Le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) confirme sa fermeture pour la fin 2020.

Une alliance pour promouvoir les technologies agroalimentaires de rupture

Spore exclusif

 

Entretien avec Parmesh Shah

Expert mondial principal pour les emplois agricoles et les moyens de subsistance en milieu rural à la Banque mondiale, Parmesh Shah analyse le rôle des solutions numériques dans l’amélioration des systèmes agroalimentaires africains.

Comment les solutions numériques peuvent-elles faciliter la transformation des systèmes alimentaires africains ?

Les solutions numériques peuvent faciliter cette transformation à quatre niveaux : la productivité, les marchés, l’inclusion financière et l’offre de services de données. Pour de nombreux produits de base, la productivité de l’Afrique ne représente qu’un tiers de la productivité moyenne dans le monde. Ceci s’explique surtout par l’accès limité aux principaux intrants ainsi qu’aux services, encore assurés de manière très traditionnelle. Cependant, les solutions numériques peuvent changer la donne en contribuant à réduire cet écart de productivité.

Par exemple, beaucoup de produits de base sont originaires d’Afrique, mais rapportent peu au continent, faute d’agrégation suffisante. En facilitant et en accélérant la communication des prix, les solutions numériques aident les communautés de producteurs à se regrouper plus rapidement et à contrôler ainsi une plus grande part des marchés et de la chaîne de valeur. De même, malgré un bon niveau d’inclusion financière dans l'ensemble en Afrique, l’offre de services de crédit et d’assurance est encore peu développée, car le continent dépend toujours des modèles “physiques” d’inclusion financière (des banques, par opposition aux services bancaires mobiles ou en ligne). Enfin, une très grande partie des données recueillies ne sont pas “converties” très rapidement en services de conseil pour les petits exploitants. Lorsque tous ces obstacles seront levés, l’Afrique sera en mesure de transformer ses systèmes alimentaires.

Pour atteindre cet objectif, quelles sont les conditions à mettre en place et les principaux défis à relever ?

Pour avancer sur la voie de la transformation de l’agriculture, trois grands défis doivent être relevés. Le premier est celui de la connectivité et des infrastructures rurales, qui sont toujours à la traîne. Les nouveaux modèles de création de réseaux locaux, en ligne et hors ligne, pourraient contribuer à améliorer l’offre de services dans ce domaine.

Le deuxième défi concerne les modèles de prestation de services et d’offre de services de vulgarisation, qui doivent être plus “pluralistes”. En Afrique, trop d’habitants dépendent du secteur public pour les services, qui ne sont pour la plupart pas encore digitalisés. La solution serait de revoir radicalement l’organisation des services de vulgarisation et de faciliter la transition vers des systèmes de vulgarisation pluralistes.

Enfin, l’Afrique ne dispose pas d’une politique efficace de promotion de la création de start-up d’agritech. Les ministères de l'Agriculture doivent élaborer des politiques innovantes pour mettre en place un environnement favorable à la création de start-up du numérique et au développement de l’esprit d’entreprise dans ce domaine. Il faut toutefois qu’ils collaborent avec d’autres ministères, du Commerce, de l’Industrie ou de l’Informatique. À eux seuls, les ministères de l’Agriculture ne sont pas en mesure de relever ce défi.

La Banque mondiale soutient les innovations kényanes les plus prometteuses dans le secteur de l’agritech avec l’objectif de réunir un million d’agriculteurs kényans sur une plateforme numérique d’ici trois ans. N’est-ce pas trop ambitieux ?

Dans les 45 comtés du Kenya, nous mettons en œuvre deux projets qui ont pour objectif d’améliorer la productivité et la rentabilité de l’agriculture, au bénéfice d’un million d’agriculteurs. Début 2019, nous avons participé au Disruptive Agriculture Technology Knowledge Challenge, en tant que partenaires. Nous avons regroupé sur une même plateforme des innovateurs numériques et des acteurs kényans de l’ensemble du secteur de l’agritech, ce qui nous a permis d’identifier des solutions de rupture qui seront testées auprès de 100 000 agriculteurs dans le cadre de projets soutenus par la Banque mondiale.

Pour l’instant, nous nous attachons à instaurer un climat de confiance entre tous les acteurs de la plateforme afin de faciliter durablement l’incubation de start-up. Notre choix s’est porté sur le Kenya, car ce pays est déjà un carrefour de la fintech innovante. Pourtant, les nombreuses entreprises innovantes dans l’écosystème financier kényan ne sont pas encore reliées au secteur de l’agriculture.

Comment garantir une collaboration efficace entre vos nombreux partenaires au Kenya afin d’avoir un maximum d’impact ?

Nous avons organisé un atelier sur le processus de conception axé sur l’opérateur humain, l’idée étant que chacun puisse réellement contribuer à la conception d’une plateforme réunissant en un lieu unique d’autres partenaires du développement, mais aussi des entreprises agroalimentaires, des institutions financières et des innovateurs. De très nombreux partenaires stratégiques rejoignent la plateforme – des représentants des bailleurs et des acteurs du secteur privé. Environ 16-17 organisations ont participé à l'atelier et tous les participants se montrent très désireux de collaborer. Le leadership sera toutefois la clé du succès. Nous sommes encore en train d'examiner les modalités en vue de la création d’une véritable plateforme multipartite qui ne soit pas gérée par une seule entité. Le gouvernement national kényan, ainsi que les autorités du comté, doivent être impliqués.

Le travail en partenariat est un défi majeur dans le secteur de la numérisation de l’agriculture. Le récent rapport CTA/Dalberg sur le sujet a proposé un modèle d'alliance mondiale pour tenter de résoudre ce problème. Quelle est la position de la Banque mondiale ?

Nous approuvons pleinement les principales recommandations formulées dans ce rapport sur la numérisation de l’agriculture. Ce secteur ne peut en effet pas se développer en l’absence d’une vaste coalition d’acteurs désireux de mettre tout en œuvre pour soutenir l’innovation. Cette alliance créera un écosystème propice au développement des technologies agricoles de rupture et de l’agriculture numérique. Au Kenya, nous travaillons à la création de cette alliance pour comprendre comment elle pourrait fonctionner et en valider la faisabilité.

La Banque mondiale a lancé de multiples initiatives dans ce domaine au Kenya. Certains développements vous semblent-ils encourageants ou potentiellement en rupture ?

Grâce à Agri-Wallet, une entreprise innovante, les agriculteurs peuvent obtenir des prêts d’institutions financières et se mettre en contact avec des fournisseurs d’intrants, de services financiers et d’aliments pour le bétail. Ils peuvent aussi vendre leurs produits par l'intermédiaire de la plateforme, les paiements mobiles de l’acheteur – via M-Pesa – venant alimenter leur portefeuille électronique. Une fois mis à l’échelle, ce modèle pourrait créer jusqu’à 1 million de portefeuilles et permettre ainsi aux petits exploitants d’épargner, d’avoir accès au crédit et à des assurances, d’acheter des marchandises et de commercialiser leurs produits sur une seule et même plateforme.

Il existe de nombreux exemples d'innovations numériques de ce type au Kenya. Mais comment les mettre à l’échelle ? Que pouvons-nous faire pour contribuer à un changement des politiques, à l’introduction de mesures incitatives et pour mobiliser d’importants investissements afin de faire de ce projet ambitieux une réalité ? C’est le défi que nous nous employons à relever. Aux entreprises de technologie de développer des modèles d’inclusion toujours plus innovants !