Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.

Ajouter de la valeur à l'agriculture

Dossier

 

La révolution numérique

Dans les pays ACP, l’agriculture est le principal acteur économique puisqu’il emploie entre 40 et 60 % de la population et contribue pour 25 à 45 % au produit intérieur brut

Traditionnellement le secteur s’est caractérisé par des agriculteurs très pauvres utilisant des techniques agricoles obsolètes qui se traduisent par de faibles niveaux de productivité. N’ayant d’autre choix que de traiter avec des intermédiaires qui les exploitent, les agriculteurs ont toujours été exposés à la famine et à l’insécurité alimentaire. Mais maintenant, “les TIC opèrent une révolution, depuis la vulgarisation jusqu’à la commercialisation en passant par les services d’approvisionnement en intrants agricoles, les services bancaires et financiers et la gestion de la certification”, affirme Agnes Kalibata, Ministre rwandaise de l’Agriculture et des Ressources animales.

En 1971, Alan Kay, un informaticien américain, a déclaré : “la meilleure façon de prédire l’avenir est de l’inventer.” Ceci s’illustre parfaitement par la prolifération des applications agricoles reposant sur les plates-formes web, radio et mobiles. Ces applications autonomisent les agriculteurs des pays en développement en leur fournissant des informations sur les prix de différents produits, des prévisions météorologiques ou des tendances épidémiologiques. Ainsi, sont-ils mieux préparés pour planifier leur activité. Les agriculteurs ont maintenant au bout de leurs doigts la possibilité d’accéder à des informations sur la production agricole.

Ces applications “offrent aux agriculteurs des conseils et informations utiles et leur permettent d’augmenter leur productivité, d’accéder aux marchés pour accroître leur efficacité et d’augmenter leurs revenus tout au long de la chaîne de valeur”, souligne M. Hailu. N’oublions pas que les petits agriculteurs, qui sont essentiellement des femmes, produisent 80 % des aliments en Afrique ! Toutefois, ils sont confrontés à de nombreux défis dont une faible productivité, des prix élevés de l’énergie et des engrais, les difficultés d’accès au crédit et des services de vulgarisation insuffisants, voire inexistants. “L’importance de l’agriculture pour assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle et la prospérité dans les pays ACP, comme dans la plus grande partie du monde en développement, ne saurait être trop soulignée”, fait valoir le Directeur du CTA.

Un tremplin numérique

A l’occasion de la journée “Plug and Play”, les innovateurs ont présenté une quarantaine de solutions TIC répondant aux différents aspects de la chaîne de valeur dans les pays ACP. Parmi les applications présentées figurent notamment mFarm et iCow du Kenya, Kinu de la Tanzanie, Esoko du Ghana, Farmerline du Nigeria, mFisheries de Trinité-et-Tobago, TRAC FM de l’Ouganda, Rural eMarket de Madagascar et AGRICO du Burkina Faso.

mFarm utilise des données simples pour “m-autonomiser” les agriculteurs indique sa cofondatrice Susan Oguya. Elle affirme que mFarm a créé “des fermiers en fauteuil” et attiré vers le secteur des jeunes devenus producteurs, négociants, fournisseurs d’intrants et concepteurs de contenus.

Esoko, une application qui donne accès aux producteurs aux prix pratiqués sur les marchés, aux prévisions météorologiques, à des conseils agricoles et à des offres pour leurs produits, rassemble plus de 2,5 millions d’utilisateurs dans 16 pays africains (Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Madagascar, Malawi, Mozambique, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Swaziland, Tanzanie, Zambie et Zimbabwe). “L’objectif de l’application est de mettre plus d’argent dans les poches des petits agriculteurs”, affirme Mark Davies, directeur d’Esoko. Nombreux sont ceux qui ont augmenté leurs recettes de 10 à 15 % par an. “Certains ont été jusqu’à obtenir une augmentation de 500 % de leurs gains grâce à l’amélioration des prix”, déclare-t-il.

Rural eMarket, fournit des informations sur les prix, la productivité, l’accès aux marchés et aux services financiers. “Les agriculteurs peuvent vendre leurs produits, observer les offres d’autres personnes, voir les demandes ou requêtes, mettre à jour les demandes et se rendre compte des produits qui sont disponibles dans quels marchés et à quel prix. Ils peuvent aussi chercher des services financiers, et en particulier des microfinancements”, précise Andrianjafy Rasoanindrainy, coordinateur de projet de Rural eMarket.

La transformation de la petite agriculture

“Les TIC ont facilité l’instauration de nouvelles manières de coopérer et de co-créer des innovations”, fait valoir Paul Cunningham, cofondateur de l’Initiative IST-Africa. De nombreuses applications créent des réseaux mondiaux d’agriculteurs, qui partagent idées et informations par le biais de vidéos, d’images et de textes. Cela favorise l’agriculture durable et le développement rural. Par exemple, en décembre 2013, Access Agriculture, une ONG internationale, a dévoilé un réseau d’agriculteurs utilisant YouTube, et en particulier l’application AgTube, qui aide les agriculteurs à interagir en téléchargeant des vidéos et en les partageant avec la communauté agricole.

Au Sud Soudan, le gouvernement tente de remédier à la situation des communautés agropastorales belligérantes en préconisant l’adoption de techniques agricoles intelligentes. Cela pourrait apporter une paix durable à un pays ravagé par des décennies de guerre. Dans l’Etat de Warrap (l’un des dix Etats du pays), le vol de bétail menace gravement les activités socio-économiques des communautés. La mise en place prévue de cinémas mobiles pour organiser des projections dans diverses zones de l’Etat pourrait appuyer des initiatives agricoles. Le lancement d’ojoVoz, une application mobile et web permettant aux agriculteurs d’envoyer des enregistrements vocaux et des images, contribue aussi à valoriser les initiatives agricoles. En outre, l’application offre la possibilité de cartographier les points d’eau, qui sont généralement des foyers de conflit entre clans rivaux. “Des smartphones doivent également être livrés dans les campements de bétail et aux chefs des Etats dans le cadre d’une initiative incitant les gens à s’engager dans la filière agricole”, dit Eva Yayi, agent responsable des technologies de l’information pour l’organisation Community Empowerment for Progress du Sud Soudan.

Au Kenya, il existe environ 25 applications agricoles répertoriées par le ministère de l’Agriculture. Elles offrent des renseignements crédibles et des services de vulgarisation en fournissant des informations aux agriculteurs situés même dans des zones très isolées du pays. Des agriculteurs ont même créé un réseau de jeunes agriculteurs sur Facebook, qu’ils utilisent comme une tribune d’échange d’idées et de transactions.

Attirer les jeunes vers l’agriculture

“Avec l’extension rapide de la couverture de la téléphonie mobile et des branchements Internet, il est possible de mobiliser les capacités de transformation des TIC, en particulier dans le secteur agricole, pour permettre aux petits agriculteurs et surtout aux fermiers des zones rurales de se connecter, tout en réduisant les coûts des transactions”, déclare Michael Ryan, l’ambassadeur de l’Union européenne au Rwanda. Cette évolution présente de bonnes opportunités, en particulier pour encourager les jeunes à se réinvestir dans la filière agricole plutôt que de migrer vers les centres urbains en quête d’improbables emplois de bureau.

L’exode rural des jeunes est l’un des grands problèmes des pays ACP. En créant des opportunités d’emplois et en améliorant la qualité de vie dans la zones rurales, les TIC jouent un rôle essentiel pour renverser cette tendance. La connectivité à large bande et l’accès à la téléphonie mobile permettent non seulement d’augmenter la productivité agricole, même dans les villages isolés, mais pourraient aussi ramener la jeunesse vers l’agriculture.

Le projet Développement rural et jeunesse dans la société de l’information du CTA contribue à favoriser l’utilisation des TIC par les jeunes ruraux. Depuis son lancement en 2010, l’initiative a eu un impact important sur le partage de l’information en renforçant les capacités dans tous les aspects de l’innovation et de l’entreprise dans l’agriculture.

L’événement ICT4Ag a attiré près de 500 participants issus de plusieurs secteurs dont les pouvoirs publics, le secteur privé, les ONG, les organisations intergouvernementales et les organismes de développement de 66 pays. Des jeunes originaires d’Éthiopie, du Kenya, de Madagascar, de l’Ouganda, du Rwanda et de la Tanzanie ont également participé à un championnat d’Agro-Hackathon pour développer des applications TIC répondant aux besoins particuliers de l’agriculture.

Certaines applications sont conçues expressément pour fonctionner sur des plates-formes mobiles et web afin d’améliorer l’accès aux financements, de relier les acteurs du secteur agricole, d’accroître la solvabilité des agriculteurs, de rassembler et partager les données sur les prix du marché et de connecter et d’harmoniser les principaux groupes de jeunes acteurs tout au long de la chaîne de valeur agricole. L’Afrique de l’Est, par exemple, est de plus en plus connectée à Internet : 75 % de la population du Kenya a accès à un téléphone portable et le nombre d’utilisateurs d’Internet représente plus de 12 % de la population (40 millions) en juin 2012, selon Internet World Stats.

Le gouvernement rwandais investit dans les TIC pour dynamiser son secteur agricole et porter sa croissance annuelle de 5,5 à 8,5 % en cinq ans. “Nous voudrions créer 200 000 emplois chaque année dans les exploitations agricoles. Cela ne sera pas possible sans les TIC”, observe Valentine Rugwabiza, administratrice générale du Conseil de développement du Rwanda.

Malgré l’existence de ressources abondantes en terres et en eaux et d’une main-d’œuvre bon marché, les pays africains dépensent encore environ 36 milliards d’euros par an pour importer des aliments. “Pour réaliser son plein potentiel, la petite agriculture doit cesser d’être une activité de subsistance pour devenir une entreprise durable et profitable et il apparaît clairement que les TIC peuvent jouer un rôle clé dans cette transformation”, conclut Michael Hailu. La Conférence ICT4Ag 2013 a clairement illustré cette nouvelle réalité.