que la transgenèse. Les chercheurs de l’Université de Wageningen, aux Pays-Bas, qui ont mis au point cette technologie, et le gouvernement hollandais qui a soutenu la recherche plaident fortement pour que la cisgenèse soit réglementée comme les plantes conçues de manière conventionnelle.

La majorité des technologies de modification génétique sont utilisées pour améliorer et renforcer certains caractères des cultures, mais les nouvelles techniques d’édition des gènes sont maintenant appliquées à l’élevage. À l’Institut Roslin de l’Université d’Édimbourg, les chercheurs ont produit des porcs potentiellement résistants à la peste porcine africaine, une maladie très contagieuse transmise par les tiques, endémique dans toute l’Afrique subsaharienne où elle tue jusqu’aux deux tiers des animaux infectés. Les chercheurs ont utilisé une technique d’édition des gènes pour modifier certaines lettres individuelles du code génétique du porc. Les porcs “modifiés” portent une version d’un gène généralement présent chez les phacochères et potamochères, qui n’ont aucun symptôme de la maladie lorsqu’ils sont infectés. “Nous avons utilisé une technique d’édition des gènes pour changer des lettres individuelles du code génétique des porcs afin d’accélérer un processus qui se produit spontanément dans la nature. Notre objectif est d’améliorer le bien-être des porcs d’élevage dans le monde entier en améliorant leur état de santé et en les rendant plus productifs pour les éleveurs”, explique le Pr Bruce Whitelaw, directeur de la Biologie du développement à l’Institut Roslin. L’équipe de cet institut prévoit d’utiliser les mêmes techniques d’édition des gènes pour produire des bovins, poulets et moutons résistants aux infections, mais ces recherches sont beaucoup moins avancées. Steve Kemp, qui dirige l’initiative intersectorielle LiveGene de l’Institut international de recherche sur l’élevage, estime que “l’avènement des technologies d’édition génomique offre pour la première fois des outils permettant d’étudier les effets d’un variant et d’introduire ensuite exactement les caractéristiques souhaitées dans les souches qui en ont le plus besoin” (voir p. 23, Les progrès en biotechnologie pour l’élevage).

Quelles prochaines étapes pour les biotechnologies ?

Tandis que les technologies génétiques émergentes estompent la distinction entre la sélection végétale conventionnelle et la sélection génétiquement modifiée, une nouvelle étude, Genetically Engineered Crops: Experiences and Prospects, publiée en mai 2016 par les académies nationales américaines des sciences, d’ingénierie et de médecine, soutient que les cultures génétiquement conçues sont aussi sûres pour l’environnement que celles sélectionnées de manière conventionnelle. Les éléments analysés par le comité d’étude révèlent aussi que, bien que les cultures GM aient été économiquement rentables pour de nombreux petits agriculteurs pendant les premières années de leur adoption, la durabilité et la généralisation de leurs gains dépendront des appuis institutionnels qu’ils recevront – accès au crédit, intrants abordables, services de vulgarisation et accès à des marchés locaux et mondiaux rentables. La Société royale anglaise a aussi publié un nouveau guide, GM Plants: Questions and Answers, qui plaide pour que les cultures GM soient jugées sur leurs mérites individuels. Parmi les évolutions récentes figure l’amélioration de la valeur nutritionnelle des cultures, y compris une banane orange GM dotée de niveaux élevés de bêta-carotène, actuellement testée dans l’Iowa, un manioc enrichi en bêta-carotène récemment distribué au Nigeria et des haricots enrichis en fer au Rwanda (la biofortification sera traitée dans Spore 183). En Afrique, la réglementation sur la biosécurité est encore en cours de développement. Après trois tentatives et des années de débats, le Nigeria a adopté une loi nationale sur la biosécurité pour réglementer les OGM. L’Agence nationale de gestion de la biosécurité (NBMA) est chargée d'encadrer l’application de la loi. Ainsi, Monsanto Nigeria a récemment présenté à la NBMA une demande pour pouvoir distribuer du coton et du maïs Bt. D’autres pays africains pourraient tirer des enseignements de l’exemple du Nigeria.

Pour plus d’informations, voir :

Ouvrages sur les plantes génétiquement modifiés publiés en 2016 (éditions The Royal Society et The National Academies of Sciences, Engineering, Medicine) : http://tinyurl.com/jc5xzcy

http://tinyurl.com/h9bog8e

(en anglais uniquement)