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Les femmes agropreneurs montent en puissance en Afrique

Dossier : Passage à l’échelle

Malgré de nombreux obstacles, les femmes entrepreneurs deviennent de plus en plus visibles en Afrique en donnant de l’envergure à leurs entreprises.

© CTA

Développement économique

De plus en plus nombreuses à exprimer leur potentiel, les femmes agri-entrepreneurs se heurtent à de nombreux obstacles pour faire grandir leurs entreprises agricoles sur le continent africain.

Les femmes africaines sont, plus que dans toute autre région du monde, enclines à se lancer dans l’entrepreneuriat, y compris dans le secteur agricole, ainsi que l’a démontré le rapport de la Banque mondiale Les bénéfices de la parité, sorti en mars 2019 (lire notre interview et critique – https://tinyurl.com/y4oh5c4j). “En Afrique, les femmes sont 58 % à posséder la fibre de l’entrepreneuriat”, constatait ainsi Leesa Shrader, directrice du programme AgriFin Accelerate de l’organisation Mercy Corps, lors du Forum annuel pour une révolution verte en Afrique (AGRF), à Accra, au Ghana, en septembre 2019. “Mais l’inégalité homme-femme fait que leurs profits sont inférieurs de 34 % à ceux des hommes.” Si les Africaines sont plus nombreuses qu’ailleurs à devenir entrepreneurs, il n’en reste pas moins qu’elles font face à d’innombrables obstacles qui compromettent la croissance de leurs entreprises. Ce problème de passage à l’échelle des entreprises dirigées par les femmes se pose quel que soit le niveau dans la chaîne de valeur – production, transformation, commercialisation ou encore services agricoles.

Le 5e Forum AWIEF (Africa Women Innovation and Entrepreneurship Forum), qui se tient au Cap, en Afrique du Sud, du 29 au 30 octobre, se penchera sur les obstacles et les réussites des agri-entrepreneuses en Afrique. Le forum est l’un des partenaires clés dans la mise en œuvre de l’initiative VALUE4HER du CTA. Celle-ci vise, d’ici 2020, à créer un réseau d’entrepreneuses africaines en agriculture, capable de galvaniser leurs chaînes d’approvisionnement et de mettre en commun leurs ressources, leur expérience et expertise agricoles afin d’accéder aux marchés efficacement et à bas coûts.

Bien qu’elle ne soit pas supportée par AWIEF mais par un programme financé par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), la jeune fondatrice d’InsectPro, une entreprise spécialisée dans la production d’insectes pour l’alimentation animale, Talash Huijbers confirme que les réseaux et la recherche de nouveaux partenaires ont été essentiels à la création et l’optimisation de son entreprise.

De nombreux obstacles

“Les femmes ont tendance à démarrer à une toute petite échelle car il leur faut peu de capitaux pour avoir une petite activité”, explique Jemimah Njuki, directrice de la formation stratégique au Centre de recherches pour le développement international, au Kenya. “Mais, lorsqu’elles veulent monter en puissance, de nouvelles barrières se lèvent : il faut posséder de la terre, chercher un prêt à la banque, connaître des normes de qualité, par exemple pour exporter, ou bien encore affronter le regard que portent les hommes sur ces femmes qui veulent sortir de chez elles pour proposer leurs services.”

“Ainsi, outre la difficulté d’accès au capital, le manque de temps est un réel challenge”, explique Christabell Makkha, directrice de la formation stratégique du programme AgriFin Accelerate. “L’agriculture est un métier très exigeant en force de travail alors que les femmes entrepreneurs ont en général moins de temps à y consacrer en raison des tâches domestiques qu’elles doivent assumer et des obligations familiales, notamment liées à leurs enfants.” La spécialiste égrène d’autres défis : les normes sociales selon lesquelles l’homme doit subvenir aux besoins du foyer, la difficulté d’accéder aux terres et aux ressources (le montant des prêts octroyés aux femmes est en général moindre que celui pour les hommes), les risques de violence liés au sexe, l’inégal accès à la formation, etc.

Les clichés ont la vie dure, y compris au sein des institutions financières. Talash Huijbers d’InsectPro témoigne des difficultés à réunir les fonds nécessaires au lancement de son affaire : “J’avais la double difficulté d’être une femme et d’être jeune. Alors, dans les premières réunions que nous avons eues avec les responsables locaux et les banques, je me suis faite accompagner par un homme. Mais tout le monde était bien conscient qu’au final c’était moi qui prendrait la décision”, explique-t-elle, amusée. Elle insiste néanmoins qu’il est important “de rêver grand et commencer petit” et qu’elle n’a pour l’instant que posé les fondations permettant à son entreprise de se développer.

Les femmes entrepreneurs plus pénalisées que les hommes

Le rapport de la Banque mondiale Les bénéfices de la parité montre aussi que les entreprises possédées par des femmes ont, en moyenne, moins de salariés que celles de leurs homologues masculins. L’inégalité démarre au sein de la famille, les femmes souffrant d’une plus grande difficulté à mobiliser des forces de travail complémentaires dans les fermes. Faciliter le recrutement des salariés constitue donc un point important pour permettre aux femmes entrepreneurs de passer d’une activité autarcique à une activité économique ouverte. Par ailleurs, le rapport relève que, même lorsqu’elles ont accès à des éléments productifs (connaissances, fertilisants, force de travail), une inégalité dans la productivité persiste en raison de facteurs plus insidieux. Par exemple, les conseils délivrés aux agriculteurs sont fréquemment conçus pour un public masculin. Si les filles ont désormais de plus en plus accès à l’école, l’inégalité d’accès à l’enseignement secondaire et, plus spécifiquement, à des formations à l’entrepreneuriat demeure. Ce qui pénalise fortement le développement des entreprises dirigées par des femmes.

Pour autant, la situation évolue. Ainsi, les femmes entrepreneurs sont de plus en plus visibles sur le continent africain. Pour preuve : 11 des 22 start-up finalistes du dernier concours Pitch AgriHack étaient des femmes. Autre exemple de l’émergence d’agroentreprises dirigées par des femmes : cinq des neuf finalistes de la catégorie des entreprises dites “matures” – qui cherchent des financements afin de pérenniser leur entreprise et de leur permettre de grandir – étaient des femmes.

Dans la catégorie des projets en démarrage, la start-up Profish, au Ghana, a remporté une aide de 7 500 € pour sa plateforme informatique Lojaanor consacrée aux poissons et aux crustacés. “Grâce à cette plateforme USSD (Unstructured Supplementary Service Data), nous pouvons apporter des services logistiques et ouvrir l’accès aux marchés pour les pêcheurs, même dans les zones les plus reculées”, explique Caroline Pomeyie, cofondatrice de Profish. Les pêcheurs n’ont qu’à composer un numéro de téléphone (*800-28#) et déclarer leurs stocks. “Nous avons développé cette solution facile car la plupart des utilisateurs ne disposent que d’un téléphone de base. De plus, leurs exploitations sont situées dans des zones qui n’ont pas forcément Internet”, poursuit-elle. Les pêcheurs, qui n’ont peut-être pas forcément de compétence particulière en technologie, peuvent aisément téléphoner. La plateforme permet aussi de passer des commandes, réaliser un inventaire ou établir des factures afin d’apporter aux pêcheurs les meilleurs services possible.

Autre concours, autre exemple de développement de l’entrepreneuriat féminin en Afrique : Tswana Bonolo Monthe est colauréate du concours GoGettaz Agripreneur, organisé par le groupe Econet et Yara international. Cette femme entrepreneur du Botswana a cofondé Mungo Craft, qui valorise les marmelades, confitures et chutneys à base de fruits locaux. “Notre objectif est de grandir pour contribuer à l’économie du Botswana, créer des emplois et réduire le chômage dans notre pays”, a-t-elle déclaré lors de la remise du prix.

Des actions à mener selon quatre axes

Qu’il s’agisse de production, de transformation ou de services agricoles, “passer d’une activité de vente des surplus à une réelle activité commerciale exige un vrai changement de mentalité, une véritable volonté entrepreneuriale”, affirme Jemimah Njuki. L’experte poursuit : “Les femmes doivent apprendre à élever le niveau de leurs aspirations à la réussite. C’est un des intérêts des programmes de formation à l’entrepreneuriat qui combinent des éléments techniques, des éléments économiques dont la construction d’un business plan et des aspects plus motivationnels dont l’utilisation de réseaux pour présenter et déployer ce business plan.”

Quatre facteurs clés doivent donc être actionnés afin que les entreprises dirigées par des femmes changent d’échelle. L’aspect financier, d’abord : il faudrait généraliser des produits spécifiquement conçus pour soutenir les femmes, comme des mécanismes d’épargne sécurisés, mais aussi prendre en compte le fait que les femmes sont en général de meilleurs emprunteurs. Les produits d’emprunt devraient donc être différenciés, les risques de défaut de remboursement étant moindres avec les femmes. Il est également souhaitable d’élaborer des innovations financières réduisant les demandes collatérales des banques, notamment les demandes de garanties par la propriété des terres, quand l’emprunteur est une femme.

Second point, les donateurs pourraient développer davantage d’aides spécifiques pour les entreprises détenues par des femmes. Christabell Makkha préconise ainsi des dons spécifiquement adressés aux femmes comme il existe des prix récompensant spécifiquement des femmes.

Troisième axe de travail : le volet social. Les formations visant à faire évoluer les mentalités doivent être suivies par les femmes, mais aussi par les hommes. Il s’agit, de surcroît, de développer les compétences socio-émotionnelles des femmes, autrement dit la capacité à avoir confiance en soi, à gérer des salariés, à ne pas se satisfaire de peu, à oser innover. Mais aussi leur capacité à s’appuyer sur des réseaux d’affaires plus étoffés, des espaces de travail mieux adaptés aux femmes dont l’accès à des services de garde d’enfants afin de réduire les contraintes de temps. Selon la Banque mondiale, les programmes de formation qui incluent des volets psychologiques renforçant la confiance des femmes et leur capacité à adopter toutes les pratiques du monde économique associées à des activités rentables sont réellement efficaces.

Enfin, d’un point de vue politique, il reste encore beaucoup à accomplir pour lever les obstacles légaux liés au genre – tels que le droit à posséder des terres ou à en hériter – dans le plupart des pays. afin que les femmes entrepreneurs puissent développer leurs activités.

Ces différences entre les genres incluent le manque de capital, des formations insuffisantes ou un accès compromis aux marchés… Tout joue en défaveur du développement des entreprises dirigées par des femmes. Néanmoins, “tout est basé sur l’innovation, la diversification et l’investissement”, rappelle Diariétou gaye, de la Banque mondiale (lire notre interview https://tinyurl.com/y4oh5c4j). “Dès qu’on offre aux femmes la possibilité de développer de nouvelles perspectives au-delà de leur simple activité, elles réussissent”.