Avec la croissance démographique et urbaine, mais aussi économique, de nouveaux marchés rémunérateurs promettent un bel avenir à l’aquaculture en Afrique. L’Union Africaine et le Nepad misent sur le secteur privé pour la développer dans un cadre durable.
Avec la croissance démographique et urbaine, mais aussi économique, de nouveaux marchés rémunérateurs promettent un bel avenir à l’aquaculture en Afrique. L’Union Africaine (UA) et le Nepad misent sur le secteur privé pour la développer dans un cadre durable.
Fabuleux développement que celui de l’aquaculture ce dernier quart de siècle, avec en moyenne une croissance de la production mondiale de 8 % par an alors que les captures stagnent sur cette même période. C’est la production alimentaire qui croit le plus rapidement au niveau mondial. Un poisson consommé sur deux est aujourd’hui un poisson d’élevage. L’augmentation de la production est tirée essentiellement par l’Asie, avec un développement impressionnant de la Chine, premier producteur et exportateur mondial, mais aussi de l’Inde, du Vietnam et du Bangladesh. L’Asie représente près de 90 % de la production aquacole mondiale, soit 53 millions de tonnes en 2010.
Sans rester totalement en marge de ce mouvement, l’Afrique sub-saharienne (ASS) aujourd’hui n’a pas ou peu développé son potentiel aquacole, qui est élevé (pour les problématiques Pacifique et Caraïbes, se référer au dossier de Spore N°163 “L’Economie bleue en crise ?”). Quelque 9 millions de km², soit 31 % de la superficie continentale, de l’ASS se prêteraient à l’élevage de poissons, selon la FAO.
La pêche en Afrique est une activité essentielle pour la sécurité alimentaire comme pour le développement économique. Elle nourrit 200 millions de personnes, soit un cinquième des Africains, apportant 22 % de leurs besoins en protéines animales et assure la subsistance de 10 millions d’autres. Mais l’actuelle stagnation des captures oblige l’Afrique à développer sa filière aquacole, si elle ne veut pas accroître ses importations de poisson.
Elle a déjà commencé à le faire et les initiatives se multiplient. Entre 2000 et 2010, la production aquacole en ASS a été multipliée par 6,5 pour atteindre 359 790 tonnes, soit 0,6 % de la production mondiale. Une augmentation stimulée principalement par une poignée de pays : le Ghana, le Kenya, le Nigeria, l’Ouganda et la Zambie.
Plusieurs éléments concourent à cet élan. Politiquement, l’Union Africaine et le Nepad affirment leur volonté de développer le secteur aquacole en misant sur le secteur privé. À la suite du sommet “Du poisson pour tous” en août 2005, les gouvernements africains ont adopté la Déclaration d’Abuja sur les pêcheries et l’aquaculture durables. L’année suivante, les chefs d’Etats de l’UA ont désigné les pêcheries et l’aquaculture comme biens stratégiques, au même titre que le riz ou le maïs. Elles sont ainsi un des moteurs clés du Programme détaillé du développement de l’agriculture africaine (PDDAA).
Changement de paradigme
Économiquement, si l’environnement institutionnel est souvent plus porteur avec des politiques favorables aux investisseurs, la nouvelle donne est le formidable développement du marché intérieur africain dans un contexte de prix du poisson relativement élevé. La demande de poisson est forte, encouragée par la croissance démographique, l’urbanisation et l’élévation du pouvoir d’achat.
Ainsi, la plus grande ferme aquacole d’ASS, Lakes Harvest Aquaculture, située sur le lac Kariba au Zimbabwe, a quasiment suspendu ses exportations de tilapia vers l’Europe, pour se recentrer sur les marchés locaux et régionaux.
Pour les pays disposant d’une façade maritime, l’épuisement des stocks de poissons a conduit certains gouvernements à se tourner vers l’aquaculture. À l’Ile Maurice, il y a une dizaine d’années, les pêcheurs n’avaient qu’à jeter leurs filets dans le lagon pour récolter autant de poisson qu’ils voulaient. Aujourd’hui, les prises ne cessent de diminuer en raison de la surexploitation, de la pollution industrielle et des activités touristiques. Dans plusieurs régions côtières de l’île, l’aquaculture a été introduite. “Nous n’avions jamais imaginé qu’un jour, nous pêcheurs, nous aurions à gagner notre pain en nourrissant les poissons”, déclare Patrick Guilloano Marie, de la coopérative St Pierre Fishermen Multi-Purpose, forte de 14 membres et qui s’est lancée dans l’aquaculture à Grande Gaude en novembre dernier. L’Ile Maurice pourrait créer 5 000 emplois d’ici 5 ans et augmenter la production de 10 000 tonnes, selon Daroomalingum Mauree, chef de projet au ministère de la Pêche. Vingt-deux sites ont été identifiés. Une initiative qui bénéficierait à 2 200 pêcheurs traditionnels et contribuerait ainsi à lutter contre la pauvreté parmi la communauté des pêcheurs, selon le ministre de la Pêche, Nicolas Von-Mally.
Des fermes industrielles à la pisciculture villageoise
L’aquaculture en ASS concerne essentiellement l’élevage de poisson d’eau douce, notamment celui de deux espèces : le tilapia (Oreochromis spp.) et le poisson chat africain (Clarias spp.). Leur production revêt de multiples facettes – de la ferme industrielle à forte intensité d’intrants au petit étang exploité par les paysans et fertilisé par du compost – avec une diversité d’acteurs et de systèmes de production qui varient selon l’environnement, les moyens mobilisables – humains, technologiques, financiers – et les schémas de développement sectoriel privilégiés.
Des fermes aquacoles industrielles ont été créées au Nigeria et dans une dizaine d’autres pays - Afrique du Sud, Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Lesotho, Malawi, Zimbabwe. Elles y sont relativement peu nombreuses, au nombre de trois au maximum. Cette pisciculture industrielle, capitalistique, est basée sur des technologies et des aliments granulés complets, souvent importés. Fréquemment, des capitaux étrangers sont investis. Au Bénin, des Hollandais ont monté clé en main une ferme aquacole de poisson chat, Royal Fish, et la Fondation Thonon a fait venir une équipe de Thaïlande pour créer un modèle de production de tilapia.
Ces fermes non seulement créent de la richesse nationale, des emplois et génèrent des devises, si elles exportent, mais elles peuvent contribuer aussi à la dissémination des connaissances en favorisant le développement de la petite aquaculture. Ainsi, au Nigeria, le développement des fermes industrielles a permis de rendre accessible les alevins et les aliments piscicoles aux petits producteurs.
La production des fermes industrielles s’adresse avant tout au marché urbain national ou régional. Mais, comme le souligne Olivier Mikolasek, chercheur de l’Unité mixte de recherche sur l’Intensification raisonnée et écologique pour une pisciculture durable au Cirad, “à côté de la demande de la classe moyenne à qui un producteur peut vendre son poisson autour des 2,25 € le kilo, il existe un marché rural, déficitaire, où le poisson constitue la première dépense monétaire des ménages. Dans certaines régions du Cameroun, cela représente 35 kilos de poissons par an et par habitant. Pour répondre à ce marché et remplacer le poisson congelé, il faut leur procurer du poisson aux alentours des 1,5 € le kilo.”
Depuis une quinzaine d’années, l’APDRA (Association Pisciculture et Développement Rural en Afrique tropicale humide) accompagne les producteurs dans la mise en place de systèmes piscicoles rentables et durables dans les zones tropicales humides en Afrique de l’Ouest et centrale afin d’augmenter et de diversifier les ressources des exploitations familiales et de renforcer la sécurité alimentaire. Les résultats sont plutôt probants. Il s’agit d’une pisciculture extensive qui tire profit de l’aménagement des bas-fonds et base sa productivité sur la valorisation d’intrants à faibles coûts tels que fertilisants organiques et aliments fabriqués à partir de sous-produits agricoles. Des centaines de pisciculteurs ivoiriens ou guinéens produisent ainsi des poissons de qualité, dont une partie est autoconsommée, l’autre étant vendue directement en bord d’étang. “Si chaque pisciculteur produit environ 300 kilos, on aboutira à la même quantité que deux ou trois fermes industrielles. Mais dans ce cas, ce seront des centaines de pisciculteurs qui seront impliqués, avec des impacts positifs en termes de gestion de l’eau, d’intensification de l’utilisation des bas–fonds, de diversification des systèmes agricoles et d’amélioration de la sécurité alimentaire. La pisciculture villageoise est capable de générer sa propre dynamique et d’accroître significativement la production”, indique Olivier Mikolasek.
Les PME, le chaînon manquant
Entre la pisciculture industrielle et la pisciculture villageoise existent des PME “semi intensives” requérant moins de technologies et moins d’intrants. Encore peu nombreuses, elles entendent développer les marchés locaux et urbains mais se heurtent – comme souvent, s’agissant des PME – à des difficultés d’accès aux financements, aux intrants et à du personnel formé. Généralement, les pays qui ont connu un développement de leur secteur aquacole sont ceux qui ont encouragé ces PME, à l’instar du Ghana, du Kenya ou encore du Nigeria.
A son échelle, le Ghana est un cas exemplaire. De moins de 1 000 tonnes en 2004, la production atteint aujourd’hui quelque 9 000 tonnes. Un développement basé sur le tilapia du Nil (Oreochromis niloticus) avec des élevages en cage sur le lac Volta. Le rôle des pouvoirs publics a été déterminant. Outre, un cadre législatif et institutionnel favorable, les entreprises bénéficient de certains avantages comme l’exonération des taxes sur les intrants piscicoles. Ainsi, à côté des grosses fermes industrielles (Crystal Lake Farm, West African Fish et Tropo Farms), s’est constituée toute une grappe de PME. Certaines sont dans la production semi intensive de poissons mais d’autres sont impliquées dans des activités périphériques comme la récente création de l’usine d’aliments Raan Feeds, ou encore la fabrication de glace, la commercialisation et le transport du poisson et autres prestations de services.
L’aquaculture joue déjà un rôle important dans le développement socio-économique de certains pays d’Afrique. Mais, le potentiel à développer demeure très important, notamment pour améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations, favoriser la création d’emplois et générer de la valeur ajoutée pour les producteurs à petite et à grande échelles aussi bien dans les localités rurales que périurbaines. Sloans Chimatiro, conseiller sénior pour les pêcheries au Nepad, déclarait à Bruxelles en juillet dernier lors d’un Briefing du CTA* sur la pisciculture dans les pays ACP : “si l’Afrique peut avoir raté le coche de la révolution verte, elle a une chance de prendre part à la révolution bleue.”
La FAO et l’OCDE dans leurs perspectives 2013-2022 prévoient une hausse de 35 % de la production mondiale aquacole pour atteindre 85 millions de tonnes. En Afrique, avec la multiplication des politiques locales favorisant l’aquaculture et le développement du secteur privé, elle pourrait augmenter de 70 % cette prochaine décennie. Avec le lancement en 2007 du Programme spécial pour le développement de l’aquaculture en Afrique (SPADA), la FAO a pour objectif une croissance de 200 % de la production aquacole sur la prochaine décennie.